Voudra t-on embrasser la modernité au Québec ?

par Nov 8, 2014Articles de fond, Mot du président, Québec humaniste, Qui sommes-nous?0 commentaires

Michel Virard

Michel Virard

Président de l'AHQ

Michel Virard est un des fondateurs de l’AHQ en 2005 avec Bernard Cloutier et Normand Baillargeon. Ingénieur et entrepreneur, il a également été administrateur des Sceptiques du Québec. il est depuis les tout débuts l’une des âmes dirigeantes de l’AHQ. 

Coup sur coup deux événements d’octobre 2014 m’ont rappelé un article que j’avais écrit en 2008 et jamais publié par peur de choquer mes amis. Je pense cependant qu’il faut en parler car ces deux événements me montrent que l’évolution espérée ne se fait pas encore ou pas assez vite. Le premier événement est la publication des scores réalisés par les enfants québécois (13 ans) aux tests pancanadiens. Ces tests montrent une certaine excellence en mathématique et une déficience en sciences (et un peu en lecture) comparées aux autres enfants canadiens. L’autre événement c’est la remise des Prix Nobel scientifiques. Cette année un chercheur britannique qui a fait son doctorat à McGill a décroché la récompense suprême. Il n’est pas le premier, avant lui il y a eu neuf autres Prix Nobel qui sont passés par McGill, l’université canadienne avec la moisson la plus importante. Lord Rutherford, premier de la série, a toujours son laboratoire à McGill. Ni l’Université de Montréal ni l’Université Laval ne peuvent prétendre au moindre prix Nobel. L’université d’Oslo, petite université d’un petit pays, en a quatre. La question est simple : pourquoi les francophones du Québec sont-ils encore aujourd’hui si peu présents dans les sciences fondamentales ?

En 2008, j’avais examiné « L’hypothèse de Dubois » et trouvé qu’elle expliquait mieux que toute autre la déficience en sciences du Québec francophone, tandis qu’il est clair que ce retard n’a jamais affecté les anglophones du Québec.

Dans une conférence que j’ai visionnée récemment (sur DVD), le dramaturge devenu historien, René-Daniel Dubois, démontre avec beaucoup de conviction que cent cinquante ans de domination ultramontaine ont laissé des traces tellement profondes au Québec qu’on ne les voit même plus. L’absence de curiosité envers la science (la vraie, celle non « immédiatement rentable ») et les arts (les vrais, pas seulement ceux qui « rapportent ») en est un trait majeur. Cette absence de curiosité déborde évidemment dans bien d’autres domaines, par exemple, entre autres, l’histoire, qui fait que, pour la majorité des Québécois, des pans entiers de notre histoire demeurent occultés tandis que des reconstructions plus ou moins douteuses font office d’évènements historiques majeurs.

Cette absence de curiosité ne serait pas accidentelle, mais découlerait directement de la vision ultramontaine de la société idéale, une société profondément divisée entre « ceux qui savent », les clercs, et ceux qui « obéissent », la masse des « sujets » (surtout pas des « citoyens ») qui ne peuvent espérer des jours meilleurs que dans une autre vie, à conditions de bien servir leurs maîtres en soutane. Entre-temps, la seule éducation permise que les clercs condescendront à fournir à leurs sujets devra être limitée à ce qui permet une meilleure exploitation des talents de ces sujets, et ne jamais inclure ce qui pourrait les émanciper, comme jouer Tartuffe ou lire Voltaire.

Il faut comprendre que l’édifice entier du catholicisme a tremblé sur ses bases au moment de la révolution de 1789, avec la persécution des prêtres réfractaires et la guerre civile qui a suivi. Après cette période, toute soutane qui se respecte ne peut avoir en tête qu’une seule et unique pensée politique : « Plus jamais ça ! ». On appellera cela « la Réaction ». Et cela ira loin. Très loin. Cela ira jusqu’à nier toute légitimité à la démocratie (Pie IX) et au soutien direct à tous les régimes d’essence platonicienne, aristocratiques ou fascistes, à un moment ou à un autre, dépendant de l’humeur du pape et des circonstances.

C’est surtout dans la seconde moitié du XIXème siècle que la pensée ultramontaine s’est dotée de défenseurs dangereusement efficaces. Si vous avez besoin de l’obéissance des masses, il vous faut trouver des arguments qui ne souffrent pas de réplique. Cherchez bien, il n’y en a pas tant que cela et ils ont tous été propulsés à l’avant-plan à cette période. Ils seront aussi exploités avec « succès » dans la première moitié du XXème siècle en Europe avec des conséquences effroyables. Pour l’essentiel, il s’agit de la trinité suivante : la race ou patrie, la religion et la langue. Ce sont des écrivains français qui seront les principaux chantres de cette contrerévolution : en particulier Barres et Maurras. Ils se veulent les fossoyeurs de la démocratie au profit du « nationalisme » le plus sectaire qu’on puisse imaginer, celui qui met toujours la « nation » au-dessus des hommes qui la composent. Pourquoi ? Parce qu’ils sont convaincus, après Platon et bien d’autres que le « demos », le peuple, est fondamentalement incapable de participer à son propre gouvernement. Et puis, ça tombe bien, eux et leurs copains de l’élite, ils savent justement ce qu’il faut au peuple. Faites leur confiance. La « nation » est exactement ce dont le peuple a besoin, à la fois pour lui fournir une identité qui le transcende et pour justifier ce pour quoi les ultramontains se battent : l’obéissance totale ! Le trip ultime : claquer des doigts et voir la procession se mettre en branle, au pas, de préférence.

