Compte rendu de lecture sur l’immortalité
Loyla Leroux
Membre du conseil d'administration de l'AHQ
Loyola Leroux a enseigné la philosophie pendant 36 années au Cégep de Saint-Jérôme; baccalauréat en philosophie (UQAM)
Ainsi débute « Immortality (the quest to live forever and how it drives civilization » de Stephen Cave. Cave, est auteur, philosophe et critique. Il est détenteur d’une maîtrise en métaphysique de l’université de Cambridge en Angleterre. Il est un collaborateur régulier du Financial Times, du New-York Times et plusieurs autres publications. « Immortality » a été désigné livre de l’année par la revue New Scientist.
Chacun d’entre nous va un jour cesser de respirer. Notre cœur va arrêter de battre et nous allons mourir. Bien que nous soyons tous conscients que notre existence aura tôt ou tard une fin, nous sommes doublement affligés, non seulement de devoir mourir, mais aussi de savoir intuitivement que cette fin est inévitable. Sigmund Freud a écrit en 1915, « il nous est impossible d’imaginer notre propre mort et à chaque fois que nous essayons, nous nous percevons encore comme des spectateurs de celle-ci ».
C’est le point de départ de Cave qui examine dans son livre. À travers l’histoire de l’humanité, en commençant par l’histoire de l’ancienne Égypte et de la reine Néfertiti et du pharaon Akhenaten, il entame « le narratif de l’immortalité » qui comporte essentiellement quatre facettes, c’est-à-dire les quatre principaux moyens que les humains ont imaginés pour perpétuer leur présence au-delà de cette vie. Ils peuvent bien sûr exister en plusieurs variétés, mais ils se définissent essentiellement en quatre catégories;
- Rester en vie (ne pas mourir)
- La résurrection corporelle
- La survie de l’âme
- L’héritage
L’ouvrage de Stephen Cave se divise donc en autant de parties. Dans chacune d’entre elles il examine ce que chacun de ces scénarios offre comme possibilité en matière de survie à notre enveloppe corporelle condamnée à vieillir, flétrir puis à s’éteindre.
Ce qui rend cette lecture intéressante, surtout pour un lecteur le moindrement aguerri à la pensée critique, c’est que l’auteur ne se contente pas d’énumérer les scénarios possibles. Son regard est scientifique et contemporain. Il s’inspire de notre connaissance actuelle du corps humain et de ce que la science nous a appris du monde qui nous entoure. La conclusion générale que l’on peut retenir à la fin du dernier chapitre est que nous aurions tort de mettre tous nos œufs dans le panier de la survie de notre moi, car jusqu’à maintenant les possibilités de succès apparaissent bien minces.
Certains pourront s’en désoler, mais Cave ne laisse pas le lecteur en plan, car dans plusieurs passages il examine ce à quoi une vie éternelle pourrait ressembler selon les différents scénarios proposés. Après lecture de ces descriptions, le moins qu’on puisse dire, c’est que réflexion faite, l’éternité n’apparaît pas comme un concept si désirable tout compte fait.
Considérons une dernière façon de perpétuer notre existence, l’héritage, le legs que nous laissons à ce monde et à ceux qui nous suivront. Cet héritage peut se diviser en deux catégories principales selon l’auteur, l’une biologique et l’autre culturelle (accomplissements et célébrité). Cave s’attarde surtout dans son livre à la seconde catégorie prenant comme modèle initial la vie d’Alexandre le Grand. La poursuite de cette reconnaissance se retrouve partout dans notre société moderne à travers les peintres, les écrivains, la musique et la politique. Toutes ces activités proviennent en grande partie d’individus cherchant à se faire une place plus ou moins indélébile dans l’histoire de la culture humaine.
Mais comme l’écrit Cave, cette quête d’un legs durable est perçue par plusieurs, y compris par ceux qui ont atteint une certaine célébrité, comme tout au plus métaphorique. Car il ne s’agit pas ici à proprement parler d’immortalité si la personne elle-même ne survit pas. Pour illustrer son propos, Cave cite Woody Allen « je ne tiens pas à vivre dans la mémoire de mes contemporains, je tiens à vivre dans mon appartement ! »
Ce qui précède peut sans doute en amener plusieurs vers une décourageante fatalité, mais la conclusion du livre suggère fortement que cela n’a pas à être nécessairement le cas au contraire. L’auteur nous rappelle qu’idéalement, la finalité de notre existence ne doit pas nous empêcher de profiter du moment présent, de nous identifier aux autres et de ressentir de la gratitude d’être en vie, d’aimer, d’avoir le privilège d’apprécier le sublime, l’art, la nature, de pouvoir construire, créer et comprendre.
En bref, « Immortality » de Stephen Cave est d’une lecture fascinante, surtout pour quiconque adhère aux principes humanistes et qui souhaite porter un regard lucide et éclairé sur notre existence et sur le mythe de l’immortalité qui demeure une composante extrêmement importante pour comprendre l’évolution de l’humanité, des religions et ultimement de notre civilisation humaine.
0 commentaires