Compte rendu de lecture du récent livre de Fred Vargas « L’Humanité en péril : Virons de bord toute »

par Avr 17, 2020Québec humaniste0 commentaires

CLAUDE BRAUN

CLAUDE BRAUN

Administrateur et éditeur en chef du "Québec humaniste"

Claude Braun a été professeur de neurosciences cognitives à l'UQAM de nombreuses années. Retraité depuis peu, Il a publié nombres de documents de recherches sur le sujet. Il a été également éditeur du "Québec laïque"  et est depuis quelques années l'éditeur en chef  de notre revue "Québec humaniste" Il a également publié "Québec Athée" en 2010. Téléchargeable gratuitement en utilisant ce lien avec  les compliments de l'auteur.

Fred Vargas distingue deux industries de l’angoisse écologique, particulièrement en ce qui a trait au réchauffement global : les espérantistes et les catastrophistes. Elle se case nettement dans le premier camp. Fred Vargas est une archéozoologue qui a fait carrière au CNRS et auteure célèbre de romans policiers lus par des millions de gens. Chiffres scientifiques à l’appui, elle dégage environ une centaine de vecteurs anthropiques de ce réchauffement et autant de propositions pour mitiger la catastrophe.

L’auteure a un véritable talent pour rendre compte de questions techniques et abstraites en termes concrets et efficacement vulgarisés. Par exemple, tout le monde a entendu parler du fameux point de bascule où tout déboulera en accéléré. Oui, mais elle exige de comprendre combien il y aura de morts exactement à ce moment-là. La réponse se calcule à partir des textes scientifiques, -calcul que Mme Vargas fait pour nous. Ainsi donc, si on ne fait rien pour contrer le réchauffement climatique, et présentement on n’avance pas à l’échelle mondiale, selon deux études (de l’Université d’Hawaï, ainsi que du GIEC), 75% de l’humanité périra. Les choses ne peuvent pas être plus claires.

Le livre de Mme Vargas est très étonnant. Voici une scientifique accomplie qui décortique intelligemment les problèmes associés au réchauffement global en se basant sur une lecture exhaustive et méticuleuse d’un grand ensemble de recherches scientifiques fort pertinentes. Ce n’est pas à la portée de n’importe qui. L’auteure explique les problèmes derrière les problèmes, et les solutions aux problèmes des solutions, aussi bien que le ferait l’ingénieur le plus futé. Elle en soulève un grand nombre dont nous n’avons pas conscience. Personne ne peut lire ce livre, à mon avis, sans en sortir édifié. Les Guilbaut, Suzuki, Reeves, Mead, et autres vulgarisateurs n’ont vraiment gratté que la surface de la surface du problème.
Voici quelques informations qui m’ont estomaqué, moi qui pensais être relativement bien éduqué sur l’état écologique du monde, mais Mme Vargas me fait réaliser qu’il m’en reste beaucoup à apprendre.

-La saturation microplastique du monde entier vient en grande partie des vêtements synthétiques qui dégagent des microparticules dans nos laveuses à vêtements rejetant leurs boues dans l’aqua système mondial. Ce problème peut facilement être résolu avec des filtres que personne n’installe présentement sur leurs laveuses.

-Tout être vivant dépend métaboliquement du phosphore. Or, l’agriculture intensive sape le phosphore du sol et le renvoie en forme « presque » irrécupérable dans l’aqua système. L’agrobusiness compense cela présentement en épandant sur les champs du phosphore tiré de mines de phosphore. La ressource est complètement et irrévocablement irremplaçable. Il n’y a aucune alternative en vue. Or, le phosphore minier sera épuisé dans 100 ans. Plus rien ne poussera après cela.

-Tout le monde sait que ça prend une piscine d’eau pour produire un steak de bœuf. On sait aussi qu’il y a déjà une pénurie mondiale d’eau douce disponible pour soutenir la vie humaine. Cependant, il y a une hiérarchie extrême des aliments comestibles selon l’eau nécessaire pour les récolter. Mais personne n’a la moindre conscience ni ne fait le moindre effort pour faire la transition vers des marchés d’aliments faiblement aquavores (la fameuse amande américaine n’est que la pointe de l’iceberg des aliments à proscrire).