Il s’en est fallu de peu qu’ils réussissent en France et la loi de 1905 sur la laïcité est véritablement la conséquence de leur arrogance sans bornes : ils avaient cru réussir avec l’affaire Dreyfus mais cette dernière s’est largement retournée contre eux. Par contre, ils ont fait des petits en Italie, en Allemagne, en Espagne … et au Canada. Le chanoine Groulx y reprend a son compte des textes entiers des illustres prédécesseurs et jusqu’au titre de la publication qui sert de phare à tout ce beau monde (l’Action française là-bas et l’Action … française ici !)

L’hypothèse de Dubois est que la pensée ultramontaine, soutien fréquent du fascisme, qui a considérablement diminué dans les autres pays nommés ci-dessus, a réussi non seulement à survivre beaucoup plus longtemps au Canada français, mais, en fait, il pense qu’elle a réussi à y modeler la société au-delà de toute espérance : au point de devenir la norme discrète. C’est peut-être parce qu’elle y a toujours été plus « soft » ici et n’a donc pas déclenché un rejet aussi violent qu’en France ou en Espagne. Au fait, pourquoi a-t-elle été plus « soft » ici qu’ailleurs ? J’ai personnellement mon idée là-dessus : parce que la présence des Anglais et des institutions implantées par les Anglais a empêché qu’elle occupe complètement la place comme en Espagne ou en Italie, des sociétés aussi homogènes que le Québec francophone au point de vue de la religion. Le contrôle total (comme dans « totalitaire ») étant exclu il a fallu composer avec le pouvoir en place, mais le moins possible : cela se fera et se fait encore via l’éloge de notre « différence » (cela permettra de soustraire les écoles au contrôle démocratique). Le bonheur et l’épanouissement du citoyen québécois là-dedans ? Nuls et non avenus : seul l’avenir de la « race » mérite notre soutien inconditionnel. Le plus extraordinaire, c’est que le discours des clercs, pourtant discrédités, a été repris avec succès par tous les politiciens du Québec, de tous les bords. Il n’y a strictement aucun politicien au Québec qui puisse se permettre de prétendre ignorer la « nation » plus de deux secondes, ce qui vous gèle la pensée critique très vite. En cela les ultramontains ont gagné la bataille : tout bon Québécois est pris au piège : « hors de la nation, point de salut ». Toute résistance est futile.

Si vous pensez que c’est de l’histoire ancienne, je vous convie à déguster le site web de « L’Action nationale » dédiée à la mémoire du cher chanoine. Je vous remercie, sa mémoire se porte très bien.

Nous continuons de subir les effets de cette vision ultramontaine même sans curés. Elle continue d’utiliser le nationalisme, maintenant réduit à une défense de la langue, du fait de la déconfiture du catholicisme, pour dominer les esprits. Elle contamine pratiquement tous les domaines de la pensée québécoise où toute action, toute proposition qui sorte de l’ordinaire est sommée de déclarer sa relation avec la « nation ». S’il nous arrive de faire de la « vraie » science, c’est pour « mettre le Québec sur la map », pas pour faire avancer le savoir de l’humanité. Nous faisons de l’art soit pour imposer notre « Québecitude » au reste de la planète (qui s’en balance), soit pour faire des piastres, mais surtout pas pour poser un regard neuf sur la condition humaine. Ça, c’est pour les « pelleteux de nuages » et Dieu merci, on n’a pas besoin de ça ici ! N’espérez pas un Camus ou un Malraux Québécois très bientôt : désolé, les conditions gagnantes ne sont pas réunies.

Et cela va main dans la main avec notre collective absence de curiosité à l’égard du reste du Canada. Ce qui est important pour nous, c’est les listes d’attente pour le traitement des varices. Je ne plaisante qu’à moitié. Dans une émission télé, l’astronaute canadienne Julie Payette s’est pratiquement fait traiter de poule de luxe entretenue parce que « l’argent gaspillé en astronautique serait bien mieux utilisé aux-soins-des-malades-qui-attendent-dans-les-couloirs, etc. ». Qu’une telle vision des choses puisse être traitée comme une opinion « normale » au Québec en dit long sur le statut de la science et de son nécessaire corollaire, la curiosité, la soif de savoir, chez la masse des Québécois. Évidemment, personne à cette émission ne s’est offusqué que Louis Pasteur ou Albert Einstein aient passé leur vie à pelleter des nuages au lieu de passer le bassin dans les hôpitaux : ils n’étaient pas Québécois.»

C’était en 2008 et les choses ont un peu bougé depuis, probablement pas assez pour produire des résultats immédiats. Des chaines de télévision plus scientifiques sont apparues (par exemple « Explora »). Nous n’avons pas encore un vrai musée des sciences à Montréal, mais nous avons un embryon d’une telle chose dans le Vieux-Port de Montréal. Par contre en ce qui concerne le curriculum des maitres, le dernier coup de gueule de Normand Baillargeon montre que nous continuons d’envoyer dans nos écoles des enseignant(e)s qui n’ont qu’une idée confuse de ce qu’est la méthode scientifique ou la pensée critique. Ce chantier semble être resté en plan. Si vous avez des suggestions à cet égard, n’hésitez pas à m’envoyer un courriel à mvirard@ videotron.ca. Nous aurons besoin de toutes nos têtes pour sortir de cette ornière et puis c’est précisément la mission de notre association.

 

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