Daniel Baril
Daniel Baril a été journaliste à l’hebdomadaire Forum de l’Université de Montréal pendant près de 23 ans. Il est actuellement président du Mouvement laïque québécois (par intermittence pendant deux décennies) et a été également membre du conseil d’administration de l’Association humaniste du Québec. Il est le cofondateur du groupe Les Intellectuels pour la laïcité et co-rédacteur de la Déclaration pour un Québec
laïque et pluraliste.
Le texte que nous reproduisons ici a été publié dans le blogue de « Voir » le 1er avril 2013. Vous pouvez lire l’original ainsi que les commentaires en utilisant ce lien.
C’est un pape qui fait les choses autrement », ont entonné en chœur les médias du monde entier au lendemain de l’élection de Jorge Bergoglio comme chef de l’Église de Rome. À l’appui de cette affirmation, les journalistes ont notamment rapporté la bénédiction que leur a accordée le pape : le fait que cette bénédiction ait été soit disant « silencieuse » a été présenté comme un respect des convictions de toutes les personnes présentes selon ce que le pape François a lui-même déclaré. Cela soulève trois points.
D’une part, il s’agit d’un cas intéressant pour l’anthropologie de la religion. Généralement, le pouvoir magico-religieux du rituel, pour celui qui y croit, repose sur une formule incantatoire stricte et une gestuelle codée auxquels il ne faut pas déroger sous peine de voir la demande d’intervention surnaturelle être privée d’effet. C’est pourquoi plusieurs catholiques ont mal accueilli les changements issus de Vatican II et qui ont notamment conduit à la célébration de la messe en français.
Voila qu’un pape accomplit un rite de purification sans parole et sans geste. La chose a même choqué plusieurs croyants dont certains cardinaux traditionnalistes. Un tel rite a-t-il le même effet qu’un rite accompli selon les règles coutumières? Si le rite peut être silencieux et sans geste, donc être accompli par la seule pensée, alors à quoi bon les signes sensibles du rituel? À quoi bon le rituel tout court? Ce sont de profondes questions qui donneront sans doute lieu à de hautes voltiges jésuitiques.
Le verbatim de la «bénédiction silencieuse»
Par ailleurs, quand on y regarde de près, on constate que la bénédiction « silencieuse » n’était pas silencieuse du tout. Voici en effet ce que François 1er a déclaré aux représentants des médias : « Étant donné que beaucoup d’entre vous n’appartiennent pas à l’Église catholique, d’autres ne sont pas croyants, j’adresse de tout cœur cette bénédiction, en silence, à chacun de vous, respectant la conscience de chacun, mais sachant que chacun de vous est enfant de Dieu. Que Dieu vous bénisse. »
Si la formule rituelle « Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit» n’a pas été prononcée, il s’agit d’un silence plutôt élocutoire qui n’a en rien diminué la formule usuelle, Dieu étant ici la réunion fusionnelle du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Ce faisant. François 1er confirme l’un des éléments essentiels de l’analyse anthropologique du rituel : le rite ne peut se passer de signe sensible et on ne peut bénir quelqu’un sans montrer qu’on le fait.
Le pape dit en outre respecter la conscience de chacun mais en affirmant du même souffle qu’il « sait » que chacun est « enfant de Dieu ». Dans l’esprit de Jorge Bergoglio, cette filiation semble être une réalité même pour les athées qui ne se considèrent pas concernés. Autrement dit, il respecte la conviction des incroyants tout en sous-entendant qu’elle n’a pas de poids puisqu’il sait qu’ils sont des enfants de Dieu malgré eux. Voila un respect plutôt empreint de pensée hégémonique.
Si la bénédiction de Dieu atteint aussi les incroyants, François 1er a néanmoins déclaré, lors de sa première homélie quelques jours plus tard, que « celui qui ne prie pas le Seigneur prie le diable ». Il faisait sienne cette citation du romancier catholique Léon Bloy, un auteur du début du 20e siècle taxé d’antisémitisme larvé. Que faut-il donc comprendre? Que Dieu bénit les incroyants ou qu’il les livre au diable avec ceux qui prient d’autres dieux que le Seigneur des chrétiens?
Mandat des Jésuites : lutter contre l’athéisme
Finalement, ceux qui ont vu dans la « bénédiction silencieuse » un geste de respect à l’égard des autres convictions ont peut-être sauté aux conclusions un peu hâtivement. Ce serait en effet oublier la mission confiée en 1965 par Paul VI à la Compagnie de Jésus, dont fait partie Jorge Bergoglio, et qui est de lutter contre l’athéisme. Cette mission a conduit à la création du Secrétariat pour les non-croyants qui doit « prendre des initiatives » visant à « l’assainissement radical des maux qui découlent de l’athéisme sous toute ses formes » pour prévenir la « défaillance morale et sociale » qui en découle.
En 1990, à l’occasion de «l’année ignacienne», Jean-Paul II a à son tour engagé les Jésuites à « intensifier la lutte contre l’athéisme » les exhortant à « s’opposer vaillamment et de toutes [leurs] forces à l’athéisme, […] un danger redoutable menaçant la société humaine ».
Entre temps, en 1974, Jorge Bergoglio, alors Provincial des jésuites d’Argentine, dresse les principes qui devront guider la nouvelle Universidad del Salvador (de Buenos Aires), jusque là administrée par les Jésuites. La déclaration (qu’on peut lire sur le site de l’université) se réclame de la pensée de la Compagnie de Jésus et se résume à trois principes : « la lutte contre l’athéisme, le progrès par le retour aux sources et l’universalité à travers les différences ». Non seulement n’y a-t-il aucun élément de science dans ces principes mais la lutte contre l’athéisme arrive en tête de liste des objectifs de l’établissement. L’athéisme y est présenté comme étant incapable de comprendre la place de l’être humain dans le monde et les Lumières sont qualifiées d’aveuglement.
Maintenant qu’il est pape à son tour, le jésuite Jorge Bergoglio renoncera-t-il à la mission reçue de ses deux prédécesseurs, par ailleurs tout aussi infaillibles que lui? Qu’il soit permis d’en douter.
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