L’Humanisme est-il une religion ?
Michel Virard
Président de l'AHQ
Michel Virard est un des fondateurs de l’AHQ en 2005 avec Bernard Cloutier et Normand Baillargeon. Ingénieur et entrepreneur, il a également été administrateur des Sceptiques du Québec. il est depuis les tout débuts l’une des âmes dirigeantes de l’AHQ.
NDLR Redécouvrant des auteurs profanes de l’Antiquité, les premiers « humanistes » de la Renaissance, tels Érasme dans son Éloge
de la folie, appliquèrent leur science érudite à la lecture de la Bible en hébreu et en grec. Ils préconisèrent l’étude sérieuse des penseurs de l’antiquité, afin de respecter la culture humaine globale. Ils créèrent un secteur de poursuite académique qu’on dénomme les humanités. Ils refusèrent les modes de lecture scolastique des textes sacrés. Ils proposèrent un désir plus intime de Dieu, une purification, une piété intérieure. Leur humanisme en fut un d’érudition contre la révélation et contre la militarisation, la commercialisation et l’autoritarisme de l’Église de l’époque.
Souper-conférence du 1er mai 2018 à Trois-Rivières Thème: L’Humanisme est-il le successeur naturel des religions ?
– L’Humanisme est-il une religion ?
– Le nécessaire rejet du surnaturel
– La nécessaire prise en compte des besoins humains actuellement comblés par les religions
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– L’Humanisme est-il une religion ?
Impossible de répondre à la question posée sans d’abord devoir définir ce qu’est une religion. Daniel
Baril dans son tout dernier livre, nous permet enfin de cerner scientifiquement, et non philosophiquement, les éléments qui constituent les religions. C’est donc à la sociologie, à l’anthropologie, à la psychologie, à la neurologie que nous allons faire appel. Je cite Daniel:
« La multiplicité des composantes du comportement religieux montre que ce que nous appelons religion repose sur des habiletés cognitives
variées qui donnent naissance à de nombreuses formes de relation avec le surnaturel. Si les religions en tant qu’institutions sociales
sont de toute évidence un produit culturel, l’universalité des croyances surnaturelles et leur persistance dans le temps et dans l’espace, quelles que soient les cultures, nous montrent que la religion n’est pas qu’un facteur culturel. Dans une approche évolutionniste, ce qu’il importe d’expliquer est le caractère universel commun derrière les multiples variantes culturelles et comportementales du phénomène religieux. »
Le concept de religion englobe entre autres l’identité personnelle, sociale et ethnique, les croyances en l’audelà, en des êtres surnaturels et à la survie après la mort, l’appartenance à une communauté, l’adhésion à un code moral, la soumission à une autorité, la pratique de rituels individuels et collectifs, les émotions des profondeurs telles que le sentiment océanique, la transcendance et le sens du sacré. Si tous ces éléments entrent dans la composition de la religion, ils ne lui sont toutefois pas spécifiques ; ils ne sont religieux que clans la mesure où ils sont mis en relation avec le surnaturel.
Le seul élément qui, dans cet ensemble, soit propre à la religion est donc la croyance en un au-delà où existent des forces ou des agents avec qui le croyant dit communiquer ; cet élément est le seul qui soit à la fois nécessaire et suffisant pour délimiter le domaine du religieux. Il est à la fois central et commun à toutes les formes de religion. Ces agents immatériels peuvent être des entités très anthropomorphisées comme les divinités des mythologies ou être réduits à une force dotée d’intention comme le principe premier des déistes.
Ainsi donc, ce qui est propre, exclusif aux religions, c’est la présence de surnaturel. Or vous avez sans doute en mémoire le premier principe de la charte de l’AHQ : nous rejetons toute forme de surnaturel. Il s’ensuit qu’à aucun moment l’Humanisme proposé par l’AHQ peut être considéré une religion car il nous manque cet élément fondamental : la croyance au surnaturel. Pas d’action miraculeuse, pas de religion
Pourtant, il y a bien des personnes qui voient en notre mouvement une religion. Pourquoi ? Essentiellement parce nous tentons de combler plusieurs besoins humains qui ont été, historiquement, l’apanage des religions, au moins en Occident. Ces personnes font l’erreur de croire que tous ces autres éléments qu’on retrouve également dans les religions sont spécifiques aux religions. En particulier, l’adhésion à un code
moral, la pratique de rituels sociaux, et même le sens du sacré ne sont nullement des éléments exclusifs aux religions. On les retrouve dans toutes sortes de mouvements séculiers. La sainte flanelle du Club de hockey de Montréal est un exemple. De même il existe
plusieurs versions de la transcendance qui ne doivent rien au divin. Par exemple pour Marx, la transcendance est la capacité humaine de créer son avenir par son travail conscient au présent. D’ailleurs on avance souvent que l’avenir de l’humanité est la seule transcendance qui importe aux Humanistes.
Un autre exemple est le « sentiment océanique » pratiquement toujours associé par les croyants à une expérience mystique. De fait, c’est Sigmund Freud qui a attiré notre attention sur ce phénomène par sa correspondance avec Romain Rolland à partir de 1927. Ce dernier avait régulièrement des épisodes de « sentiment océanique », un moment qu’il décrit comme le sentiment de faire un avec l’univers. Ni Freud ni Rolland ne fournissent des explications satisfaisantes du phénomène qu’on interprète aujourd’hui tout bêtement comme une sorte d’anesthésie temporaire des circuits de proprioception. Ce qui est plus intéressant, c’est que le phénomène touche aussi bien des croyants, comme Rolland, que des athées tels que le philosophe Comte-Sponville qui en parle dans son livre « L’Esprit de l’athéisme ».
