Pierre Cloutier

Pierre Cloutier

Membre de l’équipe de vidéastes de l’Association humaniste du Québec. Il a assuré l’organisation et la transcription de diverses conférences et produit nombre de vidéos de l’Association. Il a également contribué à la revue. Il est membre du Conseil national du Mouvement laïque québécois. Pierre a piloté pendant vingt ans la fonction de traduction dans une multinationale oeuvrant dans la gestion des ressources humaines. Membre agréé de l’OTTIAQ, à la retraite depuis dix ans, il est aujourd’hui traducteur indépendant.

Conférence d’Henri Boulad

Présentée au Centre humaniste le jeudi 30 mai 2013

organisée par le Center for Enquiry, en collaboration avec Louise Mailloux

Le thème de ce soir c’est l’Égypte après la révolution. Où allons-nous ? Si vous le savez, dites-le moi. Mais moi, je ne le sais pas. L’intéressant pour l’avenir c’est qu’il n’est pas écrit d’avance. On ne sait pas comment l’histoire va évoluer, malgré toutes les statistiques et les pronostics. On se heurte à des incertitudes qui tiennent justement à la liberté de l’individu et des peuples.

Je prends un exemple : la Syrie, il y a déjà un an un an et demi, les journaux annonçaient la chute imminente du régime de Bachar el-Assad. D’ici une semaine, d’ici quelques jours, d’ici un mois. Puis, on a remis à deux, trois mois. Ça fait un an et demi. Il est toujours sur le point de tomber. Il n’est pas tombé. Et sans doute, il ne tombera pas. Parce que tout pronostic et toute prévision se heurte au jeu des libertés humaines et des impondérables que l’on ne peut pas maîtriser. Même les grandes nations se trouvent prises de court devant les situations nouvelles.

Par exemple, puisqu’on parle de l’Égypte après la révolution, il semble que ces révolutions arabes soient manigancées, manipulées, téléguidées, organisées par un certain nombre de groupes, notamment Israël et l’Amérique, l’Amérique étant l’instrument d’une politique israélienne… et par l’Union européenne, dans un second plan, et que les acteurs de ces révolutions ne sont pas les maîtres du terrain. Il y a derrière eux une main secrète qui agit, agite les pions, qui transfère, qui finance. L’Amérique, actuellement, semble s’interroger sur l’option qu’elle a faite de soutenir les Frères musulmans. Parce que, il faut que vous le sachiez, si vous ne le savez pas déjà, que c’est l’Amérique qui a mis en place Al Quaïda en Afghanistan il y a dix ou quinze ans, c’est Israël qui a mis en place le Hamas en Palestine, pour contrer le gouvernement palestinien et le mouvement d’indépendance et c’est l’Angleterre qui a créé les Frères musulmans au début des années vingt pour contrer l’Empire Ottoman.

Donc, vous avez trois groupes fanatiques, extrémistes, terroristes, qui sont la création de l’Occident et qui continuent d’être soutenus par l’Occident jusqu’à présent. Ça paraît étrange, contradictoire. En fait, l’Occident est pris entre ses principes qui sont très beaux, ses idéaux qui sont très élevés et ses intérêts qui sont d’un tout autre ordre. Il est prêt à sacrifier ces principes, idéaux et valeurs pour obtenir ce qu’il veut sur le plan économique. Car derrière ces guerres et ces courants religieux, il y a des intérêts financiers et économiques énormes et c’est ça qui semble être déterminant dans ce qui se passe.

Alors, l’Amérique qui a misé sur les Frères musulmans semble un peu décontenancée, désarçonnée et se demande : « Allons-nous continuer de les soutenir ? » étant donné que la masse de l’Égypte commence à s’insurger contre eux.

La semaine dernière, un de mes confrères jésuites d’Alexandrie a rencontré la consul des États-Unis à Alexandrie. Et de lui demander : « Alors les frères musulmans, maintenant ? » Elle lui a fait comprendre qu’ils les laisseraient tomber. Est-ce vrai, faux ? Il semble qu’ils veulent enfourcher un nouveau cheval. Lequel ? Les Salafistes. C’est de mieux en mieux. De mal en pis.

Pour brosser un tableau rapide des Frères musulmans et des Salafistes, je dirai ceci. Les Frères musulmans sont nés en 1928. Ils ont été créés par un instituteur d’Ismâ’îliyya, qui est une ville du canal et ils avaient pour but la restauration du califat. Le califat est une institution qui date du prophète, d’une manière quasi ininterrompue et qui était le symbole, l’emblème de la nation musulmane et de la oumma qui est la communauté musulmane mondiale. Ce califat disparaît tout à coup en 1917. Parce qu’avec la chute de l’empire ottoman, Istanbul est tombée et il n’y a plus de calife. C’est comme si, tout à coup, on vous disait «Il n’y a plus de pape à Rome». C’est le même type de traumatisme qu’a vécu l’islam avec la chute du califat, qui a été évidemment attribuée à l’Occident, puisque la guerre était menée entre l’Empire ottoman et l’Occident. Alors ce vide créé par la chute du califat a suscité un sentiment d’insécurité, d’instabilité, de doute, de révolte, de rancœur qui s’est cristallisé chez ce petit bonhomme, ce petit instituteur d’Ismâ’îliyya, Hassan el-Banna, qui a créé sa confrérie, les Frères musulmans. Elle a pour symbole deux sabres. C’est symptomatique. Le sabre, le glaive est le symbole de la reconquête du pouvoir et du rétablissement du califat qui est l’objectif premier des Frères musulmans. Donc, l’objectif premier, le rétablissement du califat et l’objectif second, la reconquête du monde à l’Islam. Rien de moins que cela. Il faut savoir que les Frères musulmans, tant qu’ils n’auront pas le monde entier, ils ne seront pas tranquilles, ils ne seront pas contents, ils ne vont pas se taire. Le monde entier, y compris le Canada et même le Québec, ne vous en déplaise. C’est comme ça. Et ils l’auront. Au rythme où vont les choses, vos enfants connaîtront un autre régime que celui que vous connaissez.

Cela vous paraît utopique ? Chaque année, depuis trente ans, je fais une tournée en Europe. Autriche, Allemagne, France, Suisse, Belgique, Hongrie. Et quand je leur disais « Attention, l’islam est en train d’envahir l’Europe » « Quoi ?!? Mais vous vivez sur une autre planète ! » Bon. Maintenant, quand je les rencontre, car je serai chez eux en octobre prochain, ils me disent : « Comment vous avez su ça il y a trente ans ? » Parce que je le voyais venir. Et ce qui se passe en Europe est en train d’advenir, au triple galop, au Canada et aux États-Unis. Ce n’est pas de l’alarmisme, c’est pour moi du réalisme, car je vis cela au quotidien.

