La science n’a rien à gagner d’un dialogue avec la religion*

par Avr 25, 2016Livres, Québec humaniste, Religions, sciences0 commentaires

Daniel Baril

Daniel Baril

Daniel Baril a été journaliste à l’hebdomadaire Forum de l’Université de Montréal pendant près de 23 ans. Il est actuellement président du Mouvement laïque québécois (par intermittence pendant deux décennies) et a été également membre du conseil d’administration de l’Association humaniste du Québec. Il est le cofondateur du groupe Les Intellectuels pour la laïcité et co-rédacteur de la Déclaration pour un Québec
laïque et pluraliste. 

Le retour du religieux ne s’observe pas que dans le domaine politique et social. Même la science est la cible de ce « ré enchantement du monde », pour ne pas dire de ce nouvel obscurantisme, qui prend la forme d’un « appel au dialogue » entre science et religion.

C’est à cet « impossible dialogue » qu’Yves Gingras, historien des sciences à l’Université du Québec à Montréal, consacre son dernier essai (paru chez Boréal) portant sur les rapports entre sciences et religions, deux domaines dont les objectifs et la « méthode » n’ont rien en commun. Plusieurs scientifiques auraient eux-mêmes succombé à ce chant des sirènes.

La « Révélation » contre la science

D’emblée, l’auteur nous avise qu’il ne traitera que des institutions religieuses monothéistes que sont le judaïsme, le christianisme et l’islam parce que le conflit entre science et religion provient essentiellement du caractère prétendument révélé que ces religions attribuent à leurs croyances. Il définit la science comme une tentative « de comprendre des phénomènes observables par des concepts et des théories qui ne font appel à aucune cause surnaturelle ».

À son avis, le dialogue est impossible parce que pour qu’il y ait dialogue, il faut « un échange d’arguments en vue d’en arriver à établir une thèse, une théorie ou même un état de fait, qui peut faire consensus parmi les personnes concernées ». La religion n’a rien de constructif à apporter à cette recherche. « L’échange est unidirectionnel, du scientifique vers le croyant », poursuit Gingras.

Depuis l’avènement de la méthode scientifique au 17e siècle, la science n’a jamais révisé ses théories devant les prétentions des religions. C’est toujours l’inverse qui s’est fait. Et la demande de dialogue vient toujours du côté des religions parce que la science n’a rien à en tirer. (Si vous voulez voir à quoi rime un tel « échange » lorsqu’il a lieu, vous en avez un exemple dans la correspondance entre le biologiste Cyrille Barrette et le jésuite Jean-Guy Saint-Arnaud que je présente dans cet autre texte que j’avais moi aussi titré L’impossible dialogue entre science et religion.)

Après avoir présenté l’histoire du divorce entre science et religion, de Galilée jusqu’à la révolution darwinienne, Yves Gingras nous montre comment la religion, depuis les années 1980, cherche à réinvestir insidieusement et avec force le domaine scientifique. Pour illustrer le phénomène, il présente une série de graphiques sur l’occurrence des mots science et religion repérée dans la littérature mondiale (anglophone et francophone) entre 1800 et aujourd’hui. On note une montée très marquée de l’usage combiné de ces deux mots dans les titres des publications à partir de 1982, principalement dans le corpus anglais. Dans ce même corpus, l’expression « dialogue between science and religion » connait un incroyable pic de 650 000 occurrences en 2001, comparativement à près de zéro occurrence avant 1978.

Toute cette littérature tend principalement à soutenir qu’il n’y a pas de conflit entre science et religion, à l’encontre du gros bon sens. Le livre d’Yves Gingras s’inscrit donc à contrecourant d’un inquiétant mouvement. Ces observations rejoignent par ailleurs l’étude de Serge Larivée réalisée au Québec en 2011 et qui montrait que pour un livre de science en librairie, on trouve plus de 8 livres de pseudoscience.

La Fondation Templeton au banc des accusés

Selon l’historien, cette intrusion de la religion dans la science, exprimée sous forme d’« appel au dialogue », est principalement le résultat du travail de la Fondation Templeton et du prix du même nom. Créés par le milliardaire John Templeton, ce prix, cette fondation et les éditions qui ont suivi inondent chaque année les milieux universitaires de dizaines de millions de dollars destinés à souligner un travail visant à rapprocher la science de la religion et à financer des travaux et des conférences sur ce thème.

