La liberté de pensée et d’expression La Déclaration d’Oxford de 2014
Jean Delisle
Traducteur
Jean Delisle est un auteur, un professeur de traduction, un traducteur agréé, un terminologue agréé, un traductologue et un historien de la traduction canadien. Il a rédigé de nombreux ouvrages spécialisés concernant la traduction, notamment quant à l’histoire de la traduction et de la terminologie au Canada. Il est professeur émérite de l’Université d’Ottawa et également membre de l’Association humaniste du Québec.
Les participants au Congrès humaniste mondial et à l’Assemblée générale de l’Union internationale humaniste et éthique ont adopté en août dernier, à Oxford (R-U.), une déclaration sur la liberté de pensée et d’expression dans l’esprit de la Déclaration universelle des droits de l’homme. La version française intégrale de ce texte, produite par l’Association humaniste du Québec, figure sur son site (http://assohum.org/).
Nulle part on ne peut forcer quiconque à adopter ou à abandonner une croyance.
La liberté de pensée implique le droit de formuler ses propres croyances, de les défendre, de les approfondir et de les afficher librement. Elle implique aussi le droit d’exprimer ses opinions et sa vision du monde, que celles-ci soient religieuses ou non, de changer de point de vue ou de rejeter des croyances auxquelles on adhérait ou qu’on nous avait imposées. Contraindre des individus à se soumettre à des idéologies officielles ou à des doctrines religieuses est une forme de tyrannie. Toute loi qui prescrit des croyances particulières ou les criminalise est contraire à la dignité humaine et doit être abolie. Tout citoyen, quel que soit son pays, a le droit d’exiger l’abrogation de telles lois, et il incombe aux États d’appuyer quiconque réclame le respect de ses libertés sociales et de sa liberté individuelle.
Le droit à la liberté d’expression a une portée planétaire.
Le droit formulé à l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme inclut celui « de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ». Aucun chauvinisme nationaliste ni aucun sentiment d’insécurité nationale ne doivent priver l’ensemble de la communauté humaine des bénéfices qu’offrent les nouvelles technologies, les grands moyens de communication, les médias sociaux et l’accès personnel aux réseaux d’échange transnationaux. Les États ont le devoir de permettre à leurs citoyens de participer à cette conversation planétaire en investissant les ressources nécessaires.
Ne pas être exposé à des propos offensants ou à des opinions contraires aux siennes n’est pas un droit.
Respecter la liberté de croyance d’autrui n’implique pas le devoir ou l’obligation de respecter ces croyances. Exprimer son opposition à des croyances, y compris sur le ton de la satire et de la moquerie ou en les condamnant sous quelque forme ou dans quelque média que ce soit, fait partie du discours critique. Toute limitation de ce droit d’expression doit se faire à la seule lumière des dispositions de l’article 29 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, afin, notamment, de respecter les droits et libertés d’autrui. La meilleure façon de faire connaître son désaccord envers un point de vue que l’on ne partage pas est d’exposer le sien. La violence et la censure ne sont jamais des réactions légitimes. Par conséquent, toute loi qui criminalise une critique jugée « blasphématoire » ou offensante à l’égard de croyances ou de certaines valeurs est une loi qui entrave la liberté humaine et doit être abolie.
Un État ne doit pas restreindre la liberté de pensée et d’expression simplement pour éviter que le gouvernement fasse l’objet de critiques.
Les États qui considèrent comme un crime le fait de critiquer les politiques gouvernementales ou les leaders du pays, et qui voient dans cette critique des actes de trahison ou de sédition, voire une menace à la sécurité nationale n’ont pas à leur tête des « gouvernements forts » travaillant au mieux-être de leurs citoyens, mais des tyrans qui recourent à la censure et exercent le pouvoir en fonction de leurs seuls intérêts. Il incombe donc aux États de tout mettre en œuvre afin de promouvoir la liberté de pensée et d’expression dans la législation du pays, les systèmes d’éducation et dans tous les secteurs de la vie nationale pour que tous les citoyens en profitent.
La liberté de croyance est absolue, mais une croyance ne confère pas pour autant une liberté d’action absolue.
En tant que membre responsable vivant en société, nous acceptons que notre liberté d’action soit restreinte, mais uniquement dans la mesure où nos agissements risqueraient de porter atteinte aux droits et libertés d’autrui. La liberté de croyance ne saurait légitimer le non-respect des lois fondées sur les principes de non-discrimination et d’égalité. Un juste équilibre à cet égard n’est pas toujours facile à atteindre, mais en plaçant la liberté et la dignité humaine au cœur de la réflexion, les pouvoirs législatifs et judiciaires pourront y arriver de manière progressiste.
Nous maintenons que la démocratie, les droits de l’homme, l’État de droit et la laïcité sont les fondements les plus solides sur lesquels se bâtissent les sociétés ouvertes, là où la liberté de pensée et d’expression est protégée et encouragée. Nous nous engageons à défendre et à promouvoir dans toutes nos activités le droit à la liberté de pensée et d’expression dans le cadre des droits de l’homme internationaux et à dénoncer toutes les instances nationales ou internationales qui tentent de restreindre par la menace le droit des individus à penser librement et à exprimer ouvertement leurs opinions.
Nous exhortons chacun de nos organismes membres et l’ensemble des humanistes à appliquer ces valeurs dans leur propre vie ; à renseigner le grand public sur l’importance de la liberté de pensée et de la liberté d’expression pour tous les citoyens ; à inciter fortement les gouvernements à faire la promotion de ces valeurs ; à se liguer avec tous ceux et celles, humanistes ou non, qui, partout dans le monde, défendent et répandent ces valeurs pour le plus grand bien de l’humanité.