Pour vous situer ma personne, je suis d’origine syrienne, de Damas. Mon nom, Boulad, vient de l’arabe fulad qui signifie acier, car mes ancêtres étaient des armuriers à Damas. Poignards, épées. Nous avions le secret de la fabrication de l’acier. Jusqu’au jour où Tamerlan envahit Damas. Et il a déporté les chefs de la famille Boulad pour avoir le secret de l’acier dans sa capitale de Mongolie, Samarkand. Et les Boulad ont perdu le secret de l’acier à partir de ce moment. Et nous nous sommes tournés vers la soie. L’acier, la soie. Et moi, je dis quelques fois que j’allie dans mon caractère l’acier et la soie. Je suis d’acier et je suis de soie.

À partir de là, nous avons vécu à Damas, dans l’industrie de la soie, jusqu’en 1860. Alors, il y a eu le massacre de 20 000 chrétiens. Mon grand-père, Selim, a échappé de justesse au massacre, grâce à un musulman ouvert, un saint-simonien, l’émir Abd el-Kader. Les Français l’avaient exilé parce qu’il avait fait la révolution en Algérie. Ils l’avaient mis dans un palais. Il en a ouvert les portes à tous les chrétiens qui étaient persécutés par les Druzes. Ainsi, je me trouve ce soir devant vous. Sinon, je n’existerais pas.

 

Ils nous ont transférés en Égypte comme des centaines de milliers, des millions de Syriens, de Libanais qui ont injecté à l’Égypte un sang nouveau au moment où elle était en pleine tentative de renaissance et eux ont été parmi les premiers artisans de cette renaissance de l’Égypte sur tous les plans, économique, culturel, social.

Ce passé de ma famille, je le porte dans mon sang. C’est-à-dire à la fois une peur de l’islam, une méfiance de l’islam et une attirance vers cet islam ouvert, modéré de l’émir Abd el-Kader qui se trouve actuellement très répandu en Orient. Et c’est le bras de fer non seulement entre les musulmans ou les arabes et l’Occident, ou Israël, mais c’est le bras de fer entre les musulmans modérés et les musulmans radicaux.

Nous sommes à un tournant où l’islam se cherche. La révolution égyptienne a été la révélation de quelque chose qui couvait depuis deux siècles déjà, puisque l’Égypte est entrée dans la modernité avec la conquête de Napoléon en 1798 et depuis lors, elle a fait une avancée extraordinaire sur le plan de la modernité. La Comédie française, après avoir présenté une pièce à Paris, le lendemain la présentait à Alexandrie. Alexandrie était devenue le deuxième Paris. La Scala de Milan, après avoir présenté son spectacle à Milan le présentait la semaine suivante à Alexandrie. Georges Moustaki était un Alexandrin.

J’ai vécu une enfance très cosmopolite. On pensait que l’Égypte était définitivement entrée dans cette modernité avec tous les courants du XIXe siècle, que les jeux étaient faits. Mais les jeux n’étaient pas faits. Encore une fois, le problème de l’avenir est qu’il n’est pas écrit d’avance. Et l’Égypte a basculé, en 1928 avec Hassan el-Banna, qui s’est heurté immédiatement au pouvoir du roi. Il s’est heurté aux anglais qui avaient pourtant créé les Frères musulmans.

L’apprenti sorcier. On déclenche un processus qu’on arrive plus à maîtriser, tant on a joué avec le feu. Depuis 1928, depuis la création des Frères musulmans, c’est le bras de fer entre eux et le pouvoir. En février 1949, Hassan el-Banna est assassiné. Le premier ministre de Farouk est assassiné. Et Nasser, qui a tout de suite compris qu’il avait affaire un ennemi de taille, bien qu’il fut lui-même Frère musulman – les officiers libres de la révolution étaient en majorité Frères musulmans – s’est aperçu qu’il devait non seulement rompre avec eux, mais les persécuter, à partir du moment où ils ont cherché à l’assassiner. Pendant toute la période de Nasser, les Frères musulmans ont été opprimés et torturés en prison.

Sadate, frère musulman convaincu, a voulu les libérer en se disant « vous n’êtes plus en guerre les uns contre les autres ». Quand il s’est aperçu qu’ils étaient en train de concocter le renversement de son régime, il les a emprisonnés de nouveau. Trop tard. Il a été lui-même assassiné le 6 octobre 1981, pendant le défilé de la révolution.

Moubarak, c’est la politique de la carotte et du bâton. Le bâton TAK-TAK-TAK ! très fort… et la carotte, on parlemente, on discute, on fait des concessions. Mais il faut savoir que les Frères musulmans sont des irréductibles. Il y a chez eux cette radicalité qui est propre à l’Islam, tout comme au christianisme. Il y a deux types de radicalité : celle de la conquête du monde à l’Islam, programme clair qu’ils ne cachent pas. Toute personne qui n’est pas avec nous est contre nous et ils auront la victoire à la fin. Ils le croient. Ils le pensent.

Ce combat se joue à plusieurs niveaux. Ce n’est plus par le glaive, sinon sporadiquement. Mais ils envisagent de conquérir l’Occident d’abord, puisque c’est lui qui a le pouvoir en ce moment, puis le reste du monde, par un triple jeu. Celui de la démographie, soit avoir le maximum de bébés : « Nous vous aurons par le ventre de nos femmes ». Cinq, c’est le minimum. Et ça va bon train. Deuxièmement, l’immigration massive, à toute vitesse, grâce à la complicité de certains gouvernements de gauche qui sont complices et qui sont payés pour cela. Ce n’est pas gratuit, c’est bien graissé. Troisièmement, le prosélytisme, la lente islamisation de la société, la pénétration des structures, des mécanismes, des rouages, à tous les échelons. Avez-vous vu les cinq conseillers Frères musulmans d’Obama qui l’entourent et le conseillent très bien ? Il y a donc un plan qui se développe de façon très systématique, très claire et ils ne s’en cachent pas. Le refus de reconnaître ça au nom du politiquement correct c’est, à mon avis de la naïveté et de la bêtise. Parce que c’est clair comme le jour. C’est la politique de l’autruche. On se met la tête dans le sable, sans vouloir voir que ce qui se passe est sérieux. Et à force de vouloir être gentil, on finit par être dévoré.

Quand on me pose la question vis-à-vis de l’Europe, oui, au rythme où vont les choses, elle sera musulmane dans vingt ou trente ans. Le Canada ? Dans les mêmes délais.

