Mot du président – Blasphème

par Mar 30, 2015À propos de l'AHQ, Mot du président, Québec humaniste0 commentaires

Michel Virard

Michel Virard

Président de l'AHQ

Michel Virard est un des fondateurs de l’AHQ en 2005 avec Bernard Cloutier et Normand Baillargeon. Ingénieur et entrepreneur, il a également été administrateur des Sceptiques du Québec. il est depuis les tout débuts l’une des âmes dirigeantes de l’AHQ.

« Blasphème » du latin blasphemia, signifie « faire injure à la réputation », c‘est-à-dire « diffamer ». Au fil des siècles, le mot s’appliquera uniquement à l’insulte à la religion. En ce début de 2015, le monde occidental semble découvrir avec stupeur que les blasphémophobes torturent et tuent toujours et avec une régularité de métronome, et cela ne se passe plus seulement dans les théocraties arriérées. De coups de feu en coups de fouet, nous apprenions que la bête immonde que tous les humanistes croyaient moribonde a repris de la vigueur. Cette horreur se manifeste en pays de charia d’abord, car aussi bien au Pakistan qu’en Arabie Saoudite la persécution des blasphémateurs, réels ou imaginés, ne montre aucun essoufflement.

Samedi 8 février l’Arabie Saoudite a pour la première fois fait mention du cas Raïf Badawi alors que Sigmar Gabriel, ministre allemand, arrivait avec une requête en sa faveur, en disant qu’elle « exprimait son intense surprise et sa déception » de la couverture médiatique internationale du cas Badawi (condamné à 1000 coups de fouet). Le porte-parole du ministère des affaires étrangères cité par l’Agence de presse officielle, a déclaré que le royaume « n’accepte aucune interférence dans ses affaires intérieures » ajoutant que sa justice était impartiale et indépendante. En fait, au moment où j’écris ces lignes, Raïf Badawi risque maintenant la peine de mort, son cas devant être revu par la Cour suprême de la bienheureuse théocratie où les athées sont désormais officiellement assimilés aux terroristes. Entretemps son avocat a écopé de 15 ans de prison. Charmant pays.

À Paris, ce sont les caricaturistes qui sont dans la ligne de mire de tueurs intoxiqués par une idéologie politico-religieuse totalitaire dans laquelle le blasphème est le péché suprême. Bilan de janvier : vingt morts.

À Copenhague, une réunion dans un café, précisément sur la liberté d’expression, attire un autre tueur du même modèle.

Aux Nations-Unies, poussé par le groupe des pays islamiques, le Conseil des droits de l’Homme continue de voter des résolutions exigeant des poursuites contre ceux qui « insultent la religion ». Mais, n’est-ce pas, cela ne peut pas arriver en notre « plus beau pays du monde », le Canada ? Désolé de vous décevoir. Nous faisons partie de ces pays occidentaux négligents ou hypocrites, au choix, qui ont encore des lois contre le blasphème. Depuis 1892, mes chers concitoyens humanistes, vous êtes passibles de deux ans de prison si vous dites des choses du genre :

-appeler Dieu « un vieil irascible qui tonne des imprécations (irate Old Party who thunders imprecations) et qui préfère l’odeur des côtelettes rôties à celles de la soupe au chou ».

-appeler Dieu « un mégalomane frénétique ». (je ne fais que citer le procès Sterry de 1927).

