Loyla Leroux
Membre du conseil d'administration de l'AHQ
Loyola Leroux a enseigné la philosophie pendant 36 années au Cégep de Saint-Jérôme; baccalauréat en philosophie (UQAM)
Sonja Eggerickx, Présidente de la International Humanist and Ethical Union
NDLR Michel Pion nous livre ici la traduction du discours livré par Sonja Eggerickz lors du Congrès IHEU-HC-AHQ de Montréal, 3-5 août, 2012
La fameuse rectitude politique nous amène parfois à référer aux prostituées sous le vocable de «travailleuses du sexe» comme si c’était un choix de carrière comme un autre, de la même façon que l’on choisit de devenir enseignante. Je ne doute pas que certaines femmes décident de gagner leurs vies de cette façon, mais la plupart d’entre elles n’ont pas vraiment le choix. Cela peut être le résultat d’une mauvaise situation économique ou d’être incapable de concevoir une autre façon de gagner de l’argent, ou pire encore, elles peuvent être les victimes d’un réseau de traite. Cette situation existe toujours et pas seulement dans le soi-disant tiers-monde. En Europe occidentale, par exemple, il existe un commerce de femmes venant d’Europe de l’Est, de pays qui sont déjà ou qui veulent devenir membres de l’Union Européenne. Dans certains de ces pays, ce trafic est organisé. L’intégrité de ces femmes, leurs corps, leurs existences même, sont totalement ignorés. Il existe des ONG locales qui essaient de venir en aide à ces femmes, parfois de très jeunes filles, mais elles sont plutôt marginales. Qui plus est, les gouvernements locaux ont d’autres priorités.
1. Références historiques
La définition moderne des droits de l’homme remonte à l’Europe de la renaissance et à la réforme protestante, en même temps que la disparition de l’autoritarisme féodal et religieux conservateur qui a dominé le Moyen Âge. Des penseurs et philosophes européens ont défini les droits de l’homme en tentant de formuler une version « sécularisée » de l’éthique judéo-chrétienne. Bien que le concept de droits et libertés ait existé sous une forme ou une autre pendant une grande partie de l’histoire humaine, la conception moderne des droits humains est différente. L’opinion la plus répandue veut que le concept de droits humains ait évolué en Occident bien que les cultures antérieures aient développé d’importantes notions d’éthique, la notion de droits humains n’était pas en général, définie.
L’article quatre de la déclaration universelle des droits humainsstipule que:
Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude; l’esclavage et la traite des esclaves seront interdits sous toutes leurs formes.
Malgré cela, le nombre d’esclaves aujourd’hui est plus élevé qu’à n’importe quel autre moment de l’histoire. On en dénombre aujourd’hui entre 12 à 27 millions d’individus selon les estimations. La plupart sont esclaves pour cause de dettes, principalement en Asie du Sud et sont sous la servitude de prêteurs à causes de dettes impayés. Parfois même cette servitude se perpétue pendant plusieurs générations. La traite d’êtres humains sert avant tout à enrôler de force des femmes et des enfants dans la prostitution et l’industrie du sexe en général.
En 1791, la dramaturge française et activiste politique Olympe de Gouges a publié la déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, calquée sur la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. La déclaration, ironique dans sa formulation, expose l’échec de la révolution française, menée sous le sceau de l’égalité. Elle affirme que « cette révolution ne prendra effet que lorsque toutes les femmes seront pleinement conscientes de leur état déplorable et des droits qu’elles ont perdus dans la société ». La déclaration des droits de la femme et de la citoyenne uit les dix-sept articles de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, point par point et a été écrite (par Camille Naish) comme étant « presque une parodie du document original.» Le premier article de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen proclame que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » Le premier article de la déclaration des droits de la femme et de la citoyenne a répondu: « La femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». De Gouges élargit le sens du sixième article de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui affirme les droits des citoyens de participer à la formation de la loi, pour: « tous les citoyens, y compris les femmes sont également admissibles à toutes dignités publiques, charges et emplois, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »
De Gouges attire également l’attention sur le fait que, en vertu de la loi, les femmes françaises avaient les mêmes responsabilités vis-à-vis celle-ci, mais pas les mêmes droits.