Le problème n’est pas l’islam. C’est le type de société que l’islam veut instaurer. Je n’ai rien contre une religion monothéiste qui a des valeurs extraordinaires, qui a un sens de Dieu… mais à laquelle il manque le sens de l’homme. L’Occident, c’est l’homme. La modernité, c’est l’homme. L’islam, c’est Dieu. Ça ne fait pas le poids entre Dieu et l’homme. C’est Dieu qui l’emportera.

Mais il faut savoir quel Dieu.

Quand je vois des types égorgés au cri de « Allah akbar », vous l’avez vu dans les actualités, je me dis : C’est quoi ? Pourquoi faut-il égorger les gens au nom de « Allah akbar ». Non. Je respecte infiniment Dieu, les valeurs de l’islam, mais quand ces valeurs tournent à autre chose, je me dis Non ! Non ! J’ai vu passer le nazisme, le stalinisme, le fascisme. Je ne suis pas prêt à entrer dans un nouveau fascisme au nom d’une religion. Non ! Apportez moi la paix, oui ! La fraternité, oui ! La citoyenneté oui ! Et c’est ça la révolution de l’Égypte. Les premiers jours c’était une lune de miel extraordinaire. Musulmans et chrétiens la main dans la main. Un seul symbole, un seul emblème : le drapeau égyptien. Les chrétiens ont mis leur croix dans leur poche, les musulmans ont mis leur coran dans leur poche. Les jeunes de la révolution en ont assez du religieux. Je disais ce matin, dans mon interview, l’athéisme, l’agnosticisme grandissent à toute vitesse en Égypte. Parce qu’ils se disent les religions sont un facteur de division, de fanatisme, d’exclusion, de refus, de rejet. Nous ne voulons pas ça. Nous voulons une société égalitaire, citoyenneté pour tout le monde, la main dans la main on construit l’homme, on construit la société. Et c’est ça.

Les Frères musulmans ont pris le pouvoir. Très bien. Certains disent démocratiquement… Hmm. Quand on voit comment les élections se sont passées. Bref. Mettons démocratiquement, car il y a des preuves que tout cela a été en partie trafiqué. Ils sont en place. Très bien. Qu’ont-ils à offrir ? Quelle sera leur contribution ? Leur grand slogan depuis des années : l’islam est la solution.

Voyons quelle est cette solution. Actuellement, les pannes d’électricité se multiplient en Égypte, pénuries d’essence, files de voitures longues d’un kilomètre devant les stations d’essence, attente de quatre-cinq heures, les prix montent en flèche, les salaires stagnent, l’insécurité augmente, les femmes ne peuvent plus descendre dans la rue seules. Quand elles sont accompagnées, ça va encore. Agressions contre les femmes et viols en pleine rue par des gangs. Enlèvement d’enfants, de filles chrétiennes que l’on découvre après deux ou trois semaines musulmanes, converties, voilées, enlevées. Quand on va se plaindre au poste de police, l’autorité répond on n’y peut rien. Démission de l’autorité qui couvre tacitement de pareilles voies de fait.

Si bien qu’à ce jour 150 000 chrétiens ont quitté l’Égypte, en grande partie vers la Canada français. Dans cette salle, il y a des personnes que je connais qui ont demandé d’immigrer au Canada, car elles disent l’Égypte que nous avons connue n’est plus l’Égypte. L’identité de l’Égypte est d’être égyptienne. À partir de Nasser, elle est devenue « arabe ». Les Coptes se demandent : « Pourquoi Arabe ? Nous ne sommes pas des arabes. Nous sommes Égyptiens. » Ce rêve de Nasser, faire la République arabe unie, consistait à regrouper l’Égypte, la Syrie, la Lybie, le Yémen. Ce mythe, ce rêve c’était quoi ? L’embryon du califat mondial à venir.

Le nom de l’Égypte a changé. Royaume d’Égypte sous Farouk. C’est devenu la république arabe unie. Avec Sadate, la République arabe d’Égypte, le mot arabe est resté. Et les coptes se disent : « Nous ne sommes pas des arabes.» Lorsque le monde arabe se plaint du colonialisme anglais, français, autre. Mais qui sont les premiers colons du monde ? Du Proche-Orient à l’Afrique, sinon les musulmans ? Ils ont conquis tous ces territoires à la force de l’épée. Pas toujours, mais souvent. En moins de cent ans, ils avaient conquis un territoire allant de l’Espagne à l’Indus.

Je dois vous dire une chose. Les Perses sassanides, l’Empire byzantin de l’époque se croyait tellement fort face à cette poignée de bédouins venant de leur désert d’Arabie… ils ont eu le tort de sous-estimer la conquête musulmane. C’est un peu ce qui se passe aujourd’hui en Europe. En Occident, On se dit : le Canada… c’est le Canada ! Mais il peut devenir très différent de ce qu’il a été. L’Europe est en pleine déconfiture. Je suis intervenu deux fois au parlement européen ces dernières années et je leur ai dit : « Attention ! » Europe, prend garde de perdre ton âme. L’Europe est en train de brader en quelques années un acquis de plusieurs siècles. Toutes ses libertés, conquises à la force des poignets sont en train de s’étioler, de disparaître. Ce qui sous-tend cela, c’est la désaffection des chrétiens par rapport à l’Église, et pour cause. J’ai écrit une lettre au pape en 2007. Elle n’est pas tendre du tout. Et je vais la représenter, puisque le nouveau pape est un jésuite.

Je ne suis pas tendre pour l’Église, ni pour l’islam. Je ne suis pas tendre pour toute religion qui oppresse l’homme au nom de Dieu. Jésus est venu libérer l’homme de toutes ces oppressions du religieux, du social, de l’autorité, quelle qu’elle soit. J’ai une admiration folle pour Jésus. Un homme libre ! Et le monde qu’on appelle libre, aujourd’hui, ne l’est pas. Parce qu’on vous la ferme. Vous n’avez pas le droit de parler. C’est ce qu’on m’a dit. À partir d’un certain seuil, on ne peut pas dépasser. Soyons libres de parler. Cette liberté d’expression conquise. Que chacun dise sa vérité et la dise comme elle l’est. C’est ce que j’appelle un vrai dialogue. Jésus a dit : « La vérité vous rendra libres ! » On n’est pas libre sans la vérité. Toute liberté, tout dialogue qui n’est pas construit sur la vérité est faux. Parlons franc. Pas de ces dialogues de salon.

Toute l’histoire de la chrétienté et de l’islam est celle d’une empoignade qui n’est pas finie. Il faut le savoir. Quand on invoque les croisades : « Voyez ces chrétiens qui ont attaqué. » Les croisades n’ont pas été une action, mais une réaction. Une réaction contre des raids continuels sur les mers et sur terre. Finalement, l’Occident a réagi. Et si nous réagissons aujourd’hui, c’est pour les mêmes raisons.

