Dictionnaire amoureux de la laïcité
Daniel Baril
Daniel Baril a été journaliste à l’hebdomadaire Forum de l’Université de Montréal pendant près de 23 ans. Il est actuellement président du Mouvement laïque québécois (par intermittence pendant deux décennies) et a été également membre du conseil d’administration de l’Association humaniste du Québec. Il est le cofondateur du groupe Les Intellectuels pour la laïcité et co-rédacteur de la Déclaration pour un Québec
laïque et pluraliste.
Une œuvre colossale d’Henri Peña-Ruiz écrite sous le regard de Marianne
Le terme encyclopédie serait plus approprié pour rendre pleinement justice à cet ouvrage de 910 pages, Dictionnaire amoureux de la laïcité, qui vient de paraître aux éditions Plon sous la signature du philosophe Henri Peña-Ruiz. Un dictionnaire qui arrive à point pour éclairer notre débat sur la laïcité et nous aider à mieux savoir de quoi l’on parle. Il ne s’agit pas d’un dictionnaire classique avec définitions condensées mais d’un dictionnaire composé de réflexions philosophiques autour de quelque 270 entrées toutes en lien avec la laïcité.
On ne peut évidemment pas résumer un dictionnaire mais on peut en présenter l’esprit. La préface de l’auteur nous révèle l’âme d’un ardent républicain universaliste qui nous exprime tout son amour pour la République personnifiée par Marianne.
«La République ce n’est pas la communauté particulière des autochtones, ni celle des croyants de telle religion ou de telle autre ni celle des humanistes athées ou agnostiques, mais la communauté de droit des citoyennes et des citoyens, tous égaux par-delà leurs différences. Une source vive qui affranchit, un horizon de lumière qui fait ciller le regard : l’universel. […]
Le tryptique républicain Liberté-Égalité-Fraternité n’appartient pas à la France. Il définit plutôt une ‘’identité’’ universalisable même si elle s’est d’abord inscrite et conquise dans un paysage unique. […]. L’amour de la laïcité est l’amour d’un idéal qui vaut pour tous, un jour ou l’autre. Chaque fois qu’une conscience résiste à l’oppression […] la laïcité advient, mais comme un processus d’émancipation et non comme dogme.»
Les termes présentés sont de diverses natures. On y retrouve bien sûr les principes et notions philosophiques de base comme l’égalité, la liberté de conscience, la tolérance, la libre pensée, l’humanisme, le scepticisme, le fondamentalisme, mais aussi des penseurs variés tels Galilée, Marx, Locke, Weber, Voltaire, Condorcet, Diderot, D’Holbach.
Des pays (Canada, États-Unis, Europe, Israël, Japon …), des évènements historiques et les constituants propres aux diverses religions (de l’intelligent design jusqu’à l’excision en passant par le djihad) font aussi partie des entrées. Si certaines sont commentées par un ou deux paragraphes, d’autres font l’objet d’un développement de plusieurs dizaines de pages parfois ponctuées de citations de philosophes qui ont marqué l’histoire. La laïcité, par exemple, a droit à 29 pages incluant à la fois laïcité de combat, laïcité scolaire, laïque et laïcs-laïques. Notions auxquelles s’ajoutent école laïque, droit laïque, séparation laïque, sécularisation, spiritualité laïque et symbolique laïque.
L’entité Canada/Québec a droit à plus de six pages où Peña-Ruiz relate entre autres l’épisode de la commission Bouchard-Taylor, les limites du multiculturalisme et les différends entre nos deux gouvernements à propos de la laïcité.
À cette époque où la critique de la religion est aisément taxée de religiophobie conjuguée à toutes les confessions, les pages consacrées à l’islamophobie méritent une lecture attentive. Le philosophe établit les distinctions de base à faire entre rejet de certains aspects de l’islam et rejet des personnes musulmanes. Il distingue également islam et islamisme, ce dernier terme désignant non pas une religion mais «un projet de domination politique d’une religion. Le rejet d’un tel projet doit-il être tenu pour un délit? Difficile à admettre. […]. Critiquer une religion ou une philosophie est un droit, une liberté, car en l’occurrence on ne vise pas des personnes pour ce qu’elles sont mais pour ce qu’elles font.»
Face au voile islamique, il nous invite à un raisonnement par symétrie : «Voit-on beaucoup d’hommes qui se voilent? Pourtant l’exhibition de leur chevelure, voire de leur barbe si ostensiblement virile, risque de provoquer le désir. Et de coupables pensées.»
À ceux qui s’étonneraient de voir figurer le Japon dans un dictionnaire de la laïcité, l’auteur apprend (du moins il me l’a appris…) que le Japon de l’après-guerre a adopté une constitution résolument laïque proscrivant toute éducation religieuse, toute activité religieuse et tout privilège religieux de la part de l’État. Une constitution dont Bernard Drainville aurait eu avantage à s’inspirer!
Des humanistes pourront trouver quelque peu succinct le développement accordé au mot humanisme, mais c’est en fait tout l’ouvrage qui traite de la perspective humaniste dans chacune des entrées. À la citation bien connue de Protagoras retenue pour décrire l’humanisme – L’homme est la mesure de toute chose Peña-Ruiz en ajoute une d’Aristote :
«Aristote disait que l’homme se divinise par la pensée. L’homme est né pour deux choses : pour penser et pour agir en dieu mortel qu’il est.’’ L’humanisme ainsi assumé n’est pas plus opposable à la religion qu’il ne constitue une religion de substitution.»
Le Dictionnaire amoureux de la laïcité est un ouvrage incontournable pour tout humaniste et tout défenseur de la laïcité. «Lorsque les mots sonnent juste, écrit Henri Peña-Ruiz, le cœur découvre qu’il est proche de la raison.»
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