2. Le viol comme arme de guerre
En 1998, le juge Navanethem Pillay du tribunal pénal international pour le Rwanda a déclaré; « depuis des temps immémoriaux, le viol a été considéré comme un butin de guerre. Maintenant, il sera considéré dorénavant comme un crime de guerre. Nous voulons envoyer un message fort que le viol n’est plus un trophée de guerre. »
Le viol systématique de pas moins de 80,000 femmes par les soldats japonais pendant les six semaines suivant le massacre de Nankin est un exemple de telles atrocités. Au cours de la
seconde guerre mondiale environ 200,000 femmes coréennes et chinoises ont été forcées de se prostituer dans des bordels militaires japonais, comme soi-disant « femmes de réconfort ».
Au moins 20,000 femmes musulmanes de Bosnie ont été violées par les forces serbes durant la guerre de Bosnie.
Commentant sur le viol de femmes et d’enfants dans les zones de conflits en Afrique, l’UNICEF a déclaré que « le viol n’est plus seulement perpétré par des combattants, mais aussi par des civils ». Selon l’UNICEF, le viol est courant dans les pays touchés par les guerres et les catastrophes naturelles, semblant établir un lien entre l’apparition de la violence sexuelle avec le déracinement important d’une société et l’effondrement des normes sociales. Selon l’UNICEF, les cas de violences sexuelles ont doublé au Kenya dans les jours qui ont suivi le début des conflits post-élections. Toujours selon les données de l’UNICEF, le viol était très répandu dans les zones de conflit au Soudan, au Tchad et dans la République démocratique du Congo. On estime à plus de 200,000 le nombre de femmes vivant dans la République démocratique du Congo aujourd’hui qui ont été violées lors de conflits récents. Selon certaines estimations près de 60% des combattants au Congo sont porteurs du VIH.
Le Statut de Rome de la cour pénale internationale définit la compétence de la cour, reconnaît le viol, l’esclavage sexuel, la prostitution, la grossesse ou la stérilisation forcée, ou « toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable» comme crime contre l’humanité si l’action s’inscrit dans le cadre d’une pratique généralisée ou systématique.
Le viol a été reconnu comme crime contre l’humanité lorsque le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a émis des mandats d’arrêt sur la base de la convention de Genève et des
violations des lois ou coutumes de guerre. Plus précisément, il a été reconnu que les femmes musulmanes à Foca (sud-est de la Bosnie-Herzégovine) ont été soumises à des viols collectifs
systématiques et généralisés, à la torture et à l’esclavage par des soldats serbes de Bosnie, des policiers et des membres de groupes paramilitaires après la prise de la ville en avril 1992.
Cet acte d’accusation a eu une portée juridique majeure, car c’était la première fois que des agressions sexuelles étaient considérées dans le but de poursuites au même sens que la torture et l’esclavage en tant que crime contre l’humanité. L’acte d’accusation a été confirmé par un verdict en 2001 par le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie affirmant q0ue le viol et l’esclavage sexuel sont des crimes contre l’humanité. Amnistie International a déclaré que cette décision allait à l’encontre de l’acceptation généralisée de la torture des femmes en tant que partie intégrante de la guerre.
3. Différences dans la société civile
Il existe des différences dans les religions entre hommes et femmes ainsi que dans la société civile. Il est difficile de dire lequel des deux fut le premier à faire la différence. Toutefois, il est clair que pour toutes les grandes religions, les femmes ne sont pas aussi importantes que les hommes. Et c’est le cas même dans un mouvement comme le bouddhisme où les moines de sexe féminin sont considérés inférieurs à ceux de sexe masculin. Et, soyons honnêtes, lorsque nous considérons les humanistes et autres groupes laïques, les femmes sont théoriquement au même niveau, mais ce n’est pas toujours le cas dans la pratique.
4. Prostitution
En interrogeant Google on trouve cette définition de la prostitution: c’est l’acte ou la pratique de fournir des services sexuels à une autre personne en échange de paiement. La prostitution est l’une des branches de ce que l’on nomme l’industrie du sexe. Le statut juridique de la prostitution varie d’un pays à l’autre, d’un crime punissable par la loi à celui d’une profession réglementée. Selon les estimations, le chiffre d’affaires annuel généré par l’industrie de la prostitution mondiale s’élève à 100 milliards de dollars.
