L’esprit et la partie informationnelle de soi

par Juil 9, 2018Articles de fond, Québec humaniste0 commentaires

Il y a assurément quelque chose de merveilleux dans notre capacité de penser et de vivre des choses. Que sommes-nous fondamentalement ? Pour ceux qui se considèrent spirituels mais non religieux, nous aurions une essence spirituelle. Aussi, toutes les religions du monde incluent dans leur vision une attention toute particulière à notre essence. Par exemple, pour la majorité de la chrétienté, nous aurions en tant qu’enfants de dieu une âme immortelle qui serait notre essence. Pour les bouddhistes il y aurait une essence qui se réincarne. 

Daniel Lachance prépare un grand livre technique et philosophique sur l’aspect informationnel du soi humain

Notre  vision   de   nous-mêmes a des conséquences. En fait, essentiellement comme un logiciel qui « traite » les choses selon son « code », ce que nous croyons, ce que nous pensons influence énormément notre vie. Mais sommes-nous obligés de laisser aux traditions spirituelles une place disproportionnée dans notre vision de notre essence? 

Et cette vision véhicule-t-elle une partie importante de vérité ? Pourquoi le leur laisser par défaut ? Et sans un esprit qui serait surnaturel, qu’est-ce qui fait de nous des êtres, des choses si extraordinaires ? Avec les avancements par la science de la connaissance nous sommes aptes à dire des choses vraies et déterminantes sur nous-mêmes.  

Puisqu’il n’y a pas de données justifiant la croyance à un dieu, que le surnaturel est tellement difficile à démontrer, qu’il est maintenant raisonnable de penser qu’il n’existe simplement pas, et que donc il n’y aurait probablement pas d’esprit surnaturel ni d’âme, que sommes-nous finalement ? C’est une question qui mérite une réponse approfondie. Il me semble que d’avoir une  réponse rationnelle qui colle férocement à la réalité serait d’une grande valeur. Après tout, comment ne pas augmenter ses probabilités d’être heureux et de mieux réussir sa vie en se connaissant bien soi-même ? Et de plus, de se connaitre, n’est-ce pas de connaitre en bonne partie l’autre ? 

Je me suis très longuement penché sur la question. À travers les années j’ai accumulé beaucoup de constatations, c’est le sujet de mon premier livre en travail. J’aimerais tout de même commencer à partager et dialoguer sur le sujet. J’espère que vous trouverez ça convaincant et enrichissant.

Fondamentalement donc, que sommes-nous ? Brièvement, le plus concret est le physique, évidemment. Notre corps est matériel. Il est indéniable ; il est palpable. Notre essence y est-elle? Dans notre physique, nous pouvons facilement nous diriger de la macro vers le microscopique. Nous pouvons passer de notre anatomie, avec nos membres et organes, et entrer dans des niveaux de grandeur hors de notre champ habituel. Avec des instruments comme les microscopes, nous constatons que notre corps est constitué de cellules, de tissu conjonctif qui eux-mêmes sont composés de toutes sortes de petites et grosses molécules : d’eau, de protéine, de lipides. Ces molécules sont elles-mêmes composées d’atomes  : hydrogène, carbone, potassium, calcium, fer. C’est connu. Notre essence, est-elle quelque part dans les éléments à un de ces niveaux de grandeur ? Personnellement, je trouve que malgré le fait que toutes ces choses sont vraies, elles ne me donnent pas une réponse satisfaisante sur notre essence. Ce n’est en fait certainement pas tout. Mon intuition de ce que

je suis fondamentalement me dit que je devrais englober quelque chose de mieux, de bien mieux. Et ici il y a une classe de molécules qui sont exceptionnelles par leur longueur (2 m déroulées) et leur fonction. Ce sont les chromosomes. Au microscope, rien de si extraordinaire. Toutefois, ici, il y a quelque chose de singulier. Ces chromosomes régularisent, orchestrent et élaborent avec un code notre corps et notre physiologie. Ils se reproduisent, se copient et ont évolué sur des milliards d’années. Déjà, ici ce n’est pas rien.

Maintenant, si nous nous penchons sur notre cerveau, nous  sommes capables de comprendre que par son anatomie et sa physiologie il y a en fait quelque chose d’informationnel qui se passe. Oui c’est un fait. Et ça, ça m’interpelle beaucoup parce qu’ici, il y a peut-être un aspect de moi-même, de nous-mêmes, qui serait un bon candidat pour compétitionner avec l’âme et l’esprit et les remplacer pour notre compréhension de nous-mêmes. Et il y a un fait indiscutable qui est que nous sommes activés par de l’information et le traitement de  l’information dans notre cerveau et au niveau de nos gènes.  