Commentaires sur la Déclaration d’Oxford de 2014 sur la liberté de pensée et d’expression
Les participants au Congrès humaniste mondial et à l’Assemblée générale de l’Union internationale humaniste et éthique ont adopté en août dernier, à Oxford (R-U.), une déclaration sur la liberté de pensée et d’expression dans l’esprit de la Déclaration universelle des droits de l’homme. La version française intégrale de ce texte, produite par l’Association humaniste du Québec, figure sur son site (http:// assohum.org/). Compte tenu de pertinence de ce document ancré dans l’actualité, il nous est apparu important d’en faire voir toute l’actualité. « Partout dans le monde et de tout temps, peut-on lire dans le préambule, la liberté de pensée et la liberté d’expression se sont révélées essentielles à l’épanouissement de l’être humain, mais, à chaque génération, de nouvelles menaces ont mis en péril ces libertés fondamentales. »
En publiant la Déclaration d’Oxford, les humanistes témoignent de leur attachement indéfectible à la liberté individuelle et dénoncent les abus dont sont victimes un nombre grandissant de citoyens privés de leur liberté de conscience, de croyance, d’opinion et d’expression. « La liberté de pensée et de croyance est un seul et même droit », inhérent à la dignité humaine. En conséquence :
« Nulle part on ne peut forcer quiconque à adopter ou à abandonner une croyance. La liberté de pensée implique le droit de formuler ses propres croyances, de les défendre, de les approfondir et de les afficher librement. […] Contraindre des individus à se soumettre à des idéologies officielles ou à des doctrines religieuses est une forme de tyrannie. […] »
Les exemples de tels abus abondent et font les manchettes: persécution des chrétiens ou des Yazidis en Iraq, conversions forcées des lycéennes nigériennes par les islamistes du groupe Boko Haram, siège du village d’Amerli (Iraq) visant à affamer les villageois pratiquant une religion différente de celle des villages environnants, assimilation des athées à des terroristes en Arabie saoudite, emprisonnement et exécution des apostats en Iran, etc. Triste actualisation de l’injonction médiévale « croit ou meurs ».
« Le droit à la liberté d’expression a une portée planétaire. […] Aucun chauvinisme nationaliste ni aucun sentiment d’insécurité nationale ne doivent priver l’ensemble de la communauté humaine des bénéfices qu’offrent les nouvelles technologies, les grands moyens de communication, les médias sociaux et l’accès personnel aux réseaux d’échange transnationaux. […] »
Censurer les grands moyens de communication moderne, comme le font les régimes autoritaires, va à l’encontre de la liberté d’expression, du droit à l’information et de l’accès à la connaissance.
« Ne pas être exposé à des propos offensants ou à des opinions contraires aux siennes n’est pas un droit. […] Exprimer son opposition à des croyances, y compris sur le ton de la satire et de la moquerie ou en les condamnant sous quelque forme ou dans quelque média que ce soit, fait partie du discours critique. […] La meilleure façon de faire connaître son désaccord envers un point de vue que l’on ne partage pas est d’exposer le sien. La violence et la censure ne sont jamais des réactions légitimes. […] »
Sont visés ici l’épisode des caricatures de Mahomet et les lois anti-blasphèmes. Mais il faut y voir également une critique envers les pays qui cherchent à faire reconnaître par les instances internationales, dont l’ONU, le concept de « diffamation des religions » dans le but exprès de criminaliser le blasphème et d’inscrire ce « crime » dans le droit international. Cette initiative heurte de front la liberté d’expression, au cœur de toute démocratie digne de ce nom.
La critique d’une religion est parfaitement légitime dans un pays démocratique. Une société laïque garantit la liberté de culte, mais garantit aussi l’indifférence en matière de religion. Les théocraties, en opposant un barrage systématique à la laïcité, sont des sociétés fermées. La charte du Hamas stipule que « l’idée laïque, qui signifie la non-religion, est incompatible avec l’idée religieuse ». Cette fermeture à la laïcité est une position idéologique contraire à l’esprit humaniste.
« Un État ne doit pas restreindre la liberté de pensée et d’expression simplement pour éviter que le gouvernement fasse l’objet de critiques. Les États qui considèrent comme un crime le fait de critiquer les politiques gouvernementales ou les leaders du pays, et qui voient dans cette critique des actes de trahison ou de sédition, voire une menace à la sécurité nationale ont à leur tête des tyrans qui recourent à la censure et exercent le pouvoir en fonction de leurs seuls intérêts. […] »
Il ne manque pas d’exemples de régimes où la liberté d’expression est ainsi bafouée. Même une société démocratique n’est pas à l’abri de telles dérives anti-démocratiques lorsque l’idéologie et les intérêts des détenteurs du pouvoir prennent le pas sur les valeurs démocratiques d’ouverture, de transparence et de responsabilité.
« La liberté de croyance est absolue, mais une croyance ne confère pas pour autant une liberté d’action absolue. […] La liberté de croyance ne saurait légitimer le non-respect des lois fondées sur les principes de discrimination et d’égalité. […] »
Aucune tradition religieuse, aucune croyance ne saurait être invoquée pour justifier la discrimination, que celle-ci soit raciale, religieuse, sexuelle, homophobe ou autre. Croire ne donne pas tous les droits.
Après avoir rappelé ces quelques grands principes humanistes, les délégués réunis à Oxford ont exhorté les gouvernements à faire la promotion de ces valeurs pour le plus grand bien de l’humanité.
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