La Couronne a paru particulièrement offensée par la suggestion que Dieu pourrait préférer les côtelettes rôties. Le jury a pris seulement 25 minutes pour trouver Sterry coupable. Il fut condamné à 60 jours de prison et éventuellement déporté en Angleterre, d’où il était originaire. Son magazine, le Christian Inquirer, était une sorte de Charlie Hebdo de cette époque et de ce lieu, l’Ontario. Vous pourriez hausser les épaules et dire : c’était il y a 90 ans; aujourd’hui la loi sur la « libelle blasphématoire » c296 serait déclarée inconstitutionnelle. Ah oui ? Vous avez 100 000$ à perdre en frais de justice ? Même sans aller en Cour suprême, les tracasseries produites par cette loi sont bien concrètes comme ce nouvel incident, aussi récent que 1980, le prouve. A Sault-Sainte-Marie, un vicaire anglican n’ayant pas trouvé à son goût le film Life of Brian (une parodie de la vie de Jésus-Christ) a déclenché une poursuite en libelle blasphématoire contre la salle de cinéma qui projetait le film, démontrant ainsi que l’article c296 est toujours opératoire. Le procureur de la couronne pour l’Ontario a cependant étouffé une affaire dont le propriétaire du cinéma se serait certainement bien passé. Mais cet article c296 a un effet autrement plus pernicieux que celui qu’il pourrait avoir occasionnellement sur des Canadiens. Il participe, avec les lois similaires en Occident, à une entreprise de justification des lois sur le blasphème dans les pays où on ne rigole pas du tout avec le respect total dû aux divinités. L’histoire de Sterry vous a peut-être fait sourire, mais traiter Allah, ou pire, Mahomet, de « mégalomane frénétique » sur une page Facebook en Arabie Saoudite risquerait fort de vous coûter la peau du dos, sinon la vie.

C’est bien là le nœud du problème : tant que les pays occidentaux conserveront des lois archaïques telles celles sur le blasphème, nous servirons de caution à des pratiques immondes. Nous ne pouvons pas décemment exiger de ces pays qu’ils cessent de sanctionner les blasphèmes alors que nous-mêmes avons des lois sur le blasphème. Quand bien même les sanctions seraient très différentes, les apôtres totalitaires auront toujours beau jeu de souligner que nous ne différons d’eux que par le degré de la sanction et non par la nature de l’offense.

C’est pour tout cela, chers amis, que l’Association humaniste du Québec et Humanist Canada ont décidé de présenter une pétition au Parlement du Canada afin d’abroger l’article c296 du Code criminel du Canada. Dans cette entreprise nous serons certainement aidés par l’ICABL (International Coalition Against Blasphemy Laws) dont nous sommes également membre fondateur (voir la charte de la coalition page suivante).

J’ose espérer que vous aurez à cœur de soutenir une cause qui nous est chère : le soutien de tous les libres-penseurs, athées, agnostiques, humanistes qui sont souvent les principales victimes des lois anti-blasphème, que ce soit ici ou ailleurs. Manifester avec des pancartes « Libérez Raïf » ou « Je suis Charlie », c’était nécessaire, mais changer les lois et les mœurs c’est encore mieux. Ça prendra le temps qu’il faudra, mais nous y arriverons, je compte sur vous. Entretemps, si ce n’est déjà fait, n’oubliez pas de renouveler votre cotisation annuelle pour 2015 et si vous le pouvez, nous faire un don car nos bénévoles ne peuvent pas tout faire. (http://assohum.org)

Charte de la Coalition Internationale Contre les Lois sur le Blasphème

(International Coalition Against Blasphemy Laws « ICABL » – 2015)

  1. Nous sommes une coalition internationale d’organismes voués à l’abolition des lois sur le blasphème, où qu’elles existent.
    2. Notre but :
    a) faire de l’éducation populaire sur ce sujet, partout dans le monde;
    b) prendre la défense des personnes qui sont victimes de ces lois;
    c) exercer des pressions auprès des gouvernements pour qu’ils abolissent ces lois comme le recommandent avec insistance
    les experts juridiques.
    3. Nous affirmons qu’il est parfaitement légitime de discuter, de critiquer et de tourner en ridicule des idées et des croyances,
    même si cela choque d’autres personnes. Les êtres humains ont des droits, les croyances n’en ont pas.
    4. À l’égard des lois concernant la liberté d’expression, lois qui protègent les individus et non les idées, les membres de la
    coalition ont toute latitude pour juger de ce qu’il convient de faire.
    5. Nous considérons que les lois sur le blasphème sont dangereuses, car :
    a) elles entravent la liberté d’expression et sont contraires au principe d’égalité;
    b) leur application rigoureuse brime les droits de la personne partout dans le monde;
    c) les lois qui existent sans être appliquées justifient l’existence de celles qui sont mises en application;
    d) la législation et les instances de gouvernance à l’échelle internationale ont condamné ces lois;
    e) les lois sur le blasphème se cachent parfois sous un autre nom.

 

Traduction par Jean Delisles, traducteur et membre AHQ

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