Je reviens à Jésus. Jésus n’était pas tendre. « Je suis doux et humble de cœur » c’est lui qui l’a dit. Il faut voir ses empoignades avec les scribes, les vendeurs du temple, ses apôtres même. PAF ! Jésus était un type comme ça. Je suis comme ça. Je pense comme ça et je le dis. Et si tu veux dire le contraire, c’est ton droit. C’est ton droit de parler. Mais c’est mon droit aussi de parler. Toute construction qui n’est pas bâtie sur la liberté et la vérité est vouée à l’échec.

Pour en revenir à notre évolution égyptienne – je digresse à mon habitude –, actuellement, c’est le bras de fer entre les libéraux et le pouvoir islamiste avec Morsi. Il est de plus en plus déconsidéré, discrédité, surtout par le naufrage économique qui s’annonce. Les caisses sont presque vides. Il reste trois mois de liquidités. Le tourisme est mort. Le pétrole, le gaz, l’électricité sont donnés au Hamas pour des raisons politiques. L’enseignement et l’éducation sont en chute libre. Israël, six millions d’habitants, lit plus de livres que les 400 millions d’arabes. Et pour citer un personnage bien connu. Sheik Sharaawi, star de l’islam électronique, cet homme se fit une gloire de n’avoir pas lu un seul livre pendant quarante ans, parce que tout étant dans le coran, il n’avait pas à lire autre chose. Jusqu’à présent, c’est le guide spirituel des Arabes, du Maghreb jusqu’au fond de l’Irak. J’appelle ça une débâcle. Quand la pensée n’est pas là, que reste-t-il ? Il reste l’idéologie.

Élément important, il y a une prise de conscience des jeunes en Égypte. Trois mots m’ont frappé lors de la révolution égyptienne : les jeunes, le peuple, la rue. Depuis quand les jeunes, le peuple, la rue ont-ils leur mot à dire ? Depuis la révolution. Actuellement, dans ce tournant de la révolution, il y a quelque chose de nouveau qui a éclaté : le droit à la parole. La parole a été libérée. Un phénomène nouveau : le rôle des réseaux sociaux et d’Internet dans la révolution égyptienne et les révolutions du monde arabe. N’importe qui peut transmettre un message à des dizaines de milliers de personnes. Ça enflamme, ça conscientise, ça informe. Les jeunes jonglent avec ça de façon incroyable. Je suis un âne devant eux. Je ne sais pas. Mais eux, ils naissent avec ça. Actuellement, on ne peut pas penser les révolutions arabes et le monde d’aujourd’hui sans comprendre l’influence des réseaux sociaux sur la démocratie.

Qu’est-ce qu’une démocratie ? Un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Et que veut le peuple ? Du pain d’abord. Puis l’instruction. Qui en Égypte est au plus bas niveau. Fondée sur la mémorisation. Il s’agit de cracher à l’examen ce qu’on a mémorisé le reste de l’année… puis l’oublier. Les gens sortent de l’université, d’institutions respectables, 13 ans de français, cinq ans à la faculté de lettres françaises. Ils ne savent pas dire un mot de français. L’éducation égyptienne est un désastre.

Vous me direz : « Vous êtes pessimiste ». À court terme, oui. Tant qu’on n’aura pas balayé ce régime et qu’on n’aura pas vraiment institué une véritable démocratie, une citoyenneté, une égalité réelle, une justice pour tous, eh bien, oui, je suis pessimiste. Ça viendra. Mais est-ce que c’est sûr ? Je pose la question et j’aimerais votre réaction, votre écho. Pensez-vous que le monde arabe va sortir de ce chaos ? Oui ou non ? La voix du peuple, la voix de la liberté, la voix de l’humanité sera-t-elle plus forte que la voix de l’argent, du pétrole, des armes, des intérêts économiques ? Ce n’est pas évident. Ceux qui jouent actuellement avec le monde sont hyperpuissants. Tout est acheté. Tout se paie. Y compris les hommes, les hommes politiques en particulier.

C’est David contre Goliath. David, c’est quoi ? Le peuple, les jeunes. Avec leur Facebook, leurs manifestations. David, c’est qui ? C’est les femmes. Le sexe faible comme on dit. Mais quand les femmes se réveillent, chers amis, la Terre tremble. L’avenir du monde arabe est à la femme. Et les musulmanes sont les toutes premières à se révolter. C’est David, le gringalet, qui arrive avec sa fronde et deux cailloux, devant Goliath, bardé de fer, avec son glaive et son casque. Il regarde ce petit bonhomme et s’exclame : « Quoi ?!? Suis-je un insecte pour que tu viennes contre moi avec ta fronde ?!? » Et David lui dit : « Toi tu combats avec ton glaive, mais moi, je combats avec le Dieu des armées. » Et PAF ! David dégaine son glaive et CRAC ! Il lui coupe la tête. Relisez ça. C’est symptomatique pour moi.

L’avenir est à la faiblesse. L’avenir est à celui qui apportera un peu plus d’amour et de fraternité dans le monde et de justice pour les pauvres. Et là, je suis en parfaite synchronie avec le nouveau pape François, qui, il y a trois jours a savonné l’épiscopat italien. Il les a lessivés. Une première dans l’histoire. Il n’a pas mâché ses mots. Il est pour la justice, pour les pauvres, les petits, les marginaux. Pas pour les acheter. Les Frères musulmans ont acheté le peuple avec de la farine, des bidons d’huile, du pain. Il ne s’agit pas d’acheter l’homme, mais de le libérer. L’avenir est à celui qui apportera à l’homme non seulement du pain, mais de la dignité.

Merci.

Période de questions

Étant donné ce que vous connaissez du coran, de l’islam, estimez-vous qu’il est possible de concevoir un féminisme islamique ? Au Québec, certaines femmes relisent le coran pour améliorer la condition féminine dans une optique islamique. Les femmes peuvent-elles se libérer en s’appuyant sur le coran ?

Je ne crois pas. On peut tordre et contourner les textes, ils sont là, clairs comme le jour. On ne peut pas jouer avec ce que l’on trouve dans le coran. Comme fondement du droit des femmes, le coran n’offre aucune base.

J’aimerais faire un commentaire sur ce que j’ai entendu. Nous sommes dans un groupe humaniste, à ce que j’ai compris, j’ai beaucoup entendu parler du choc des civilisations, qui est sous-entendu dans votre discours, et j’estime que cela manque de rationalité. Je ne dis pas que l’islam soit bon. Ce n’est pas du tout ce que je défends. Mais vous avez parlé de la révolution arabe. J’ai lu un bouquin d’Emmanuel Todd, anthropologue français, qui a parlé des révolutions arabes avant qu’elles aient lieu. Il parle de phénomènes rationnels et objectifs. Exemples : les taux d’alphabétisation montent, dans les familles de Tunisie, il y a de moins en moins d’enfants par femme, ce qui remet en cause le patriarcat. Bref, il y a des forces objectives qui font que cet islam est peut-être le dernier soubresaut de l’islam violent, tandis que vous envisagez une guerre d’invasion au Canada ou en Europe. Je suis désolé. On voit des phénomènes de violence individuelle ou de groupe, des tentatives de lobbying. Mais je crois que le vrai danger n’est pas là.

