Dagmar Gontard-Zelinkova
(décédé en 2014) Bien que vivant en Ontario, Dagmar Gontard-Zelinkova est un des plus anciens membres de l ‘Association humaniste du Québec. En parallèle avec Bill Broderick à Belleville, elle a mené une guerre d’usure contre la prière à l’hôtel de ville de sa municipalité de Hastings Highlands, de la municipalité voisine de Bancroft et aussi au Conseil du comté de Hastings qui, hormis les deux déjà citées, regroupe douze autres municipalités
ou
L’INTÉGRISME MUSULMAN
Quand un martèlement sur la porte au milieu de la nuit tirait les gens de leur sommeil, ils comprenaient tout de suite qu’ils étaient devenus une cible. Appeler au secours n’aurait servi à rien, car les tueries dans le voisinage n’étaient pas rares, et personne n’avait envie de s’interposer. Chercher du secours auprès de la police aurait été tout aussi vain car les policiers n’étaient pas épargnés par les assassinats et ils avaient peur tout comme les villageois.
Cependant, la porte devait s’ouvrir ou bien, si l’on ne l’avait pas ouvert volontairement, elle aurait été enfoncée. Cette nuit-là, au milieu de ces terribles années quatre-vingt-dix en Algérie, ce fut la fille de Fatma Bisikri qui ouvrit la porte. Trois hommes armés s’engouffrèrent dans la pièce. Ils saisirent six enfants de Fatma et les tiraient hors du logis. Elle essaya de les en empêcher mais ils lui mirent le couteau à sa gorge, et elle n’osa pas de les poursuivre. Au petit matin, elle partit à la recherche de ses enfants. Elle les trouva dans le ruisseau tout proche, où on les avait jetés après leur avoir tranché la gorge. Plus tard, quelqu’un insinua que cette tragédie était attribuable à une vengeance exercée contre sa fille désobéissante, une enseignante. Les intégristes locaux lui avaient intimé d’arrêter de travailler. Elle a refusé.
L’éducation était un péché et l‘éducation des femmes était un péché particulièrement grave qu’il fallait punir par la mort. Amel Zenoune-Zouani était l’une des nombreuses victimes qui avaient payé cher leur rêve d’être éduquées. Elle avait vingt-deux ans et étudiait le droit depuis trois ans quand, à un faux barrage, les hommes du Group Islamique Armé la firent sortir du bus. La famille d’Amel devait apprendre plus tard les détails de son exécution : l’un des soldats avait joué avec son couteau en le faisant crisser contre une pierre avant de l’égorger. Puis, en se tournant vers les autres passagers du bus, il lança : « Si vous allez à l’école, si vous allez à l’université, le jour viendra où on vous tuera comme elle. »
Les histoires de Fatma et d’Amel n’étaient pas des cas isolés en ces années quatre-vingt-dix en Algérie. En effet, le nombre d’assassinés se situerait entre 150 000 et 200 000 et au moins 7 000 de disparus. Mais qu’est-ce qui a bien pu mener l’Algérie vers ces années apocalyptiques ? Revoyons les causes en quelques mots : immédiatement après l’indépendance de 1962, le pays s’est engagé sur la voie du socialisme et un progrès considérable a été réalisé dans la construction d’une société nouvelle. Cependant, tout cela s’était accompli sous la férule autoritaire d’un parti unique, qui brimait sans scrupule les droits humains. La contestation s’est alors fait entendre, avec insistance sans cesse croissante, ce qui, dans les années quatre-vingts, a amené le gouvernement à autoriser les partis de l’opposition, y compris le Front islamique du salut. FIS s’est ouvertement déclaré contre la démocratie. Ses membres croyaient que la société était contaminée par le virus laïque occidental et qu’elle devait être guérie. Leur devise était : « L’islam est la solution. » Les affrontements entre les Algériens libéraux et les intégristes étaient inévitables et, dans les années quatre-vingt-dix, toute la population est devenue l’otage des forces gouvernementales d’une part et, d’autre part, des ramifications des milices islamistes. Les cibles des islamistes ne se limitaient pas à l’éducation; en effet, les artistes, les intellectuels, les journalistes étaient aussi leurs ennemis. Aissa Mohamed était un talentueux violoniste. Il partageait sa passion pour la musique avec les enfants, et dirigeait un conservatoire à Blida. Il aimait aussi à encadrer les jeunes dans les disciplines sportives. Les terroristes l’ont menacé, ils soutenaient que la musique et le sport n’étaient pas autorisés par le coran, que c’étaient des péchés. Ils lui ont ordonné de cesser ces activités. Pour avoir désobéi, Mohamed a payé de sa vie sa désobéissance. Il avait trente huit ans quand il a été assassiné.