Voyons cela de plus près. L’information est codée dans l’ADN de nos cellules sous forme de morceaux de code appelés gènes. Cependant, de l’information il y en a beaucoup plus dans notre système nerveux. L’importance et l’ampleur de l’information et de la computation font que nous baignons effectivement dans l’information et le traitement de celle-ci. Et je ne fais pas référence aux médias. Notre acquis et notre inné sont composés d’information, de code. Notre ADN et notre système nerveux en sont les réceptacles. Sur cela, il ne devrait pas y avoir de débat. On a qu’à penser à l’importance du traitement de l’information pour la neuroscience, la psychiatrie, la psychologie et la génétique pour voir l’ampleur de cet aspect de notre constitution. Ce sont des sujets de science monumentaux. L’informationnel-
computationnel est très présent en nous. 

Pouvons-nous, devons-nous nous approprier le computationnel de nous-mêmes ? Est-il fondamental et beaucoup plus important que ce que les cultures actuelles véhiculent ? Je crois que oui. Définitivement oui. 

Premièrement, chez soi, chez l’être humain, le volume de notre information et sa spécificité peut-elle être suffisante pour être franchement satisfaisante ? En fait, l’ADN porte un volume d’informations surprenant, voire spectaculaire. L’ADN humain comporte un volume de l’ordre de 750 mégaoctets (Scott Christley, 2009,) répartis sur 46 chromosomes. Bien sûr que ceux-ci codent avant tout pour des protéines via les gènes. Mais ce code est bien réellement du code, de l’information, du data. Les protéines que les gènes codent avec notre ADN sont extrêmement complexes et d’une spécificité fantastique. Ce ne sont pas les protéines d’un vulgaire morceau de viande qui sera défait en ses
éléments d’acide aminé par la digestion. Non. Ce code est essentiel. Il détermine notre physionomie et physiologie, et même notre individualité. De plus, ce code, en fait, est pour nous, pratiquement, le plan et la méthode de construction de notre système nerveux et d’une sorte de firmware, BIOS. Nos gènes sont les codes de notre innéité. Il y a des exceptions mais le gros est encodé ici. Cela dit, le code enregistré dans notre ADN, nos gènes, n’est pas le contenu informationnel de notre système nerveux. Mais nos gènes donnent au système
nerveux un rôle et une importance fondamentaux, et de plus ils le construisent.

De mon point de vue, notre système nerveux accumule principalement 2 sortes d’informations acquises. La première est acquise avec notre vécu et la 2e sorte est acquise à travers notre culture. Voyons cela de plus près. Tous les animaux avec un système nerveux vont acquérir de l’information et cela sans vraie culture. Le goût du sucré, la douleur de tombée, l’odeur d’une pomme, l’image du visage de sa mère,
l’apprentissage de se mouvoir, sont toutes des informations que les animaux, comme nous, acquièrent sans culture et nous faisons la même chose. Cette information qui est acquise individuellement-personnellement je vais l’intituler l’information pénétique (mon adaptation du mot personnel, du mot gène et du mot mème de Richard Dawkins). L’acquis à partir de notre culture, et donc de ce que nous copions des autres, se dénomme « mèmes » et fait partie du champ d’études nommé « mèmétique ». Il y a donc une ligne conductrice de la génétique, à la pénétique, à la mémétique.  

La mémétique est monumentale pour l’être humain. Il s’agit d’information sur laquelle réfléchir dans le domaine de la culture. Daniel Dennett est un philosophe qui éclaircit ça. Le français, l’anglais, l’innu sont des langues et font donc partie de notre information et cela est localisé dans le cerveau. Les religions, la science, l’histoire, affirment des choses sur la réalité et nous permettent de réfléchir, mais aussi véhiculent une vision de la réalité. L’astrologie, les contes de fées et les histoires fantastiques comme Harry Potter sont réelles en tant qu’informations mémétiques mais ne reflètent pas la réalité objective. Peu importe. En tant qu’objets formationnels- computationnels, en tant que logiciels et données de nos cerveaux, ils existent.  

En toutes formes de vie, et encore plus chez les animaux à cause de leur système nerveux, et en nous en particulier, il y a cet aspect computationnel, informationnel qui est tout à fait extraordinaire. À titre d’exemple, une toute petite mouche à fruit, la drosophile, a 135,000 neurones qui se connectent entre eux des centaines de fois chacun. Cela lui permet de faire des choses exceptionnelles vu la
petite taille de la chose. Mais elle est du vivant et de plus elle est un animal avec un système nerveux. Elle est capable de plusieurs
comportements complexes comme se nourrir, se toiletter, voler, s’accoupler et apprendre. Et ce n’est qu’un exemple.  

Sur l’ampleur de l’informationnel nerveux.