Des exemples de perles comme celles-là, il y en a des centaines dans ce livre.

Malheureusement, il y a aussi des faiblesses dans ce livre. L’auteure essaie d’être drôle en se laissant interpeller par un « logiciel correcteur » fictif chaque fois qu’elle devient émotive, qu’elle raconte des anecdotes personnelles, ou qu’elle craint que le lecteur ne trouve ses analyses trop arides. C’est agaçant. Ensuite, faites le tour de sa bibliographie et vous constaterez que l’effort est immense, que les sources sont sérieuses, etc. Cependant, il m’apparaît bizarre qu’environ neuf références sur dix commencent par HTPP… Compte tenu de l’extrême ambition du livre qui vise à faire un bilan complet de la menace écologique mondiale et des solutions nécessaires pour y remédier, je me serais attendu à ce que Mme Vargas lise davantage les auteurs qui ont tenté de semblables grandes synthèses.

Il y a aussi quelques flottements de perspective dans ce livre. La plupart du temps, l’auteure analyse la situation à l’échelle mondiale mais il arrive souvent que, sans avertissement et sans transition, on se trouve dans des analyses portant sur la seule France, des commentaires portant sur les seuls Français, et des implorations à agir qui n’auraient de sens que pour les Français. C’est assez désarçonnant, pour ne pas dire coq-à-l’âne.

FINALEMENT, MÊME SI JE SUIS D’ACCORD AVEC LE PLAN D’ACTION DE MME VARGAS, QUI CONSISTE PRESQUE À RETOURNER À UN SYSTÈME ÉCONOMIQUE MÉDIÉVAL, JE NE CROIS PAS DU TOUT AUX CHANCES DE SUCCÈS DE SON PLAN D’ACTION. CAR ELLE NE DIT PAS UN SEUL MOT DE LA GRANDE CAUSE DE TOUS LES PROBLÈMES QU’ELLE SOULÈVE DANS SON LIVRE : LA SURPOPULATION HUMAINE… PAS UN TRAITRE MOT !!!

Ainsi donc, notre aimable, douce et rêveuse auteure dégage environ une centaine de sacrifices que « Nous, les gens » (c’est un mantra qui revient des douzaines de fois dans son livre) devrons assumer (fini la viande, finis 50% des fruits et légumes auxquels on est habitués, finie l’énergie fossile, finie la grande industrie polluante, finie la voiture, etc.). Je suis d’accord avec ces solutions, en passant. Mais elle oublie la solution la plus efficace à l’échelle mondiale et qui ne demanderait aucun effort de qui que ce soit : l’offre de régulation des naissances à ceux et celles qui en voudraient. Cette action est tout à fait réalisable. Le Botswana l’a fait -ce qui a réduit dans ce pays le ratio d’enfants par femme de sept à trois en 20 ans sans aucune stérilisation forcée

Dans ses mesures proposées pour les pays industrialisés, je trouve que Mme Vargas mise beaucoup trop sur les initiatives personnelles, alors que de nombreuses réglementations ne feraient de mal à personne et ralentiraient substantiellement le réchauffement global. Par exemple, l’installation ou vente de fournaises, foyers, chauffe-eau et cuisinières à combustion devrait être interdite à la seule et unique faveur de l’électricité. Les plastiques non dégradables devraient être interdits. Les transports publics devraient passer à l’électricité ou à l’hydrogène partout au monde : faisons des trajets et des horaires permettant la recharge des batteries ou le plein d’hydrogène ou alimentons le trajet au complet en électricité. Le monde entier doit passer à l’énergie propre, quitte à remplacer les usines d’énergie combustible par l’éolien, le solaire, l’hydro, partout au monde. Là où rien de tout cela n’est pratiquable, envisageons l’énergie nucléaire bien avant le fossile. Et interconnectons les pays en énergie propre, afin de développer, déplacer, vendre, et revendre cette énergie à plus grande échelle. Tous les pays devraient se donner des cibles agressives de reforestation, en plantant des arbres, certes, mais surtout en laissant les forets resemer les territoires.

On n’est pas sortis du pétrin camarades ! Il y a un immense travail humaniste à faire pour sauver le monde !

 

 

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