En dépit de la terreur ambiante, la résistance des Algériens libéraux n’a jamais cessé. Quand la Maison de la Presse, à Alger, a été détruite par une bombe, le 11 février 1996, les journalistes algériens devaient faire face non seulement au terrorisme islamiste, mais ils devaient aussi résister aux pressions du gouvernement qui ne tenait pas à ce que l’ampleur de la destruction soit connue. Les journalistes ont défié les uns et les autres. Au milieu d’une inimaginable dévastation, ils ont regagné leur poste et, pour rendre honneur à leur camarades tués, ils ont saturé les pages du journal avec tous les détails portant sur le tragique événement. Et le journal est sorti à la date et l’heure habituelles. Par ailleurs, partout au pays, les femmes, organisées sous la bannière du Rassemblement Algérien des Femmes Démocrates, montraient, elles aussi, un grand courage. Voulant que la tragédie algérienne soit connue en dehors du pays, elles se sont tournées vers les ONG et les associations des Droits de l’Homme. Hélas, les associations et les médias occidentaux rechignaient à enquêter sur une situation complexe et les atrocités des années quatre-vingt-dix ont rarement été connues à l’extérieur de l’Algérie.
La tragédie algérienne n’est pas unique. En effet, on peut observer ses mêmes caractéristiques dans chaque pays où les islamistes arrivent à s’imposer. Le cas le plus surprenant est certes celui de l’Égypte. Dans les premières décennies du vingtième le siècle, le pays était relativement libre. Les femmes avaient rejeté leur voile au vent, avaient fondé leurs associations et s’étaient émancipés. En 1937, le libre penseur, Ismail Adham, a même réussi à publier son livre Why Am I an Atheist. Après 1952, Nasser a lancé le pays sur la voie du socialisme arabe, mais il s’est heurté aux groupes politiques islamiques. Pour contrer leur influence, le régime militaire s’est lié avec les autorités religieuses d’Al-Azhar, dont l’influence n’a cessé de croître au courant des années. Livres, conférences, œuvres artistiques, jugés incompatibles avec la loi islamique, étaient censurés. Pourtant, la censure des livres n’est pas l’obstacle le plus grand contre lequel les intellectuels égyptiens butent. Le plus grave est de se voir accusé d’être contre l’islam, d’être un hérétique ou encore un apostat. Gamal Al-Banna est un libre penseur bien connu. En 2004, il a organisé, avec d’autres réformistes, une conférence au Caire, intitulée L’Islam et la Réforme. Les autorités du Al-Azhar l’ont sévèrement critiqué. Ahmed Subhy Mansour, qui enseignait l’histoire musulmane à Al-Azhar, s’est attiré des ennuis, et cela aussi bien des intégristes que du régime égyptien, quand il a avancé l’idée que, selon le coran, Mohammed n’était pas infaillible. Il a été accusé d’avoir insulté l’islam et jeté en prison. Nasr Hamid Abu-Zayd, qui détenait le doctorat de l’Université du Caire en recherches de l’exégèse coranique, s’est retrouvé, lui aussi, en eaux troubles après avoir rédigé The Critic of Religious Discourse. On l’a accusé d’abandonner la foi islamique et les avocats islamistes ont lancé des poursuites contre lui, réclamant la dissolution de son mariage. Ils arguaient qu’un apostat et une femme musulmane ne pouvaient pas être mariés. Abu-Zayd s’est enfui aux Pays-Bas, où un poste d’enseignant lui avait été offert, à l’Université de Leiden. Enfin, Farag Foda était un libre-penseur qui se moquait des islamistes pour leur interprétations du coran. Il défendait aussi la séparation entre l’Église et l’État. Il a payé cher pour ses positions courageuses, il a été assassiné en 1992.