Je respecte parfaitement ce point de vue, car j’ai des amis qui le partagent. Chrétiens d’orient, d’Égypte qui me disent : « Tu te fais complètement illusion en croyant à une invasion de l’Europe, de l’Occident par l’islam, c’est impossible. »

Je reviens à mon leitmotiv : l’histoire n’est pas écrite d’avance. On ne sait pas. Je crois qu’il y a un débat intéressant à instaurer entre minimalistes et maximalistes. Moi, j’ai tendance à être maximaliste en disant : « Attention ! » d’autres disent : « Mais non, en deux, trois générations, c’est fini. Ces musulmans venus à la conquête de l’Europe seront intégrés, assimilés, fondus dans le tissu social. » Alors, c’est un débat qu’il serait intéressant d’instaurer. Parce que je répète ce que je vous disais. Lorsque Byzance et la Perse se sont trouvées devant cette poignée de bédouins, elles ont dit : « Pensez donc, nous sommes la Perse, nous sommes Byzance ! » Ça a été balayé en moins de cent ans. Balayé !

J’ajoute encore une chose. L’Occident, comme l’islam est dans le doute par rapport à lui-même. Lisez Marcuse, L’homme unidimensionnel. Il y a une sorte de masochisme occidental qui consiste à se fustiger soi-même en se disant : « Nous sommes coupables, nous sommes de sales impérialistes, de sales colonialistes. » etc. C’est possible. Mais regardez toutes les valeurs dont est porteur l’Occident et vers lesquelles tout le monde arabe se tourne. Le monde arabe est fasciné par l’Occident et lui porte une haine implacable. Autant il est attiré, autant il est en réaction. Il y a un contentieux qui n’est pas réglé dans l’inconscient arabe. Un retour du refoulé. Et au lieu de se dire, comme la Tunisie que vous évoquiez tout à l’heure. La Tunisie est un pays en pointe. Si elle avait poursuivi sous l’impulsion de Bourguiba, ça aurait été le premier pays vraiment moderne. Mais…

Il y a beaucoup de choses à commenter dans ce que vous avez dit. Je fais une observation, car je ne suis pas d’accord que le problème ne soit pas l’islam. Le problème est l’islam. Au moins à 50 %. Évidemment il y a des conflits, on peut toujours expliquer des situations par la pauvreté. Mais il y a aussi une doctrine, une vision de la société, de l’ordre social qui est l’islam et cet islam, l’islam tout court, comme doctrine, par son dogme, sa manière de se penser, les rapports qu’il institue avec les autres, tout cela est incompatible avec la démocratie moderne et libérale. La vision liberticide de l’islam, il y a beaucoup de choses à dire. On a tort de faire une distinction entre l’islam et l’islamisme. C’est la même chose. Il y a un petit volume que j’ai fait venir d’Europe, écrit par un journaliste algérien. Il est très clair là-dessus. On fait cette distinction. Pourquoi ? Parce qu’on se trouve devant un problème sérieux auquel on ne veut pas faire face ? Politique de l’autruche ?

Actuellement il y a un réveil dans le peuple. Il sent les pressions à l’islamisation. Je constate ce qui se passe en Hollande. On vient de mettre fin officiellement à la politique du multiculturalisme. C’est fini. Il y a un million de musulmans et ils voient des pressions à l’islamisation. Le gouvernement hollandais finançait la création de mosquées, tout comme le gouvernement de France, ce qui est tout à fait contraire à laïcité. Le principe de la laïcité est la neutralité. L’État ne met plus au service de croyances sa force de coercition, son pouvoir financier. C’est aberrant. Je ne parle pas de la situation en Angleterre. Il y aurait beaucoup de choses à dire. Une question. Vous avez mentionné la désaffection des jeunes à l’égard des religions. Du progrès de l’athéisme. La même chose se passe en Iran. Un dégout. Et une thèse veut que les islamistes soient les agents les plus actifs de la sécularisation. Ils dégoûtent les gens de la religion. On a vécu un peu la même situation au Québec. Le pouvoir clérical a dégouté les gens et du jour au lendemain, ça s’est effondré comme un château de cartes. Un jour, l’Église toute puissante. Le lendemain, rien. Et je crois que c’est ce qui va se passer. Je crois que l’avenir va dans ce sens là

Si j’ai dit que l’islam n’est pas le problème, je le retire. Je crois que c’est le problème. J’appuie ce que vous dites. Je suis d’accord.

J’ai deux questions à vous poser. La première est très simple. Elle peut paraître simpliste à certains. L’islam est-il une religion ? J’ai une suggestion. Il ne l’est pas. Il est une philosophie politico-religieuse. Conséquence : comme les chefs islamiques sont tous des chefs politiques, il n’y a pas de partage. Il n’y a pas Dieu d’une part et César de l’autre. Deuxième point, vous n’avez pas prononcé le mot laïcité. Là aussi, je vous suggère une explication. Si l’on considère l’expérience française et québécoise, on peut estimer que la laïcité est le cheval de Troie de l’islam. Sous prétexte de la neutralité de l’État, l’islam en profite très largement. Les gens qui sont au pouvoir ont très vite compris qu’il y avait du clientélisme à faire. Ça renverse les majorités, ça. On voit donc une religion autocratique, arriérée qui, par le biais de la démocratie renverse les majorités. On a proposé en France d’accorder le droit de vote aux étrangers non communautaires, soit hors d’Europe. On a donc un détournement de démocratie avec des objectifs de clientélisme. C’est très grave.

La phrase de Boumediene à l’ONU : « Nous allons conquérir l’Europe par le ventre de nos femmes » elle est réelle, elle a été prononcée. Ça constitue des majorités dans certains quartiers. Ils sont très grégaires. Dans certains quartiers de Bruxelles et d’Amsterdam, où il y a effectivement de grosses populations musulmanes, on demande un ajustement des règlements municipaux en raison des besoins spécifiques des populations majoritairement musulmanes. C’est logique, c’est démocratique, d’une certaine manière.

