Steven Pinker : scientifique, rationaliste, humaniste et progressiste
CLAUDE BRAUN
Administrateur et éditeur en chef du "Québec humaniste"
Claude Braun a été professeur de neurosciences cognitives à l'UQAM de nombreuses années. Retraité depuis peu, Il a publié nombres de documents de recherches sur le sujet. Il a été également éditeur du "Québec laïque" et est depuis quelques années l'éditeur en chef de notre revue "Québec humaniste" Il a également publié "Québec Athée" en 2010. Téléchargeable gratuitement en utilisant ce lien avec les compliments de l'auteur.
Le langage humain relève d’un instinct, continue-t-il à croire. Pourtant, la notion d’instinct humain est aujourd’hui considérée comme archaïque par les biologistes travaillant sur la cognition humaine, en ce sens que le développement des facultés cognitives humaines ne peut être réduit à une explication purement et simplement centrée sur la biologie. Et la sélection de groupes n’existe pas, affirme-t-il toujours en 2018, alors que l’organisme individuel n’a plus de statut théorique en biologie fondamentale. Cependant, dans l’ensemble, Pinker a eu le mérite de combattre vigoureusement une vision excessivement culturaliste, désincarnée, et mystique de la cognition humaine. On ne peut que l’en remercier.
Nous avons ensuite été nombreux à lire son volumineux essai « The better angels of our nature: A history of violence and humanity » (2012) [2] dans lequel Pinker argumente que la violence a diminué, dans l’ensemble, au long de l’histoire humaine. Cette ligne d’argumentation a beaucoup étonné. Après tout, les première et deuxième guerres mondiales donnaient à penser que l’espèce humaine arrivait, avec la modernité, à un paroxysme extrême d’ultra violence, jamais vue auparavant dans l’histoire. En somme, à cette époque, l’intelligentsia mondiale avait abandonné l’idée de « progrès » humain, de sagesse civilisationnelle, pour notre planète. Pinker a réussi à calmer un peu, sur un point bien spécifique, notre sentiment d’alarme, par rapport à la condition humaine. Il n’est pas seul dans cette mouvance. On voit émerger, depuis quelques années, un humanisme tranquille, très collé sur les sciences, et en particulier sur des statistiques portant sur de longues périodes historiques, enrobées d’une mentalité « can do » que l’on retrouve surtout dans les pays anglo-saxons industrialisés. Pinker associe cet humanisme à l’esprit de la Renaissance et des Lumières. Il le place à contre-courant
de l’attitude apocalyptique des environnementalistes et des militants les plus tonitruants de gauche.
Bill Gates ne vient-il pas de décider de mettre, à ses frais, à la disposition de l’humanité, un livre qu’il considère comme traçant la voie d’un avenir radieux ? Il s’agit de « Factfulness: Ten reasons we’re wrong about the world- and why things are better than you think » de Rosling, Rönnlund et Rosling (2018) [3]. Voilà un livre qui convient parfaitement à Pinker et qu’il a lu attentivement. On pourrait dire que les essais « Homo sapiens » [4] et « Homo deus » [5] de Harari s’inscrivent aussi dans cette mouvance, malgré le fait que Harari considère que le terme « humanisme » soit « dépassé ». On peut dire que l’argument central de Pinker est que le développement économique, et tout particulièrement le développement du commerce, est responsable d’une baisse de la fréquence des coups de massue qu’on se donne à la tête. Propose- t-il davantage de commerce ? Plus de consommation ? Oui.
Pinker vient de pousser plus loin la mouvance entreprise dans son livre précédent. Son dernier opus, encore une grosse brique, publié il y a à peine quelques mois, est intitulé « Enlightenment now : The case for reason, science, humanism and progress » (2017) [6]. On peut constater maintenant en quoi le livre précédent portait les germes du suivant. Pinker plante ici son drapeau idéologique et identitaire de façon beaucoup plus générale. Son livre porte sur ce qu’il prétend être l’ensemble de l’histoire humaine telle qu’elle puisse être interprétée par des statistiques, celles qu’il considère comme des données « probantes ». Cette élaboration très « nerd » serait un éteignoir pour le lecteur moyen, peut-on penser, si ce n’était du ton étonnamment provocateur, pour ne pas dire ergoteur de l’auteur. Il tire à boulets rouges sur l’alarmisme des « identitaristes », féministes, LGBT, écologistes, gauchistes, décroissantistes, religieux, et autres militants de tout acabit. Ici Pinker aligne plus d’une centaine de trames, statistiques à l’appui, pour « démontrer » (le mot n’est pas trop fort) que la modernité a constamment amélioré la condition humaine : pouvoir d’achat, mobilité, hygiène, espérance de vie, violence, diversité, santé, bonheur. Cette avalanche de statistiques est enveloppée dans le mantra suivant : dans l’ensemble, la condition humaine va de mieux en mieux et cela est dû à l’exploitation de la raison et des sciences par les humains, et par la globalisation des économies.
On pourra s’étonner de constater qu’il y a tout de même d’immenses trous dans le compte rendu de Pinker. On ne trouve aucune statistique, ni aucun commentaire, sur la surpopulation humaine, le réchauffement global, la disparition des espèces, le recul de l’eau potable, l’infertilité reproductrice croissante des humains dans les pays industrialisés, la baisse du QI en occident, la baisse globale de l’espérance de vie (anticipée par l’OMS), les effondrements économiques de nombreux pays, le versement dans l’obscurantisme religieux du monde arabe, l’escalade des armes nucléaires et d’autres armes pires encore, la croissance mondiale des inégalités économiques, le déclin de l’intelligence naturelle à la faveur de l’intelligence artificielle, etc.
À l’instar des prix Nobel et autres scientifiques socialement engagés, comme l’Union of Concerned Scientists, les humanistes organisés et militants prennent position sur ce qui doit changer pour faire un monde meilleur : il y a vraiment nécessité de réduire la population humaine mondiale, de réduire notre niveau de consommation, de renverser l’épidémie mondiale d’obésité qui est en cours, de réaliser le virage vert et écologique, d’effectuer un véritable transfert (partiel) de pouvoir vers les femmes et autres minorités ou majorités opprimées, de réaliser la laïcité partout au monde, de développer des politiques publiques pour s’assurer que les citoyens ne soient pas aliénés et désenchantés par les sciences et technologies.
N’importe qui peut se déclarer humaniste, progressiste, aficionado des Lumières, et c’est tant mieux ! Mais n’avalons rien tout rond, surtout pas des bombes intelligentes à but non alarmiste. Malgré ces critiques, je recommande fortement la lecture de « Enlightenment
now : The case for reason, science, humanism and progress » car il est un des plus convaincants antidotes de l’heure au nihilisme des temps modernes.
Références
1. Pinker, S. (2002). The blank slate: The modern denial of human nature. New York : Penguin
2. Pinker, S. (2011). The better angels of our nature: A history of violence and humanity. New York : Penguin.
3. Rosling, H., Rönnlund, A. R., & Rosling, O.(2018). Factfulness: Ten reasons we’re wrong about the world–and why things are better than you think. Flatiron Books.
4. Harari, Y. N., & Perkins, D. (2017). Sapiens : A brief history of humankind. Harper Collins.
5. Harari, Y. N. (2016). Homo Deus: A brief history of tomorrow. Random House.
6. Pinker, S. (2017). Enlightenment now : The case for reason, science, humanism and progress. New York : Viking Press.
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