On ne peut que s’étonner de l’ironie du sort quand on sait que le Pakistan, que son fondateur, Muhammad Ali Jinnah, avait rêvé de créer un état laïque, a fini par devenir le bastion de l’intégrisme. Sous les successeurs de Jinnah, la constitution initiale a été abrogée à plusieurs reprises et, pendant le règne du général Zia ul-Haq, on a introduit les lois contre le blasphème. Puis, en 1979, les autorités religieuses ont passé les ordonnances, prescrivant l’amputation pour le vol, et la lapidation et le fouet pour les comportements sexuels contraires à la loi et pour la consommation de l’alcool. Le plus connu des spécialistes islamiques, Mohammad Younas Shaikh, qui a fondé l’organisation « The Enlightenment » ( Lumières), qui débattait du rôle de l’islam dans le monde moderne, a été accusé de l’insulte à l’islam. En 2001, il a été arrêté. Pire encore, ses avocats, lors de son procès, ont à leur tour été accusés d’apostasie. Shaikh a passé deux années en isolement cellulaire, puis, lors d’un deuxième procès, alors que le juge avait trouvé la condamnation initiale sans fondement, il a été discrètement relâché. Il est resté au Pakistan pendant un certain temps mais quand ses ennemis ont essayé d’aller en appel contre sa relaxation, il s’est réfugié en Europe. L’année 2011 s’inscrira dans l’histoire du Pakistan comme un triste exemple d’un pays qui avait dévié sur une mauvaise voie. Deux politiciens y ont été assassinés – Shabhaz Bhatti, champion de la liberté religieuse et Salman Taseer, gouverneur du Punjab, qui s’était opposé aux lois contre le blasphème.
La Tchétchénie est un autre pays qui a raté son rendez-vous avec la modernité. Après la sanglante guerre avec la Russie, une relative liberté y régnait dans les années quatre-vingt-dix. Avant la guerre, les musulmans tchétchènes pratiquaient un islam sufi qui est à l’opposé du rigide dogme des intégristes. Les guerres sont propices à la prolifération des extrémistes, c’est un fait bien connu, et les extrémistes qui ont émergé en Tchétchénie, dans les années quatre-vingt-dix, s’efforcent d’imposer leur interprétation de l’islam. Sous l’actuel président, Ramzan Kadyrov, la situation se dégrade dramatiquement, en particulier pour les femmes. Kadyrov clame qu’elles sont inférieures et qu’elles sont la propriété des hommes, et il les veut voilées. Quant aux autorités russes, elles acquiescent à tout, à condition que Kadyrov ne réclame pas l’indépendance. En attendant, les radicaux poursuivent tous ceux qui représentent un islam tolérant, et les tuent.
Dans le monde musulman, il n’y a pas de pays où la vie des réformistes ne serait pas menacée et l’on peut observer une radicalisation galopante partout. La révolution islamique de Khomeini en est la principale responsable. Cependant, ceux et celles qui se sont battus pour chasser le Shah et qui ont accueilli, avec grand enthousiasme, Ayatollah au retour de son exile, ont du déchanter rapidement. Comme Shirin Ebadi le dit dans son livre Iran Awakening, ( L’Iran se réveille), la révolution finit par avoir un goût amer. Les femmes étaient les premières victimes. Après avoir été la première femme juge en Iran, la première chose que Shirin Ebadi a entendu de la bouche du fraîchement désigné apparatchik au ministère de la Justice, fut : « Ne croyez-vous pas que, par respect pour notre bien-aimé imam Khomeini, qui a honoré l’Iran par son retour, vous feriez bien de couvrir vos cheveux? » Et les événements ont depuis suivi une trajectoire tout à fait logique : puisqu’elle était une femme, Shirine Ebadi a été démise de son poste. Mais elle n’allait pas rester inactive à la maison. Avec courage, elle allait continuer à se battre contre le viol, la torture, le meurtre dans les prisons iraniennes. En 2003, elle fut la première femme iranienne à recevoir le Prix Nobel de la Paix pour son combat contre les abus des Droits de l’Homme. Cependant, la pression du gouvernement et les menaces de mort, proférées non seulement contre elle mais aussi contre sa famille, l’ont forcée à se réfugier en Grande-Bretagne. C’est de là qu’elle continue à défier le gouvernement de l’Iran qui continue à éliminer ses opposants, après les avoir accusés de « l’amitié avec les ennemis du Dieu, » de « l’insulte au Prophète, » de « l’opposition à la volonté divine » et autres accusations du genre.
