Mariage civil et « sacrement de mariage » : que de confusion !*
Daniel Baril
Daniel Baril a été journaliste à l’hebdomadaire Forum de l’Université de Montréal pendant près de 23 ans. Il est actuellement président du Mouvement laïque québécois (par intermittence pendant deux décennies) et a été également membre du conseil d’administration de l’Association humaniste du Québec. Il est le cofondateur du groupe Les Intellectuels pour la laïcité et co-rédacteur de la Déclaration pour un Québec
laïque et pluraliste.
Le gouvernement devra compléter la laïcisation de la procédure de mariage.
Le jugement de la juge Christiane Alary sur une requête en annulation des obligations légales d’un mariage dont le célébrant était un prêtre catholique et qui a été réalisé lors d’une cérémonie religieuse catholique, a fait couler beaucoup d’encre et a révélé une extrême confusion même chez plusieurs juristes.
La polémique porte sur l’obligation, pour le célébrant religieux, de transmettre ou non la déclaration de mariage au Directeur de l’état civil. Selon la juge Alary, le célébrant religieux n’a pas cette obligation si la cérémonie de mariage n’est que religieuse. Elle établit donc une distinction entre le sacrement et le statut civil de conjoints mariés dévolu par l’État.
Examinons ce premier élément. Le sacrement et le statut civil sont bel et bien deux choses différentes. La preuve en est que l’Église catholique, pour ne parler que d’elle, ne reconnait aucune valeur au mariage civil. Pour l’Église, l’union célébrée devant Dieu est indissoluble (sauf en de rares exceptions) alors que pour l’État le mariage peut être rompu à la demande des époux.
Sur le site internet du diocèse de Montréal, on peut lire :
« Pour l’Église, le mariage demeure indissoluble. […] Un mariage uniquement civil entre deux catholiques n’est pas un sacrement, et n’est pas reconnu par l’Église. Lorsqu’un mariage est dissous par le divorce, c’est le lien civil qui est rompu. Le lien religieux demeure si l’on s’est marié à l’Église. Lorsque le mariage à l’Église est reconnu invalide ou nul, le lien civil demeure tant qu’il n’y a pas eu divorce. »
Pour une fois, je suis d’accord avec le théologien protestant Olivier Bauer lorsqu’il écrit :
« dans une perspective protestante, cette chose [le « mariage religieux »] n’existe pas. Les Églises protestantes ne marient personne. Elles proposent des cérémonies où deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, témoignent de leur amour devant leurs familles et leurs ami.e.s, se font mutuellement des promesses, signifient leur alliance en échangeant des anneaux et demandent à Dieu, publiquement et « cérémonieusement », de les bénir, chacun individuellement et ensemble dans leur couple. »
Cela vaut pour toutes les religions et ce que décrit Bauer est ce que les religions appellent « sacrement de mariage » et que la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, a appelé « union spirituelle », un néologisme apparemment de son cru. Dans nos sociétés, le mariage proprement dit n’existe qu’en vertu de la loi et n’a donc de sens qu’aux yeux de l’État, c’est-à-dire l’autorité représentant le groupe social des conjoints. C’est comme ça depuis que l’union des conjoints a été institutionnalisée dans l’Antiquité afin de réguler les rapports sociaux de parenté. Le mariage a d’abord été un contrat social avant de devenir une obligation religieuse.
Le mariage peut être accompagné d’une cérémonie religieuse, mais cela n’en fait pas un « mariage religieux » qui serait distinct du « mariage civil ». Si le mariage est habituellement défini comme « l’union légitime de deux conjoints », le terme légitime réfère ici à l’autorité légale. Aux yeux de l’État, la bénédiction sacramentelle d’une union n’a aucune valeur et seule la partie civile de la cérémonie, c’est-à-dire la signature du registre civil, est reconnue.
La juge Alary a donc raison de faire la distinction qu’elle fait mais son jugement sème la confusion du fait qu’il reconnait aussi l’existence d’un « mariage religieux ». Si elle a raison du point de vue anthropologique, elle semble se tromper du point de vue juridique comme l’ont fait valoir certains juristes. Le premier ministre, Philippe Couillard, a eu lui aussi raison lorsqu’il a déclaré, en ramenant la ministre Vallée à l’ordre, que « le mariage est d’abord et avant tout un acte prévu par le Code civil » et comporte donc nécessairement « une contrepartie civile ».
Considérant ce qui précède, la juge Alary fait donc erreur en avançant qu’un ministre du culte n’a pas à transmettre la « déclaration de mariage » au Directeur de l’état civil puisque le mariage à proprement parler relève de la sanction de l’État.
Laïciser la procédure de mariage
Cette confusion vient du code civil lui-même où la laïcisation des registres de mariage n’a pas suivi la même logique que celle des registres de naissance. Avec la réforme du Code civil dans les années 90, seuls les médecins accoucheurs sont désormais habilités à déclarer les naissances à l’État alors qu’auparavant les ministres du culte pouvaient le faire avec le registre de baptême qui tenait lieu de registre civil. Le retrait de ce rôle de fonctionnaire civil attribué aux ministres religieux pour les naissances n’a aucunement empêché qui que ce soit de faire baptiser ses enfants.
Pour le registre de mariage, l’État a maintenu le rôle de fonctionnaire civil attribué par la tradition aux ministres de culte alors qu’il aurait dû séparer cette tâche des fonctions remplies par le célébrant religieux. Comme dans le cas du baptême, cela n’aurait pas empêché qui que ce soit de faire bénir leur union par un célébrant religieux si tel était leur vœu. Les deux cérémonies pourraient d’ailleurs se tenir de façon concomitante, la déclaration de mariage étant assumée par un célébrant civil, suivie de la cérémonie religieuse.
Par ailleurs, si les religions ne reconnaissent pas le mariage civil, comment peut-on continuer de leur demander d’assumer ce rôle? Le jugement Alary met en évidence la nécessité de procéder à une véritable laïcisation des registres de mariage. L’attribution aux ministres de culte de cette responsabilité civile est d’ailleurs porteuse de discrimination puisque le Code civil n’accorde pas ce même privilège aux représentants d’organismes à philosophie non religieuse. Une plainte de l’Association humaniste du Québec qui réclame le même privilège que celui concédé aux religions est présentement à l’étape de l’enquête à la Commission des droits de la personne.
Le gouvernement n’a pas le choix et devra procéder à une réforme de la procédure de mariage et en compléter la laïcisation.
* Texte reproduit du blogue « Raison et laïcité » du journal Voir.
NDLR La Commission des droits de la personne a rendu son jugement après la rédaction du texte ci-haut. L’avis de CDP rejette la demande de l’AHQ en faisant valoir que la loi privilégie les religions et que l’AHQ n’est pas une religion… À suivre.
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