C’est ainsi qu’on a vu apparaitre, dans les facultés de médecine, des dizaines de cours sur les liens entre spiritualité et santé. Même la très puissante American Association for the Advancement of Science a accepté de parrainer un projet de 5 M$ de la Fondation Templeton pour promouvoir le dialogue entre science et religion. Au Québec, le philosophe Charles Taylor a été récipiendaire du prix Templeton. La théologienne Solange Lefebvre a pour sa part tenu une chaire de recherche financée par cette fondation. Mario Beauregard, qui cherchait la présence de Dieu dans l’IRM de carmélites en prière, a lui aussi bénéficié du financement de la Fondation Templeton.

Plusieurs lecteurs seront étonnés de trouver des noms tels que Ilya Prigogine (prix Nobel de chimie ), Leon Lederman (prix Nobel de physique), Charles Townes (prix Nobel de physique), Francis Collins (séquençage du génome humain) ou encore Stephen Hawking (travaux sur la gravité quantique) parmi les savants qui ont porté flanc à cette entreprise de séduction en jouant, chacun à leur façon, sur l’ambigüité d’expressions liées au domaine religieux afin de charmer, voire rassurer, le grand public.

« La confusion intellectuelle n’épargne pas nécessairement les scientifiques nobélisés », souligne Gingras. Il décèle chez ces scientifiques imprudents et de nombreux autres une tentative « de réenchanter le monde que la science a pourtant pour fonction de démystifier ».

Hérésies et NOMA

Si la foi n’apporte rien à la science, en quoi cela pose-t-il un problème ?, pourrait-on se demander. Pour Yves Gingras, le phénomène révèle une confusion intellectuelle, une dérive qui dénature et travestit les connaissances scientifiques. Une dérive qui, au nom du dialogue et de la complaisance, peut conduire à l’enseignement du créationnisme à l’école, à nier les changements climatiques au nom de la Genèse, à utiliser la physique quantique pour démontrer la réincarnation, à accepter l’autocensure et renoncer aux connaissances. Dans des situations plus graves, cela peut conduire à refuser le vaccin contre la rougeole au nom de sa religion et au péril de la santé publique. Pire encore, à remplacer, par des rituels chamaniques, des traitements médicaux éprouvés contre la leucémie comme on l’a vu en Ontario où une jeune autochtone est décédée après qu’un juge amérindien ait accordé à ses parents le droit de recourir exclusivement à la « médecine traditionnelle ». Bref, cela laisse libre cours à la pensée magique et aux superstitions.

Cet aspect de la dérive est toutefois insuffisamment développé dans ce volume dont l’approche est celle de l’« historien engagé ». Une fois que l’on a dit que le créationnisme, le finalisme, le fine tuning ou le principe anthropique diffèrent de ce que nous disent les sciences, la démonstration qu’il s’agit d’hérésies reste à faire. Un volume complet serait évidemment nécessaire dans chacun de ces cas, ce qui n’était pas le but de ce volume qui demeure un incontournable dans l’histoire des sciences.

Plusieurs citations de philosophes, de scientifiques et de religieux apportées par l’auteur pour étayer que science et religion n’ont rien en commun pourraient par ailleurs être tout à fait acceptables aux yeux des tenants de la théorie du NOMA (NonOverlapping Magisteria) de Stephen Jay Gould. Selon cette idée, la science et la religion sont deux domaines distincts qui peuvent évoluer sans empiéter l’un sur l’autre et même sans se contredire. Au final, ils seraient complémentaires.

Comme le concept est curieusement absent de l’Impossible dialogue, j’ai demandé à l’auteur de me préciser sa pensée sur le sujet. « C’est consciemment que je ne parle pas de NOMA », répond-il. « On parle de ce concept uniquement parce que ça vient de Gould qui était un personnage médiatique. Son NOMA est une confusion entre ce qui est et ce qui devrait être : il dit qu’il ne devrait pas y avoir conflit entre science et religion mais en fait il y a bel et bien conflit. Les historiens et les sociologues doivent expliquer la réalité et non énoncer des vœux pieux. »

Dans sa conclusion, Yves Gingras invite à faire « le pari de la raison ». Mais c’est une phrase de son introduction, empruntée à Schopenhauer, qui me permet ici de conclure : « on ne peut servir deux maitres à la fois: c’est ou bien la raison ou bien l’Écriture. Juste milieu signifie ici s’assoir entre deux chaises ».

* Texte reproduit du blogue « Raison et laïcité » du journal Voir.

 

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