Je commence par le deuxième point. Pour moi, la laïcité est le seul terrain d’entente de gens d’horizons culturels ou religieux différents. Elle établit une égalité entre tous où un certain nombre de valeurs communes sont reconnues et implantées : égalité, justice, liberté de parole et d’expression, égalité de l’homme et de la femme. Je suis 100 % pour la laïcité. Si certains en profitent, c’est qu’il y a peut-être une certaine faiblesse dans la définition de la laïcité, dans les mécanismes de la législation. Pourquoi profitent-ils de la laïcité pour torpiller la laïcité ? Quand vous dites le cheval de Troie… Car le jeu de la démocratie, c’est la majorité. Le plus dangereux dans une démocratie, c’est la dictature de la majorité. Comme la majorité est une question de nombre, très vite, ils auront le nombre.

Le concept de démocratie est à repenser. On associe démocratie et liberté. Avons-nous réfléchi à ce qu’est une démocratie ? Le danger pour une société comme la société canadienne ou québécoise est de s’endormir dans le bien-être social. Il est partout. On vous nourrit à la cuiller dès la plus tendre enfance. L’État providence comble tous vos besoins. Attention, ça finit par vous faire perdre votre système immunitaire. Par vous faire oublier des valeurs clés que vous avez tendance à brader trop facilement.

Premier point, l’islam est-il une religion ? L’islam a commencé comme religion et a terminé comme politique. L’islam des origines est un islam mystique. Merveilleux. Voyez les plus belles sourates du coran que j’ai lu de a à z en arabe : « pas de contrainte en religion », « aimez chrétiens et juifs, ils sont nos frères » « Dieu est plus proche de vous que votre veine jugulaire ». La mystique musulmane est par certains côtés plus belle que la mystique chrétienne. Mahomet a commencé comme mystique, il a terminé comme chef de guerre. C’est le problème. Les soufis perpétuent cette tradition mystique. Or, ils sont persécutés. Leurs monuments sont détruits. Ils sont juste tolérés. Ils ne sont pas considérés orthodoxes. Pour que l’islam redevienne une religion, il faudrait retourner de Médine à la Mecque. Or, c’est impossible. La chose a été décidée au Xe siècle, une fois pour toutes.

 

Vous avez dit que le printemps arabe avait été manipulé par les États-Unis, Israël et l’Europe. Est-ce qu’on savait que la situation irait de mal en pis et qu’on a voulu pratiquer une politique du pire afin que l’islam s’effondre ?

C’est une hypothèse. La seule manière de combattre les Frères musulmans était de leur donner le pouvoir. On a tenté de les emprisonner, de les poursuivre, de les torturer. Rien n’y fit. On s’est peut-être dit : « Donnons-leur le pouvoir ». Appliquez votre solution. L’islam est la solution ? Montrez-nous. Actuellement c’est plutôt le désastre, comme solution Et vous verrez, dans les semaines qui viennent, ce qui va se passer en Égypte. Ce sera la révolte des affamés. Elle n’est pas commencée la révolution. Ça gagne de plus en plus le petit peuple qui sent qu’il a été trompé par des slogans, un lavage de cerveau. Et il faut s’attendre à ce que les choses se retournent. Est-ce que la politique occidentale consistait à dire : poussons-les pour qu’ils tombent dans le piège qu’ils se sont eux-mêmes constitué ? Je ne sais pas.

Sur le prosélytisme musulman. Je connais un cas qui me fait beaucoup de peine. J’ai une amie marocaine dont la fille née ici, éduquée ici a décidé du jour au lendemain de prendre le voile, alors que sa grand-mère avait lutté pour l’enlever. Et la question que je me pose : comment se fait-il que nos filles qui ont connu le féminisme, qui jouissent de la liberté, de l’égalité, comment se fait-il qu’elles puissent accepter de retourner un demi-siècle en arrière et plus ?

Soit quatre cents ans en arrière… Il y a le problème du sentiment de perte de l’identité des Arabes venant en Occident. Le voile est une affirmation d’identité, Je ne suis pas comme vous. Je suis moi. Je suis Arabe. C’est presque une provocation. C’est une manière de s’affirmer… alors que d’autres cultures s’affirment par le savoir, par l’intelligence, par les diplômes, par les langues, par la recherche. Une affirmation d’identité qui cherche à travers une barbe, un voile un vêtement à dire « Nous sommes différents ». Ces personnes refusent l’intégration. Elles viennent pour ne pas s’intégrer. Il s’agit d’une affirmation d’identité par réaction.

Vous avez dit que l’islam est une religion radicale, tout comme le christianisme. Qu’est-ce qui fait que l’islam tente de conquérir le monde et non le christianisme ?

Bonne question. Le christianisme a pour mission d’évangéliser toutes les nations. Il a fait fausse route en tentant de le faire par coercition, par force, en imposant la foi. Exemple : prenez le Québec que j’ai connu en 1966. Je l’ai parcouru jusqu’à Rivière-du-Loup. Le Québec. Pourquoi y a-t-il un rejet massif de l’Église au Québec ? Parce que l’Église s’est comportée comme Mater et magistra. Le christianisme… VOUS L’AUREZ ! Et si vous n’êtes pas content… VOUS IREZ EN ENFER ! Alors, vous vous êtes dit : « Au diable l’Église et au diable l’enfer. » Je ne veux pas de ce système-là. C’est un radicalisme qui a été malheureusement le fait de l’Église pendant longtemps et que vous rejetez à juste titre. Comme moi, d’ailleurs.

Mais le radicalisme du christianisme est d’un autre type. Simone Weil est pour moi un maître à penser. Une radicale comme c’est pas possible. Ce que j’aime en elle, c’est l’Évangile à l’état pur. Voilà pourquoi elle était en réaction violente contre l’Église. Suis-je contre l’église ? Je suis contre une certaine Église, c’est exact. Et l’Église doit être sans cesse réformée. Mais en voulant démolir l’Église on coupe la branche sur laquelle on est installé. L’Église est à reconstruire.

Pourquoi reconstruire l’Église ? Si l’Église est morte, je crois que c’est une bonne chose. J’ai l’impression que vous essayez de réintroduire l’Église par le biais de la lutte contre l’islam. Je suis désolé. Je ne vous suis pas du tout.

L’Église telle que vous l’avez connue…

Non pas l’Église telle qu’on l’a connue. Même l’Église du futur ! Moi, je n’en veux pas. L’athéisme existe

Mais c’est très bien. Vous êtes libre…

Oui !

Je voudrais parler de l’enjeu économique. On sait qu’au Canada, l’économie va bien. En Europe, la morosité est en train de s’installer, en Grèce, en Italie, en Espagne. En Égypte, vous semblez dire qu’il n’y a plus de liquidités, les coffres sont vides. D’après ce que vous me dites, je vois deux enjeux. Premier enjeu, si la pauvreté s’installe, les gens vont dans la rue et veulent parler de façon démocratique, Autre enjeu : si en Europe, l’économie s’effondre comme on l’appréhende, est ce que cela favoriserait la montée de l’islamisme ?