Notre cerveau, c’est quoi? Il est surtout composé de neurones et d’éléments qui supportent ses fonctions. Chez l’être humain, il est gigantesque. Il se compose d’un nombre extraordinaire de cellules (Human brain, 2017) mais de plus d’un nombre inimaginable de connexions entre les neurones (un millier par neurone). Ceci confère au cerveau la capacité de gérer de l’information, de la stocker et de traiter. Et ce n’est pas peu dire. Le niveau de complexité est faramineux mais tout de même abordable.

Claude Shannon, mathématicien et père de la théorie de l’information

Avant la venue de l’ordinateur et l’ordinateur de poche qu’est le téléphone intelligent, nous ne pouvions pas au niveau de la conscience de la population saisir jusqu’à quel point nos neurones et notre génétique opéraient des fonctions computationnelles. Maintenant nous savons que cliquer sur un simple bouton à l’ordinateur peut mettre en branle une cascade très précise de causes à effets informatiques à travers un nombre important de câbles d’information et modems et  ordinateurs pour transférer par exemple des milliers de dollars d’un compte à un autre, de donner sa démission, de dire à notre conjointe que nous la rejoindrons au resto dans quelques minutes. Nous saisissons mieux maintenant qu’une chaîne informationnelle-computationnelle se met en branle lorsque nous répondons à un courriel ou un texto sur le téléphone intelligent.  

L’humanité est maintenant à l’aube de son réveil à l’égard de sa propre essence informationnelle. Elle est prête à cette prise de conscience. Similitude entre l’informationnel et le spirituel Maintenant que j’ai établi un point de départ informationnel de notre essence, j’aimerais démontrer comment similaire l’informationnel peut être au spirituel et comment il serait possible, voir important,
d’expliquer et de se réapproprier le spirituel par l’informationnel/ computationnel.  L’informationnel/computationnel est d’une importance capitale pour la vie. Pourtant, il a un côté éthérique, impalpable, singulier. Mais justement,  je propose qu’à défaut d’avoir une
compréhension plus exacte de cette réalité, l’humanité a tout de même développé le spirituel et éventuellement le religieux pour faire fonctionner innocemment cette réalité computationnelle, et pour cause. Cette réalité computationnelle est d’une importance fondamentale à la vie et l’évolution. Je n’exagère en rien. De ne pas prendre avantage et faire fonctionner cela est non fonctionnel. Tout le vivant s’y plie. Il n’a pas le choix. Cela est son essence même. Alors l’humain n’a eu aucun autre choix que d’en faire le mieux qu’il peut.  

Je crois que la plus grande critique au soi informationnel est formulée de la sorte : « Oui. Mais nous ne sommes pas vraiment comme des ordinateurs ». J’avance que cette critique est fausse. C’est une question d’échelle, de volume d’information, de méthode de programmation et de traitement, de comprendre l’évolution de nos systèmes, surtout nerveux et des notions d’agent. Finalement, oui, nous sommes en grande partie et essentiellement informationnels/computationnels. Et il est grand temps de se l’approprier, de l’apprécier et de s’y identifier.  

Le développement actuel de l’intelligence artificielle m’interpelle beaucoup. Il est tout à fait fascinant pour moi de voir comment nous arrivons à faire se programmer d’eux-mêmes des logiciels.  

Conclusion

Est-ce que cela peut tenir tête au concept si irrésistible de l’âme et de l’esprit ? Je pense que oui.  

Notre vie physique et physiologique sont en grande partie dictées par notre génétique. Notre vécu affectif et conscient sont pour leur part le fonctionnement de nos systèmes nerveux immensément complexes et individuels.  

Je crois que mon âme et mon esprit sont le fait de l’information (données et programmes) de mon inné et de mon acquis fonctionnant dans mon corps et particulièrement mon système nerveux et cela sans éléments surnaturels.  

Je crois que, pour marquer ce tournant de compréhension, les mots âme et esprit mériteront d’être abandonnés et remplacés par des mots avec beaucoup moins de bagages surnaturels. Il est temps pour moi de me ranger. Ce que l’humanité a depuis très longtemps considéré spirituel est la réalité informationnelle/computationnelle de soi. Je tiens à planter un drapeau ici.

L’idée d’une transition « douce » pour modifier la trajectoire délétère que nous avons prise est impossible, tout comme le maintien du paradigme de la croissance. Les défenseur.e.s de l’environnement et les militant.e.s pour le changement social doivent urgemment intégrer cet état de fait. Faut-il pour autant sombrer dans le désespoir? Au contraire! Il est impératif de définir les bases de nouveaux systèmes socioéconomiques qui survivront à la série d’effondrements à venir. Car c’est bien la fin d’un monde et le début d’un nouveau que nous devons bâtir. Retroussons-nous les manches, il est trop tard pour désespérer ! (source: Écosociété).

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