Allocution du président de l’AHQ, Michel Virard, lors de la remise du prix humaniste 2014 à Djemila Benhabib au Centre humaniste

par Avr 2, 2014À propos de l'AHQ, Fondation humaniste, Québec humaniste0 commentaires

Michel Virard

Michel Virard

Président de l'AHQ

Michel Virard est un des fondateurs de l’AHQ en 2005 avec Bernard Cloutier et Normand Baillargeon. Ingénieur et entrepreneur, il a également été administrateur des Sceptiques du Québec. il est depuis les tout débuts l’une des âmes dirigeantes de l’AHQ. 

Ce sont les conseils d’administration de la Fondation humaniste et de l’Association humaniste qui ont déterminé, conjointement, le lauréat du second Prix humaniste du Québec décerné à ce jour. Par décision unanime, nous sommes particulièrement fiers de récompenser par ce prix une personne qui n’a cessé, depuis son arrivée au Québec, d’expliquer aux Québécois pourquoi il est si important de réaliser une séparation réelle entre nos institutions communes, propres à tous, et les religions, diverses et particulières à chacun.

De tout temps, les humanistes ont toujours été méfiants, avec raison, devant les prétentions des religions à régenter non seulement leurs propres adhérents mais également la vie de ceux qui ne partagent pas leur credo. Les humanistes ont également des raisons historiques très concrètes de se méfier de l’instrumentalisation des institutions communes au profit de croyances de nature religieuse ou politico-religieuse fondées sur des dogmes invérifiables. Il y a cinquante ans les Québécois ont su réaliser leur émancipation d’une variété de christianisme particulièrement envahissant mais qui a finalement accepté de se cantonner à la sphère privée de nos concitoyens. Cette tranquille victoire a pu faire croire à nombre d’entre-nous que les interférences religieuses étaient désormais chose du passé. C’était sans compter avec les flux migratoires importants des trente dernières années et l’émergence d’une frange radicale politico-religieuse d’une religion ancienne, l’Islam, qui a décidé d’utiliser ces flux migratoires comme véhicule de son idéologie conquérante. Le Québec s’est retrouvé dans une situation incompréhensible pour beaucoup : comment se faisait-il que certains nouveaux venus refusaient leur main tendue ? Refusaient même la liberté de leur nouveau pays ? Il a fallu se poser des questions graves pour tenter de répondre à cette situation inédite. Cela a donné la commission Bouchard-Taylor mais cette dernière n’a fait qu’effleurer les émotions à fleur de peau et est restée dans un contexte purement Québécois, sans pouvoir aller aux fonds des choses.

Pour aller au fond des choses, il nous fallait un éclairage cru sur ce phénomène qui dépasse largement les frontières du Québec et des témoignages qui proviennent de sources intimement liées à la culture qui en a donné naissance. Ni Monsieur Bouchard, ni Monsieur Taylor ne pouvaient écrire « Ma vie à contre-Coran », ni d’ailleurs aucun auteur canadien «de souche ». Pour bien des humanistes, c’est ce livre qui a provoqué une prise de conscience : l’Islam politique et radical n’est pas forcément soluble dans la démocratie. Le danger qu’il représente n’est pas forcément une lubie d’extrême droite xénophobe et l’Océan Atlantique n’est plus une protection. Quel humaniste conséquent pourrait oublier que c’est dans la patrie d’Albert Camus, l’Algérie, que les pires atrocités ont été commises au nom du refus des croyances de l’autre. «Ma vie à contre-Coran» n’était pas un ouvrage académique, condamné à être lu par une poignée d’intellectuels, mais bien un ouvrage qui parle autant à notre raison qu’à notre cœur et c’est pour cela qu’on en parle encore aujourd’hui.

Mais son auteure ne s’est pas contentée d’écrire, ce serait mal la connaître. Chassée de sa patrie par la haine politico-religieuse jusqu’au Québec, elle ne reculera plus. Son combat, elle le mènera ici et tant pis si ça bouscule les habitudes. Candidate aux élections provinciales dans Trois-Rivières en 2012, invitée à s’adresser à la conférence humaniste de Montréal en août 2012, elle me lance discrètement, mystérieuse : « Tu sais, Michel, je n’oublie pas les humanistes ». Deux semaines plus tard, c’est la bombe qui explose dans les médias : « Polémique autour de Djemila Benhabib – La laïcité pour assurer la paix sociale et l’égalité des femmes ». C’était le titre du Devoir le 17 août 2012. On connaît la réaction pathétique du maire Jean Tremblay de Saguenay à cette déclaration. À ma connaissance c’est la première fois qu’un candidat à un poste de député inclut la laïcité dans sa plateforme. Pas juste la neutralité religieuse, mais la laïcité. Sans adjectif. Le tabou est brisé. Le Québec ne reviendra plus en arrière, même si Djemila est défaite de justesse aux élections de 2012, l’idée, elle, continue de gagner du terrain. Un an plus tard, c’est un ministre qui décide que l’idée de Djemila sera incarnée dans un projet de loi. Celui-là même dont on débat encore aujourd’hui en commission parlementaire.

Mais dénoncer l’extrémisme politico-religieux n’est pas sans danger. Bien sûr, Djemila a reçu des menaces plus d’une fois, mais c’est aussi en 2012 que Djemila va devoir faire face à un nouveau danger : celui des poursuites baillon. Dénoncer en public l’endoctrinement des enfants par des versets coraniques impropres à leur âge est apparemment une diffamation du Coran et des Écoles qui pratiquent cet enseignement. C’est la liberté de critiquer les enseignements religieux qui est en cause, rien de moins, et les humanistes le savent. Ils savent qu’au travers de Djemila, ceux qui sont réellement visés, sont tous ceux qui, comme nous, estiment que rien ne peut être exclu du champ d’investigation de la pensée critique.

Chacune des raisons invoquées précédemment serait amplement suffisante pour justifier notre décision. Il me fait donc particulièrement plaisir de décerner le Prix humaniste du Québec 2014 à Djemila Benhabib, auteure, militante et Québécoise à part entière, pour son action déterminante en faveur de la laïcité, de la liberté de penser et de l’égalité des femmes et des hommes. Nous lui remettons donc les attributs de ce prix, à savoir une plaque commémorative et un chèque de 5000$.

Le Prix humaniste à Djemila Benhabib

La lauréate du Prix humaniste 2014, Djemila Benhabib, en compagnie du président de l’Association humaniste, Michel Virard (à gauche), et du président de la Fondation humaniste, Édouard Boily, lors de la remise de la plaque et de la bourse de 5000$ au Centre humaniste du Québec.

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