La prostitution est parfois appelée « le plus vieux métier du monde ». Avant de porter un jugement éthique sur la prostitution il faut connaître les différentes formes qu’elle prend. Il est exact d’affirmer que certaines femmes vont délibérément et librement faire le choix de la pratiquer. Mais qu’en est-il du libre arbitre et de l’autonomie quand vous vous servez de votre corps pour faire de l’argent et nourrir votre famille et ainsi les empêcher de mourir de faim? Où est la liberté de choisir si ce choix signifie la différence entre vivre ou mourir? La prostitution peut prendre une variété de formes: les maisons closes, les services d’escortes, la prostitution de rue et le tourisme sexuel. Le trafic sexuel, un type de traite des êtres humains, est défini comme l’utilisation de la contrainte ou de la force pour amener une personne non consentante dans la prostitution ou toute autre forme d’exploitation sexuelle.
5. Le trafic sexuel en Europe, une étude de cas
(merci à Frank Schlömer, journaliste du quotidien De Morgen, journal flamand)
La traite des êtres humains dans les Balkans existe pour beaucoup de raisons. Le fait demeure que la pauvreté y est très grande, être sans emploi est plus commun que d’avoir un travail et l’implosion du système économique et politique a permis aux criminels de prendre le contrôle de la vie publique. Une mafia locale a profité de ces conditions lamentables pour faire beaucoup d’argent à partir de cet esclavage.La Fondation Roi Baudouin en Belgique est l’une des ONG qui sont engagées dans la lutte contre la traite des humains en Bulgarie, Roumanie, Albanie, Kosovo, Macédoine et Serbie. Outre l’aide financière, elles participent à des projets locaux en se concentrant sur l’aide sociale et la réinsertion dans la société des victimes. Il y a quelque temps, une conférence s’est tenue à Skopje (Macédoine) à ce sujet et le ministre des affaires sociales, a ouvert la conférence, ce qui démontre que le gouvernement est conscient de ce problème. Malgré cela, le soutien de l’ONG locale se limite de temps à autre, à fournir l’électricité et le chauffage de l’immeuble où ils travaillent. On invoque bien sûr l’éternel argument du manque d’argent et le fait que les besoins généraux sont grands. Ce qui n’est que partiellement vrai, car à l’évidence il y a assez d’argent pour des projets de constructions égalomanes à Skopje. Cependant, ils ont besoin de l’ONG afin de prouver au reste du monde qu’ils se préoccupent de ce problème. En même temps, ils ont placé la responsabilité de la politique sociale entièrement sur les épaules de ces organisations, ce qui leur donne un peu d’argent et garde les bailleurs de fonds internationaux actifs.
L’ONG Open Gate / La Strada est spécialisée dans l’aide directe aux victimes et est également active dans l’écrouage des trafiquants en essayant de persuader les premières qu’ils parviennent à rescaper de témoigner contre les seconds. Grâce à leur réseau dans le reste de l’Europe, ils essaient de mettre de la pression sur les gouvernements pour améliorer
les filets sociaux et les encourager à être plus agressifs contre les réseaux criminels. Open Gate / La Strada existe depuis maintenant 12 ans et dispose d’un réseau d’avocats, travailleurs sociaux, médecins, psychologues, etc., beaucoup d’entre eux en tant que bénévoles, pour les aider dans leur lutte contre la prostitution. Il va sans dire que la crise financière internationale ne les aide pas beaucoup.
Plus que de donner refuge aux victimes, ils font également de la prévention. Ils ont produit un petit film qui s’adresse surtout aux jeunes et qui est présenté dans les écoles, à propos des réseaux de traites humains. Il y a un service d’assistance téléphonique. L’information est distribuée de toutes les manières possibles. Les policiers et les douaniers reçoivent une formation sur la façon de repérer les activités des trafiquants, il y a même une formation disponible pour les journalistes. Cela est devenu nécessaire, car la publication du nom complet
des victimes est routinière, tout comme il s’écrit des histoires spectaculaires autour de ces cas, avec la publication de photos et même de la nouvelle adresse des victimes! Cela rend la
réintégration quasi-impossible. Un employeur potentiel sera peu disposé à donner un emploi à quelqu’un lorsqu’il sait tout de ses antécédents. Certains parents refusent même que leurs
filles reviennent à la maison.
Outre l’esclavage sexuel on exploite souvent ces personnes en leur faisant faire du travail sous-payé dans l’industrie et l’agriculture. Les femmes sont habituées à travailler dans ces entreprises au noir, sans être payées pendant des semaines et si d’aventure elles décident de quitter, elles n’ont aucun recours pour obtenir l’argent qui leur est dû. Ces femmes n’ont guère le choix, il n’y a aucune sécurité sociale et le taux de chômage est officiellement autour de 37% mais est en réalité beaucoup plus élevé.
