Je suis un psychopathe, mais je veux changer !
CLAUDE BRAUN
Administrateur et éditeur en chef du "Québec humaniste"
Claude Braun a été professeur de neurosciences cognitives à l'UQAM de nombreuses années. Retraité depuis peu, Il a publié nombres de documents de recherches sur le sujet. Il a été également éditeur du "Québec laïque" et est depuis quelques années l'éditeur en chef de notre revue "Québec humaniste" Il a également publié "Québec Athée" en 2010. Téléchargeable gratuitement en utilisant ce lien avec les compliments de l'auteur.
Il y a beaucoup de dimensions éthiques dans le choix de ce qu’on mange:
-sa production fait souffrir le futur aliment ou pas ?
-sa production fait souffrir le producteur ou pas ?
-produit localement ou pas ? -le produit est OGM ou pas ?
-la compagnie de production est locale ou pas ?
-la maison mère du débit de vente est locale ou pas ?
-sa production pollue l’environnement par les pesticides ou pas ?
-sa production appauvrit les terres par engrais synthétiques ou pas ?
-le produit est une espèce en voie d’extinction ou pas ?
-contribue à la baisse de la biodiversité étant devenu une espèce “monopole” ou pas ?
-son commerce est équitable ou pas ?
-le produit est alimentairement sain ou pas ?
-le produit va convenir à ceux avec qui je vais le partager ou pas ?
-sa provenance est d’un État malveillant ou pas ?
-sa provenance est d’un distributeur antisyndical ou pas ?
-le gérant du débit de vente est de sexe féminin ou pas ?
-sa culture tire beaucoup d’eau et en prive les voisins ou pas ?
-son prix est artificiellement gonflé ou pas ?
-je le mange par gourmandise, au delà de ma faim, ou pas ?
-je dois me déplacer loin pour me le procurer ou pas ?
-le produit a bon goût ou pas ? -sa production est hyperindustrialisée ou pas ?
-sa production est bio économiquement rentable ou pas ?
-sa production monopoliste ou hyperdominante commercialement par un gros producteur/distributeur/argentier prive une communauté pauvre de ses moyens de subsistance ou pas ?
Viser l’éthique à chaque choix alimentaire qu’on fait c’est bien. Mais ne faut-il pas se méfier de l’adoption d’un profil identitaire trop « arrêté » ? En devenant rigide et radical dans ses choix, en Je suis un psychopathe, mais je veux changer ! Claude Braun dramatisant émotionnellement ses choix, ne risque-t-on pas de se penser « éthiquement certifié » une fois pour toutes ?
L’éthique alimentaire ne consiste-t-elle pas aussi à se mêler de l’éthique politique, économique, écologique, commerciale, entourant l’alimentation à l’échelle de la planète et avec une vision historique et une anticipation du futur ? L’éthique peut-elle se contenter d’un refus de se salir individuellement à un seul point de vue, aussi dramatique qu’il puisse paraître ?
Tout ceci étant dit, je me déclare éthiquement déficient de manger de la viande du supermarché. Je ne me sentirais aucunement coupable si seulement on m’offrait l’assurance que l’animal a été bien traité. Mais je sais que ce n’est pas le cas pour le poulet, le canard et le porc. J’ai visionné un vidéo sur l’élevage des porcs après avoir lu le texte d’Étienne Harnad ci-haut. J’y ai appris qu’on châtrait les cochonnets à la pince sans anesthésie. Quelle horreur ! Cela me semble totalement impardonnable. Pour la viande de bœuf (ne broutent-ils pas en paix dans les champs ?) et le poisson (vivent-ils moins heureux en pisciculture que dans la nature ?), je ne sais pas…
Pour moi, le problème de fond n’est pas tellement celui de manger ou pas de la viande. Ne pas manger de la viande est une solution expéditive, ponctuelle et isolée du problème du maltraitement des animaux destinés à l’alimentation humaine. C’est un beau geste, mais ca me semble manquer d’envergure. Il y a mille façons de maltraiter les animaux sans les manger. Ce n’est pas l’acte de manger de la chair qui est immoral, c’est l’acte de faire souffrir l’animal pendant que l’animal est vivant. Le carnivorisme est un péché de complicité, mais le criminel majeur c’est le producteur. C’est lui qui doit d’abord et avant tout être mis sous surveillance. C’est indubitablement éthiquement admirable de ne pas manger des produits animaux, mais il y a tant à faire pour régler le problème du droit des animaux de façon plus systématique. L’éthique de l’alimentation humaine de produits animaux est multidimensionnelle, et le problème de fond est la souffrance « inutile » des humains et animaux.
Tout ce qu’on fait, on le fait pour le plaisir. Manger de la viande, si cela fait plaisir, est « utile ». Encore faut-il mesurer le « déplaisir » que cela entraine chez les autres (animaux et humains). Je ne vois aucunement en quoi nous ne pourrions pas exploiter les animaux de façon compassionnelle, en leur garantissant une qualité de vie à peu près équivalente à celle qu’on offre aux humains (à part la mise à mort elle-même, qui devrait, elle aussi être la moins douloureuse possible). Dans la souffrance animale associée à l’alimentation, il me semble que le principal problème n’est pas l’abattoir, mais plutôt la méthode d’élevage qui répond autant que la société le permette, à une logique de profit et d’économie. N’est-ce pas l’entassement, l’immobilisation, le confinement extrême, l’inconfort des animaux tout au long de leur vie qui pose de loin le plus gros problème éthique ? Ne devons-nous pas appuyer les producteurs les plus éthiques et ne devons-nous pas militer pour de sévères resserrements des normes de qualité de vie des animaux d’élevage ?
Ne pas manger de produits d’élevage animal… J’y pense sérieusement. Ce serait un bon début.
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