Y a-t-il un grand architecte dans l’Univers ? Compte-rendu de lecture

par Nov 17, 2015Livres, Québec humaniste, sciences0 commentaires

CLAUDE BRAUN

CLAUDE BRAUN

Administrateur et éditeur en chef du "Québec humaniste"

Claude Braun a été professeur de neurosciences cognitives à l'UQAM de nombreuses années. Retraité depuis peu, Il a publié nombres de documents de recherches sur le sujet. Il a été également éditeur du "Québec laïque"  et est depuis quelques années l'éditeur en chef  de notre revue "Québec humaniste" Il a également publié "Québec Athée" en 2010. Téléchargeable gratuitement en utilisant ce lien avec  les compliments de l'auteur.

si il n’y n’y a qu’un seul livre paru en 2014 à placer dans votre bibliothèque d’athéologie il faut que ce soit celui-ci : Y a-t-il un grand architecte dans l’Univers ?, écrit par les physiciens Stephen Hawking et Leonard Mlodinow, publié chez Odile Jacob. Vous seriez pourtant en droit d’être dubitatifs. D’autres physiciens, tels Carl Sagan, Victor Stenger, Neil DeGrass- Tyson et Lawrence Kraus ont tenté de prendre position, en tant que physiciens, sur le terrain de la physique, contre le créationnisme ou le dessein intelligent. Les textes des physiciens-vulgarisateurs n’ont généralement pas vraiment réussi à passer la rampe quant à cet objectif précis bien que tous ces physiciens aient été d’excellents vulgarisateurs. Hawking avait aussi failli à la tâche avec sa Brève histoire du temps… À la décharge des physiciens, je trouve que le physicien Robert Bernier, membre de notre association, a tout de même écrit d’excellents textes sur la question [1]. Voici que le tandem de physiciens Hawking/Mlodinow réussit enfin …, beaucoup mieux que les prédécesseurs, à résumer la physique moderne tout en rejetant explicitement la création surnaturelle. Je pense que la clé du succès de H & M a été tout simplement de se centrer sur un objectif précis : chercher délibérément et sans détour à offrir une meilleure alternative cosmogonique pour le grand public au déisme ou à la religion.

On trouve dans ce livre des éléments intrigants de l’histoire des grandes idées en physique rapportées en tandem avec la vision cosmogonique des physiciens théoriciens d’autrefois. Saviez vous que la première véritable loi de la physique, selon H & M, date de Newton en 1687 ? Ni Ptolémée ni Galilée ne s’exprimaient, selon H & M, en termes de véritables lois ! N’est-elle pas bien jeune la physique scientifique ? Saviez-vous que tous les grands physiciens furent déistes ou croyants jusqu’à Pierre-Simon de LaPlace (1749-1827) ? Une galerie de kiosques de fête foraine donc, jusqu’au 19e siècle… Saviez-vous que Michel Faraday (1791-1867) était un pauvre bougre sans éducation (il ne fit qu’un peu d’école primaire), tailleur de pavés (cobblestones) de métier ? Que cet homme a unifié deux des quatre grandes forces, le magnétisme et l’électricité ? Que cet homme, concret comme un charretier, incapable de manipuler la moindre formule mathématique, a conceptualisé le premier la notion de « champ de force » parce qu’incapable d’accepter que des forces puissent agir à travers le vide ? C’est donc cet autodidacte qui a servi la table pour Einstein. Ses concepts invitaient à penser l’extrêmement petit et l’extrêmement grand dans une même brassée. Saviez-vous que la théorie de la relativité d’Einstein, datant de 1915, est fausse parce qu’Einstein supposait à cette époque que l’univers est stable ? Il devint immédiatement apparent qu’un des termes de la formule d’Einstein, sa constante cosmologique, était faux, lorsque l’astronome Edwin Hubble observa vers 1929 au télescope que tous les corps célestes s’éloignent les uns des autres…

On trouve aussi dans ce livre de H & M les meilleures moqueries de la cosmogonie religieuse. Mais surtout et ce qui est plus important, on y trouve de bonnes explications du besoin que les gens ont eu d’expliquer tant bien et plutôt très mal les phénomènes naturels. Saviez-vous qu’en Afrique centrale il y a un peuple, la nation Boshongo, qui croit à un dieu nommé « Bumba » ayant créé le monde lors d’un haut-le-coeur ? Il aurait d’abord vomi les gros morceaux, terres, océans, etc. Comme vous le savez, il arrive qu’on vomisse en cascade décroissante. Bumba aurait eu d’autres hauts-le-coeur menant au vomissement des plantes, animaux et humains.