Qui sont ces « défenseurs de la foi »? Ces auto-proclamés porte-parole d’Allah Akhbar ? Ces mollahs qui essaient d’imposer leur rigide façon de vivre au monde entier ? Musique, sport, antennes paraboliques, téléphones mobiles, information, éducation – rien n’est à leur goût. Mali était un pays où les vêtements colorés, ces fameux boubous, faisaient envie de tout le continent. Ils sont maintenant remplacés par des voiles. Tombouctou hébergeait les tombes des saints sufis. Elle ont été sauvagement détruites. L’islam au Mali jouissait d’une tradition de tolérance. Les tueries au nom d’Allah la remplacent. Cette soif de destruction ne s’arrête pas au monde musulman. Les fatwas, condamnant les prétendus apostats, ignorent les frontières et poursuivent des innocents jusqu’en Occident. Hélas, tout comme en pays islamiques, ces voix qui parlent en faveur d’un islam à visage humain, se trouvent souvent dans une sorte de no-man’s land, entre, d’une part, la réticence de leur pays d’adoption à appuyer leur combat et, d’autre part, une farouche détermination des intégristes qui cherchent à les tuer.
« Les musulmans comme moi – qui se réclament de l’islam mais détestent l’islamisme – sont sans voix, » a dit Quanta Ahmad, qui était l’un des témoins aux audiences, tenues en mars 2011, par House Committee on Homeland Security, et qui enquêtaient sur la radicalisation de la communauté musulmane américaine. « Ces audiences, portant sur l’islam radical, ont montré que le cheminement, qui mène un jeune Pakistanais à la violence, est le même que celui que suivent les jeunes, mécontents et vulnérables, en Amérique. L’endoctrinement se porte bien aux États-Unis et la radicalisation islamiste progresse dans nos communautés civile et militaire, et dans nos prisons…Hélas, alors que nous devrions réagir à la révélation de ces importants faits par une tempête d’indignation et une action soigneusement ciblée, nous restons embourbés dans la rectitude politique et refusons de mettre le doigt sur l’idéologie qui conduit nos ennemis. Le débat qui devrait porter sur la racine du mal, les islamistes le détournent en canalisant notre attention vers ce qu’ils appellent « l’islamophobie, » et en arguant que le monde veut toujours mettre tous les musulmans dans le même sac. »
Un autre musulman, qui a témoigné lors de ces audiences, était Zahudi Jasser. Médecin bien connu en Arizona, il dirige un petit groupe qui est associé aux organisations qui critiquent le leadership musulman. Zahudi Jasser pense que les musulmans devraient parler davantage de l’intolérance, contenue dans leur textes sacrés, et ne pas se contenter de seulement critiquer l’Amérique.
Quelle fut la réactions aux audiences de 2011 ? Un malaise généralisé. Les nombreux commentaires allaient dans le sens que les audiences pouvaient faire beaucoup de mal et qu’elles ne faisaient qu’alimenter les feux de « l’islamophobie. »
« Alors que l’hostilité envers l’islam et les musulmans doit nous inquiéter au plus haut point, nous devons reconnaître que le comportement de certains musulmans en est la cause majeure. Ce sont ces musulmans qui propagent l’idée d’un islam cruel, répressif, dominateur et souvent violent, » a écrit feu Abdurrahman Wahid, président de l’Indonésie. « Au lieu d’étouffer la critique et le débat en légiférant – ce qui ne fait qu’encourager les intégristes musulmans dans leurs efforts d’imposer une conception spirituellement vide, âpre et monolithique de l’islam – les autorités occidentales devraient plutôt défendre fermement la liberté d’expression, et cela non seulement dans leurs pays, mais partout au monde, telle qu’elle est stipulée dans l’Article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. »
En citant encore Abdurrahman Wahid, je conclurai par ces mots qui donnent à réfléchir : « La grandeur de la civilisation islamique classique – qui avait incorporé l’universalisme humain et cosmopolite – provenait en grande partie de la maturité intellectuelle et spirituelle, fruit du fusionnement des influences arabes, grecques, juives, chrétiennes et persanes. C’est pourquoi, en visite au Maroc, il y a quelques années de cela, j’ai pleuré, en découvrant le commentaire d’Ibn Rushd, soigneusement préservé et exposé à Fez, portant sur l’Éthique à Nicomaque. Car, sans ce traité magistral d’Aristote, j’aurais pu être, moi aussi, un intégriste musulman. »
Sources :
Karima Bennoune : Your Fatwa Does Not Apply Here
Paul Marshall & Nina Shea : Silenced
Shirin Ebadi : Iran Awakening
Abdurrahman Wahid : God Needs No Defense
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