Les pays du Golfe sont riches à milliards et ils sont en train d’injecter des sommes fabuleuses pour l’islamisation de l’Europe. À mon avis, on ne vit pas d’expédients. L’Égypte, comme l’Europe, ne peut pas vivre indéfiniment sous perfusion. Ça veut dire qu’actuellement l’économie s’effondre en Égypte. Le Quatar donne 4 G$. Très bien. La Lybie donne 2 G$. Très bien. Le FMI est en train de marchander pour lui donner 4 G$ au lieu de lui prêter le montant. Mais qu’est-ce- que ça fait 4 G$… combien de mois pour 90 millions d’habitants ? Jusqu’à quand pourrez-vous faire vivre une économie avec du goutte à goutte ? Non. Ou bien on remet l’économie sur pied, on redonne confiance aux investisseurs, on fait démarrer le tourisme et alors, l’économie égyptienne est saine, elle compte sur elle-même et elle a de quoi, l’Égypte est un pays potentiellement très riche.

Pour revenir à votre Question, l’Europe est en train de s’effondrer économiquement parce qu’elle a eu une politique d’aide sociale qui était inconséquente, qui dépassait ses possibilités. On ne peut pas faire vivre toute une société de mendicité. Et Dieu sait si les gens en ont profité. Si l’Europe ne se redresse pas, ne se reprend pas en main pour rétablir une économie saine, c’est fini.

Je suis d’extrême gauche… et d’extrême droite. Je suis d’extrême gauche, parce que je veux la justice, l’égalité pour tous, je suis anti raciste, anti ce que vous voulez. Mais je suis d’extrême droite, parce que je veux sauver l’identité d’un peuple. Vous ne pouvez pas brader votre identité. Pensez au Québec qui est en train de lutter pour cette identité face au Canada anglais, au Canada britannique. Et vous avez raison. Votre identité, c’est votre dignité d’homme, votre manière de penser, d’être.

De ce point de vue, je suis d’extrême droite et je suis pour un certain nombre de valeurs à défendre… mais je suis par ailleurs d’extrême gauche. Or, à mon avis, la gauche et la droite sont des catégories complètement dépassées. Elles n’ont aucune pertinence aujourd’hui. On s’aperçoit que ceux d’extrême gauche ont un discours d’extrême droit et vice-versa.

Exemple : dans ces catégories, il manque le facteur religieux. Vous voulez analyser une société sans tenir compte du facteur religieux, parce que vous êtes dégouté de la religion, c’est votre droit, mais vous passerez à côte du problème. Le facteur religieux est un facteur explosif aujourd’hui et pas seulement au Proche-Orient. Voyez l’Inde, le cinquième de l’humanité. Le facteur religieux est sociologiquement à prendre en compte si on veut comprendre ce qui se passe. C’est une évidence dont on ne tient pas compte parce que la gauche et la droite ne tiennent pas compte du facteur religieux.

D’après ce que j’entends, selon vous, islam et islamisme sont la même chose. L’islam n’offre aucune liberté aux femmes. Il est actuellement plus politique que mystique. Il n’y a donc pas de place pour lui dans le monde moderne ? Est-ce le cas ?

L’islam, tel qu’il est devenu historiquement, est incompatible avec notre modernité. Pas seulement avec la modernité occidentale, la modernité tout court. J’ai été l’an dernier à un séminaire où la moitié des participants étaient musulmans et l’autre moitié, chrétiens. À Alexandrie. Douze séances de quatre heures chacune, sur la modernité en Égypte. Passionnant. On a pris la modernité à partir de l’expédition de Napoléon jusqu’à aujourd’hui. Je vais sortir un livre là-dessus, en arabe, en reprenant tout ce qui a été dit. La modernité, c’est le primat de l’homme et l’islam, c’est le primat de Dieu. Ils sont incompatibles. Pour moi, chrétien, l’homme et Dieu sont tout à fait compatibles, dans le mystère de Jésus. Parce que le christianisme, c’est, au fond, la divinisation de l’homme, la promotion de l’homme, la dignité de l’homme. Pour reprendre les mots de Zundel, penseur suisse que j’ai connu personnellement. Jésus n’est pas venu pour nous faire avaler Dieu, il était déjà là. Il est venu pour mettre l’homme debout et lui donner sa valeur et sa dignité en tant qu’être humain.

De ce point de vue, l’islam tel qu’il s’est voulu et tel qu’il s’est choisi est incompatible avec la modernité démocratique. Tous ses penseurs en conviennent. Ne parvenant pas à se moderniser, l’islam a décidé d’islamiser la modernité. Voilà le dilemme. Dans un premier temps, au XIXe siècle, l’islam a tenté de se moderniser. Il s’est cassé les dents. Sont venus les Frères musulmans pour leur dire : votre tentative va à l’échec. Effectivement, on ne peut pas moderniser l’islam sans lui faire dire ce qu’il ne dit pas. L’islam peut-il se réformer sans se dénaturer ? Toutes les tentatives de réforme ont échoué. Si bien que ne parvenant pas à se réformer il est revenu à sa nature originelle qui est celle que nous connaissons.

Quel est le risque d’avoir une guerre civile en Égypte ?

Le risque est grand. En Égypte, comme en Irak, comme en Syrie, où il y a des minorités. Comme au Liban bientôt, car le Liban est la nouvelle proie, maintenant. Avant-hier, ça a commencé. L’infiltration des islamistes de Syrie au Liban a commencé et il faut s’attendre, dans les semaines qui viennent, à une guerre civile au Liban qui reprendra l’ancienne que j’ai connue quand j’étais là-bas. En Égypte, avec le rythme d’un ou deux enlèvements ou meurtres par jour et d’une église brulée par semaine, nous allons vers quelque chose qui n’est pas beau. Rien n’est pire qu’une guerre civile. Voyez la Syrie.

Avez-vous peur pour votre sécurité ?

Moi, je m’en fous, personnellement. Qu’on me tue, ça ne me gêne absolument pas. Ça soulagera beaucoup de monde. Je ne suis pas fâché de vivre tout de même. Mais ça m’inquiète, parce que les chrétiens vivent dans la peur.

Est-ce que les Frères musulmans sont capables d’engager l’Égypte dans une guerre externe avec un autre pays, comme l’Éthiopie ?

Oui.

Est-ce que ça va éliminer le risque d’une guerre civile ?