On trouve dans ce livre une légèreté et une simplicité exemplaires pour expliquer les idées des grands penseurs de la physique. Au lieu d’essayer d’écraser le néophyte avec un jargon impénétrable, les auteurs choisissent savamment les problèmes qu’ils aborderont afin de les expliquer en termes très visualisables, illustrations à l’appui. Nulle part ailleurs n’ai-je pu lire une explication plus éclairante (pour l’ignare que je suis en physique) du paradoxe onde/particule de la lumière. Pour vous aguicher, je ne vous révèlerai que ceci : jetez deux cailloux dans un étang et voyez le motif d’interférence des vaguelettes. Bombardez un écran fendu à deux endroits avec des particules subatomiques et voyez le même pattern de vaguelettes émerger sur la surface captatrice située derrière les fentes… Et même si l’univers ne ressemble en rien à la surface d’un « ballon gonflable », ne commence-t-on pas au moins à comprendre l’inflation universelle (big bang) en imaginant un motif en expansion sur l’univers en train de se gonfler ?

Du même coup, pourquoi ne pas enchainer avec le multivers de Feinman ? Contrairement à ce que je croyais, le multivers n’est pas la multiplication des « big bang », du moins pas celui de H & M. Ce sont les dimensions requises pour comprendre les comportements de particules subatomiques : des univers distincts qui coexistent avec le nôtre et que nous ne pouvons voir. Selon la dernière mouture de la théorie générale de tout ce qui existe, la M-théorie (intégration des quatre grandes forces de la physique, électrique, magnétique, nucléaire forte et faible), écrivent H & M, il y aurait 10 dimensions de l’espace et une seule dimension du temps. La M-théorie intègrerait les théories de supersymétrie, des cordes et de supergravité… (je n’essaierai pas de vous les expliquer ici). Les champs, en physique moderne, sont des espace/ temps, écrivent H & M, et sept des dix premières dimensions sont trop recroquevillées (« curled ») pour qu’on puisse les observer directement ou en sentir la présence.

Saviez-vous que les GPS modernes ne se limitent pas à la théorie de Newton, mais sont basés directement sur la théorie de la relativité ? Saviez-vous, et ce n’est pas étranger à ce qui précède, que les trajets d’avion sont courbés sur deux axes à cause de la courbature de la terre elle-même ? Le trajet New York/Madrid serait 398 km plus long si on suivait la surface courbée de la terre en ligne droite…

On trouve dans ce livre de nombreux renvois à la condition humaine, c’est-à-dire qu’on réfléchit aux réalités physiques nécessaires pour que puissent exister des entités vivantes. On dénomme ces questions « principe anthropique » dont on distingue une version « faible » et une version « forte ». La version faible part de la constatation que l’univers doit être particulier pour que la vie ait pu en émerger. La version forte stipule que l’univers doit être extrêmement particulier pour que l’intelligence humaine ait pu en émerger.

Que nous apprend la physique sur les conditions nécessaires pour la vie (incluant humaine) ? Évoquons d’abord un texte de notre camarade, le physicien Richard Rousseau, qui y faisait valoir que pour que la vie ait une pérennité, il faut de grosses planètes en orbite externe pour attirer gravitationnellement les astéroïdes afin qu’ils ne heurtent pas la planète porteuse de vie [2]. Hawking et Mlodinow ne mentionnent pas ce point, mais ils en mentionnent plusieurs autres. Par exemple, la vie pourrait-elle exister sur une planète orbitant plusieurs soleils ? C’est peu probable, écrivent-ils. Les variations de température seraient beaucoup trop grandes. La vie pourrait-elle exister sur une planète en orbite formant une ellipse très plate autour du soleil ? Probablement pas, écrivent-ils, car encore là, les variations de température (sans mentionner d’attraction gravitationnelle) seraient trop grandes… Il en va de même pour les masses relatives du soleil et de la planète nourricière et de la distance entre les deux : tout cela doit respecter une « fonction » très serrée. Il y a donc une zone dans le déploiement universel de la matière, appelée Goldilock (boucle d’or) d’après l’histoire des frères Grimm…, hautement particulière, hautement improbable, très atypique du reste de l’univers, et très salutaire, où la vie a pu fleurir (principe anthropique faible). Et ce qui semble étonner beaucoup les physiciens, c’est que les lois les plus générales de l’univers sont les seules qui eurent pu créer non seulement le grand univers hostile à la vie, mais aussi les très rares et minuscules pochettes d’exception… (principe anthropique fort).