Cela rend la situation très difficile, car beaucoup de ces femmes refusent de porter plainte et les employeurs et le crime organisé ont de bons avocats. Les ONG ne sont pas considérées
comme des partenaires, mais comme un prestataire de services gouvernementaux devant remplir une partie des tâches des gouvernements.
Il y a l’exemple de cette jeune fille de 16 ans qui a été violée et agressée sexuellement. Avec l’aide de l’ONG, elle a eu le courage de dénoncer ses violeurs à la police. Bien qu’ils ont été condamnés et emprisonnés, la jeune fille court le risque de subir la vengeance de leurs familles. Elle vit maintenant sous une différente identité dans une autre ville, grâce à l’ONG et est maintenant en mesure de terminer son éducation. Il est clair que si une ONG comme Gata et d’autres devaient fermer leurs portes à cause du manque d’argent, ces victimes perdront
toutes possibilités d’aide et de refuge. L’aide internationale est vitale, car les victimes ne peuvent absolument pas compter sur les gouvernements locaux.
Des pays comme la Macédoine, ainsi que d’autres pays engagés dans le trafic, sont avantagés par des projets d’infrastructure routière par exemple, mais on peut se demander pourquoi il n’y a pas plus d’attention portée à des projets sociaux de ce genre. Il est impossible bien sûr de fournir des chiffres exacts sur ce trafic dans les Balkans, mais les autorités locales savent que c’est un problème récurrent.
La situation est très déprimante bien sûr et d’autres problèmes bien réels viennent empirer celle-ci. La misère et la pauvreté sont si grandes que même les parents y compris les mères, sont parfois engagés dans le trafic de leur propre progéniture. Par exemple de jeunes enfants sont « loués » à des organisations criminelles pour disons, 8 euros la journée. Ces malfaiteurs répartissent les enfants à travers la ville pour mendier et voler. Certaines mères vont même jusqu’à louer leurs bébés contre de l’argent à des femmes qui désirent recueillir davantage d’argent en mendiant avec des bébés endormis dans leurs bras. Quelle que soit la situation, la majorité de l’argent recueilli se retrouve dans les poches de la mafia. Les plus gros gangs deviennent « internationaux » et il n’est pas rare de retrouver des femmes et des enfants mendiant dans les rues des grandes villes d’Europe occidentale où les prostituées africaines sont en partie remplacées par celles des pays de l’Est.
C’est une histoire sans fin. Les ONG veulent aider les enfants et les adolescents, leur donner un abri et de la nourriture, mais pour ce faire ils ont besoin de l’accord des parents et souvent ceuxci refusent, car ce faisant ils perdent un «revenu». Des mariages sont organisés pour environ 50 euros, les fillettes de 13 ans avec un bébé ne sont pas rares et elles ne reçoivent ni éducation, ni apprentissage d’un métier. Alors, elles vont mendier avec leurs bébés et le cycle se perpétue.
6. Conclusions
Les humanistes se préoccupent beaucoup de la situation des femmes, de leur droit à la reproduction quand elles le décident, de la législation de l’avortement, du droit de recourir à la contraception, pour ne citer que certaines questions liées à la sexualité. Je voulais attirer votre attention sur cet aspect dont normalement nous nous préoccupons peu. Cela a été, est et demeure un gros problème. Et même si cela va à l’encontre de tous nos principes humanistes tels que l’autonomie, le respect, la solidarité …, nous n’en faisons pas une priorité.
Nous avons besoin d’un mouvement fort pour soutenir les femmes et les encourager à prendre leurs propres corps ainsi que leurs propres vies en main, à rechercher l’égalité dans chaque facette de leurs vies.
Les femmes devraient être libres de choisir ce qui se passe avec leurs corps, libres de choisir un partenaire, d’avoir ou non des enfants et combien, avoir le droit à l’avortement. Nous devons les encourager à assumer des responsabilités dans la politique, l’économie et les questions d’éthique. Cela sera possible uniquement lorsque les jeunes filles auront la possibilité d’obtenir une bonne éducation, et seront autorisées à étudier et à développer tous leurs talents. Si nous ne prêtons pas plus d’attention à ce développement, il n’y aura jamais égalité. Il va sans dire que les hommes en tireront un bénéfice également. C’est peut-être la condition ultime. Les femmes n’ont pas besoin de protection, elles ont besoin de respect en tant qu’êtres humains.
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