Non. Les deux sont possibles. L’une n’est pas exclusive de l’autre. Je pense que l’Égypte qui s’acoquine avec le Soudan d’Omar el-Bechir risque d’intervenir en Éthiopie qui vit un drame terrible depuis des années. L’Éthiopie qui était à 100 % chrétienne l’est à 50 % en ce moment et nous avons des réfugiés éthiopiens dans le désert du Sinaï qui vivent dans le désert depuis des mois. J’ai des rapports horribles. On les émascule, on vend leurs membres. Ils sont trainés dans des prisons. On demande des rançons faramineuses à leurs familles qui crèvent la faim en Éthiopie. Ce qui se passe dans le Sinaï depuis des mois avec le Hamas est écœurant. Les Éthiopiens vivent un calvaire épouvantable. Ils fuient leur pays pour aller en Israël et sont capturés en chemin. C’est horrible. Je n’exclus aucun scénario de guerre civile en Égypte où les chrétiens et musulmans vivent depuis toujours ensemble.

Ce qui m’a frappé quand j’étais au Liban : des chrétiens et des musulmans qui vivaient en parfaite harmonie, dans un village du Liban sud, amis, voisins… du jour au lendemain s’entrégorgent. Il y a des gens derrière qui sont capables de mettre la haine et le désordre là où il y a l’harmonie et la fraternité. C’est terrible, le Mal. J’ai voué ma vie à le combattre. Tout ce qui est mal, haine, pauvreté. J’ai 82 ans et j’en ai encore pour 38 ans de combat.

Je suis comme vous d’Alexandrie, nous sommes de compatriotes. Je ne suis pas d’accord avec votre analyse du déclin et de l’échec économique de l’Europe. Vous n’êtes pas d’accord avec l’État providence. Il vient pourtant en aide aux populations, aux chômeurs. Ce qui a ruiné l’Europe, c’est le libéralisme, les paradis fiscaux et le pouvoir démesuré des banques. Voilà ce qui crée les inégalités que vous n’aimez pas. La barbarie des États-Unis se voit dans le fait qu’elle se classe dernière quant au palmarès du bien-être, tandis que les pays Scandinaves se classent premiers. À noter : la plupart de ces pays scandinaves ne brillent pas par la croyance. Aussi, l’islamisme n’est pas compatible avec la modernité, mais il n’a pas le monopole de l’abrutissement des femmes et des populations. Dans toutes les religions, les femmes sont opprimées.

Deux mots de réponse. Je crois que le christianisme a maintenu la femme sous une sujétion. Si l’Église a changé c’est qu’elle a été forcée de le faire par des facteurs exogènes. Les religions en général ont tendance à maintenir la femme au second plan. C’est clair.

Quant aux couvertures sociales, elles supposent un minimum de conscience. Quand je vois des Canadiens, et j’en connais, qui vivent au crochet de l’État, alors qu’ils pourraient travailler, produire, j’en suis outré. Je crains qu’une couverture sociale excessive anesthésie l’initiative.

(Réaction d’un participant de la salle)

C’est le discours néolibéral qu’on nous assène. Je connais bien la situation en Europe. Le problème en Europe c’est l’euro qui est trop fort, c’est l’Allemagne qui mène la danse parce que l’euro est adapté à son économie alors qu’il n’est pas adapté à celle des pays latins qui pourraient dévaluer pour produire et exporter. C’est le fait qu’on est obligé de rembourser une dette excessive. Voilà les causes véritables.

En conclusion, je voudrais remercier tous nos participants ce soir. Plusieurs n’ont pas eu le temps de dîner. Quelle meilleure nourriture que l’échange des idées ? La conférence de ce soir a été organisée par le Center for Enquiry, Bonne soirée à tous.

 

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Henri Boulad incarne ce qu’a représenté autrefois Alexandrie : un creuset d’universalité. Syrio-italien d’origine, égypto-libanais de nationalité, grec-byzantin de rite, français de culture, disciple de Pascal, de Teilhard de Chardin et de Simone Weil, doué d’une âme orientale et d’un esprit occidental, il rêve de réconcilier et d’unir les domaines les plus divers : philosophie et théologie, physique et mystique, sexualité et chasteté, action et contemplation, sociologie et religion, économie politique et foi. En cela, il se situe dans la pure ligne de cet « humanisme chrétien » qui caractérise la spiritualité jésuite et celle de son fondateur Ignace de Loyola. Par sa capacité à désenclaver les domaines, il se retrouve aussi à l’avant-garde de la postmodernité marquée par l’interdisciplinarité.

Homme en continuelle recherche, il ne se croit jamais arrivé. Son exigence de cohérence et de conciliation entre foi et raison, tradition et modernité le pousse à se poser sans cesse des questions et à tout vouloir remettre en question. Amoureux du risque, ami du paradoxe, volontiers provocateur, Henri Boulad représente une personnalité inclassable qui n’entre dans aucune catégorie.

Il a publié nombre d’ouvrages dans une quinzaine de langues.

Henri Boulad est présent dans You Tube

La couverture photographique et la transcription de cette conférence ont été réalisées par Pierre Cloutier

1 Commentaire

  1. mvirard

    Controverse ?
    Je précise d’emblée que je n’étais pas présent à cette conférence mais que je dispose des enregistrements vidéos ainsi que de la transcription réalisée bénévolement par Pierre Cloutier. J’ai reçu également des témoignages de nos membres humanistes qui se sont étonnés, après coup, que cette conférence ait pu être donnée au Centre humaniste de Montréal. Je dois donc préciser aussi que l’Association humaniste du Québec, dont je suis le président actuel, n’a pas le contrôle du Centre humaniste. Ce dernier appartient en totalité à la Fondation humaniste du Québec, une organisation indépendante de l’Association et dont le mandat est plus large que celui de l’Association puisqu’elle peut aider financièrement toute organisation qu’elle juge pertinente. D’autre part la Fondation loue la salle du Centre humaniste à toute organisation jugée compatible qui en fait la demande. Le «Center for Inquiry Canada» ayant a priori une orientation compatible, il ne faut pas s’étonner que la Fondation ai loué la salle à CFI Canada. Cependant la conférence de Henri Boulad, organisée par Louise Mailloux de CFI Canada a étonné plusieurs membres. En particulier, la façon de jouer sur les émotions des gens, l’absence de données concrètes, la façon d’éluder les questions embarrassantes digne d’un jésuite ont fait que certains ont eu l’impression que le message transmit, loin d’être celui d’une saine évaluation des droits en Égypte, était surtout la défense tout azimut d’un christianisme en perte de vitesse. Monsieur Boulad est un orateur redoutable car sympathique, mais il est capable d’obscurcir le débat et de nous égarer dans des voies aux antipodes des valeurs humanistes. C’est maintenant mon opinion mais, vous, cher lecteur, avez la possibilité de faire votre opinion par vous-même et c’est cette liberté fondamentale que nous revendiquons pour tous.
    Michel Virard, prés. AHQ

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