Toute vie est essentiellement composée de carbone. On imagine mal d’autres éléments qui eurent pu faire l’affaire (H & M démolissent le silicium comme alternative plausible). Or d’où vient le carbone ? Cet atome lourd ne peut provenir que des fourneaux nucléaires au coeur de soleils antiques. Mais pour que le carbone soit présent et disponible sur une planète non en combustion, il faut que la supernova d’origine ait explosé produisant par réagrégation des systèmes planétaires secondaires à cette explosion où le carbone serait devenu disponible sous forme refroidie et en surface. Bref, contrairement à l’adage d’Hubert Reeves voulant que nous soyons des « poussières d’étoiles », nous sommes des poussières de poussières d’étoiles. Et nous ne provenons pas directement du « big bang » mais d’un « mini bang » local. On a estimé à 10 milliards d’années le temps que ça prend pour que les supernovas commencent à exploser localement. Sachant que la vie a été antidatée à environ 3.6 milliards d’années avec les techniques modernes de datation du carbone, et étant donné que le big bang est estimé à 13.7 milliards d’années dans le passé, il apparaît impressionnant que ces chiffres s’alignent si bien. C’est comme si la vie était apparue dès qu’humainement possible… Comme si un dessein intelligent se profilait derrière la chose… (principe anthropique religieux ou hyper-fort).

Et pourtant, dans leur dernier chapitre, H & M se refusent à cette inférence, celle de la création ou du dessein intelligent, qui leur apparaît invraisemblable. Leur argumentaire se déploie en deux temps, un premier dénommé le « jeu-de-la-vie » et un deuxième dénommé « l’univers à somme nulle ».

Le « jeu-de-la-vie est un logiciel inventé par John Conway, mathématicien de l’Université Cambridge. Ce logiciel place en vrac quelques jetons impartis de mouvements simples, essentiellement au hasard. Le sort de ces jetons n’est régi que par trois règles : 

  1. un jeton « vivant » apposé à deux ou trois autres jetons survit
  2. un jeton « mort » avec exactement trois voisins prend vie
  3. toute autre situation tue le jeton, soit par solitude ou par surpopulation…

Ne reste plus qu’à lancer le logiciel et regarder ce qui se passe. Ce qui se passe est absolument étonnant. On observe à l’écran des « trafics », la formation de meutes, de villages, de cités, le passage de générations, des guerres et des pacifications… Les jetons se comportent comme s’ils étaient « intelligents ». Le point que veulent faire H & M ici est que la nature a la capacité d’auto-organisation, de production de structures complexes à partir de quelques règles toutes simples.

L’argument final de H & M contre l’existence d’un grand architecte de l’univers relève strictement de la physique et de celle-ci en entier. Comprenons d’abord qu’en physique contemporaine le vide absolu n’existe pas : il fourmille d’entités, il forme un champ continu. Tout est espace-temps plein. Cet univers est à charge totale nulle. C’est-à-dire qu’il y a exactement autant d’énergie négative que positive dans l’univers. Ce n’est que l’énergie positive qui prend l’allure d’objets. Cependant, la constitution de ces derniers ne se fait que par « don » de quantités commensurables d’énergie négative. Ce « don » peut être conçu comme un « travail » de la matière, lui-même assimilable au « mouvement ». Tout est en mouvement et tout est en changement. C’est pourquoi tout ne peut arriver n’importe où ni n’importe comment.

Bref, rien ne peut venir de « rien » sauf l’univers lui-même, qui a toujours été et sera toujours, en quelque sorte… rien, une balance d’énergie négative et positive, une balance dynamique, en traction. La théorie qui quantifie tout ça, la M-théorie, est une théorie de « tout ce qui existe ». Elle est une famille de lois quantitatives ne souffrant aucune exception. Elle génère de nombreuses prédictions qui passent constamment les tests de véridicité… jusqu’à maintenant. Elle n’a pas encore été réfutée. Bien entendu cette théorie est en construction. De grandes surprises pourraient très bien retourner les physiciens théoriciens à leurs tables de travail. Le Boson de Higgs n’a-t-il pas récemment présenté des propriétés imprévues par tous ? Mais avec une telle puissance explicative déjà en mains, accordons à H & M qu’il n’y a nul besoin de Bumbas, de Yahwehs, ou de tortues célestes pour expliquer le monde. 

  1. Bernier, R. (2010). L’Enfant, le lion, le chameau. Auto-édition. et Bernier, R. (2012). Dessein intelligent :Dernière mouture du Créationnisme (2012). Québec humaniste, Vol 7, No 4, pp 18-22.
  1. Rousseau, R. (2011). Les conditions physiques de la vie. Québec humaniste, Vol 6, No 2, pp. 15-20.

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