Avons-nous des rituels ? Si l’on désigne par rituels des cérémonies immuables, je suis obligé de répondre non. Toutefois nous avons bien des cérémonies telles que l’accueil et le mariage qui ont des points communs avec certains rites religieux mais ni plus ni moins que bien des
associations sans prétention religieuse.
Pour beaucoup de gens, et pratiquement toujours pour les croyants, les religions se distinguent par un code moral, qu’elles seraient seules en mesure de créer et de faire respecter. D’ailleurs plusieurs auteurs proposent que toute religion a au moins deux composantes : une cosmogonie et une morale qui se base sur cette cosmogonie. Mais selon cette définition l’humanisme pourrait alors être considéré
comme une religion puisque la cosmologie scientifique et la philosophie éthique dont nous nous réclamons correspondent en effet à cette définition. On voit tout de suite que l’élément critique est bel et bien le surnaturel et que si l’on oublie le surnaturel toutes les confusions sont possibles.
Tout cela nous ramène à ce premier article de notre charte et qui déclare sans ambiguïté que le surnaturel, aussi consolateur soit-il, n’a pas d’autre place chez les humanistes que celle d’objet d’étude dans les sciences humaines.
Reste à comprendre pourquoi il est nécessaire pour les humanistes de se préoccuper malgré tout des besoins humains actuellement comblés par les religions. Pouvons-nous ignorer sans péril ces éléments des religions qui ont souvent modelé des civilisations pendant des
siècles, voir des millénaires. Pouvons-nous ignorer ce puissant besoin de pérennité, si présent au cœur des religions qui promettent une forme de survie après la mort, pouvons-nous ignorer l’effet coopératif des religions alors que la racine possible du mot religion, religare signifie relier. Et surtout pouvons-nous ignorer qu’une conscience abandonnée à elle-même risque de succomber à un code moral inacceptable dans nos sociétés ?
Je ne suis évidement pas le premier à constater que le retrait des religions peut laisser un sentiment de manque, de vide, chez un certain nombre de nos concitoyens, mais pas tous, loin de là. D’autre part, le simple athéisme n’implique pas un code moral respectueux des droits de la personne. Il faut plus que cela. Les auteurs du premier Manifeste humaniste, en 1933, n’ont pas hésité à écrire qu’ils voulaient
créer un « humanisme religieux », un terme douteux qui n’a pas été repris depuis, car ils entendaient fournir un remplacement aux religions désuètes et dépassées par nos connaissances scientifiques et philosophiques. Même si le choix des termes était maladroit, les auteurs du premier manifeste humaniste avançaient dans la bonne direction. C’est encore aujourd’hui celle que toutes les associations humanistes de la planète suivent plus ou moins.
Cette direction, ce n’est pas clairement celle que vous trouverez dans les multiples définitions du terme humanisme que Wikipédia nous offre. Ces multiples définitions sont pratiquement toutes de nature purement philosophique. Elles évitent l’humanisme comme pratique vécue alors même que les exemples existent. Elles condamnent assez souvent l’humanisme pour ne pas avoir empêché la barbarie du XXe siècle, un mauvais procès largement causé par l’usurpation du terme par des mouvements qui n’avaient d’humaniste que le nom. J’en
parlerai une autre fois.
Aujourd’hui, ce que je veux souligner c’est qu’il est parfaitement possible de ne pas jeter le bébé humaniste avec l’eau du bain religieux. L’étude des religions en tant que pratiques vécues car les croyants nous renseigne surles ressorts profonds de notre commune humanité. Cela donne des résultats. Par exemple, nous savons que toutes les sociétés humaines ont établi des rituels qui permettent de catégoriser clairement les membres d’une tribu en membres libres ou membres attachés à un conjoint. En Occident on appelle cela le mariage. Il est bien antérieur à son annexion par l’Église romaine. L’illusion serait de croire que, parce que on ne croit plus au surnaturel, on ne croit
plus au mariage. Les statistiques de mariage nous prouvent le contraire. Aujourd’hui même, les taux des personnes arrivées à 65 ans s’étant mariés au moins une fois dans leur vie est supérieur à ce qu’il était il y a cinquante ans. On se marie plus tard, c’est tout. Dans les pays encore peu nombreux qui autorisent le mariage humaniste validé par l’état civil, la popularité de ce dernier est en progression
constante. En Écosse il dépasse maintenant toutes les autres dénominations sauf l’Église d’Écosse. L’Ontario devrait dépasser les 1000 mariages par an cette année.
Dans ce domaine précis des mariages, l’humanisme séculier est manifestement le successeur des religions. Par contre dans d’autres domaines nous sommes la négation de l’héritage religieux. Notre absence de texte sacré, de dogmes, notre capacité à évoluer avec les nouvelles connaissances acquises par la science, notre morale centrée sur l’analyse des conséquences plutôt que l’application aveugle de codes moraux inflexibles, et bien sûr, notre rejet du surnaturel, tout cela nous oppose vigoureusement aux religions. Alors, pour répondre à la question initiale, même si l’humanisme n’est pas une religion, il est vrai qu’il tend à occuper la niche écologique des religions et ce n’est pas un accident.
*Président, Association humaniste du Québec
Secretary, Humanist Canada
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