Pourquoi les choses vont mal et pourraient facilement empirer

par Août 15, 2012Articles de fond, Droits humains, Éthique, Québec humaniste, Réflexions0 commentaires

Rodrigue Tremblay

Rodrigue Tremblay

Rodrigue Tremblay est professeur émérite d’économie à l’Université de Montréal.

Ex ministre du Parti Québécois, économiste et membre de l’Association humaniste du Québec. Il est l’auteur des livres « Le nouvel empire américain », «  Le Code pour une éthique globale », de même que son dernier publié aux Éditions Fides et intitulé « La régression tranquille du Québec, 1980-2018 ».

On peut le contacter à l’adresse suivante :rodrigue.tremblay1@gmail.com.

« Il n’y aucun pays. Il n’y a pas de peuples. Il n’y a pas de Russes. Il n’y a pas d’Arabes. Il n’y a pas de tiers mondes. Il n’y a pas d’Occident. Il y a seulement un système holistique de systèmes. Un vaste et immense empire entrelacé, interactif, multivarié et multinational de dollars. » Tiré du film “Network” (film américain satirique, 1976: “Main Basse sur La Télévision” en version française)

 

Récemment, des pays ont emprunté des milliards de dollars pour faire la guerre; aucun pays n’a jamais emprunté pour financer l’éducation. —En toute vraisemblance, aucun pays n’est assez riche pour se payer à la fois la guerre et la civilisation. On doit choisir; on ne peut avoir les deux. » Abraham Flexner (1866-1959), personnalité américaine dans les domaines de l’éducation et de la recherche médicale

 

« Ceux qui faisaient partie de la génération en âge de participer à une guerre gardent une aversion aux guerres pour le reste de leur vie, et ne veulent pas répéter une telle expérience tragique, ni pour eux-mêmes, ni pour leurs enfants, et, par conséquent… une telle résistance psychologique aux guerres persiste aussi longtemps qu’une nouvelle génération… a le temps de grandir et de parvenir au pouvoir. Dans la même veine, le déclenchement d’une guerre, une fois lancée, a tendance à perdurer jusqu’à ce que la génération élevée dans la paix et qui s’est précipité follement dans une guerre cède la place à une génération fatiguée des guerres. » Arnold J. Toynbee (1889-1975), historien britannique, (A Study of History, Vol. 9, Oxford University Press, Londres, 1954)

Je crois que nous vivons présentement dans un monde à demi-civilisé et je voudrais en faire la démonstration.

Nous vivons, en effet, dans une période trouble. Quand on regarde autour de nous ce qui se passe, on a vraiment l’impression que tout est en train de crouler.

Dans un article récent, par exemple, on disait: “l’indifférence à l’endroit de l’éthique et du bien commun est le saint Graal de la finance moderne.” En fait, je ne crois pas que c’est seulement dans le monde de la finance que nous régressons moralement, mais c’est dans nombreux autres domaines.

Il y a risque, à mes yeux, que ce vingt-et-unième siècle ressemble davantage au dix-neuvième siècle qu’à la deuxième partie du vingtième siècle qui procura à l’humanité des progrès considérables, tant au plan des lois internationales, des droits individuels et collectifs – dont celui de l’éducation pour tous – du triomphe du mode démocratique de gouvernement sur tous les autres et d’un meilleur partage de la richesse collective.

Cependant, s’il devait continuer sur sa tendance actuelle, le vingt-et-unième siècle en serait plutôt un où les empires militarisés et des empires financiers imposeront leurs lois, où des empires religieux imposeront leurs doctrines totalitaires rétrogrades, et où un individualisme autocentré déchirera le tissu social fondé sur l’empathie et la solidarité, avec une concentration accentuée de la richesse et du pouvoir. Et, si je peux citer Lord Acton selon qui, “Le pouvoir corrompt, et le pouvoir absolu corrompt absolument”, cela signifiera aussi un monde plus corrompu.

En effet, dans de nombreux domaines, on constate que la priorité accordée à l’être humain, seul être moral, faut-il le souligner, est négligée et est même devenue secondaire par rapport à d’autres priorités qui relèvent d’une étroite idéologie et qui sont loin d’être morales. La conséquence est que l’intérêt général, l’intérêt commun, est de plus en plus sacrifié au profit d’intérêts idéologiques, au profit d’intérêts économiques particuliers, quand ce n’est pas au profit de systèmes qui écrasent plutôt que de libérer les personnes.

En un mot, je crois qu’en ce début du vingt-et-unième siècle, nous sommes en pleine période de régression morale et intellectuelle, et nous effaçons petit à petit les progrès sociaux et économiques faits au vingtième siècle, pour retourner à la jungle du dix-neuvième siècle, quand des empires immoraux et sans loi contrôlaient la planète et écrasaient les peuples.

Dans certains domaines, notamment dans celui des religions, on observe un désir de revenir à l’obscurantisme d’avant le dix-huitième siècle, soit celui des Lumières, lequel ouvrit les portes aux progrès humains immenses que le monde a connus depuis.

Je vois cinq grandes causes pour expliquer cette régression morale, sinon ce déclin et même cette décadence, dans la marche pour le progrès humain.

Je résume:

Ce que je constate, c’est

– premièrement, un mauvais modèle de développement économique ;

– deuxièmement, nos démocraties, poussées en cela par la technologie, donnent de plus en plus le pouvoir à l’argent et à ceux qui le contrôlent ;

– En troisième lieu, l’affaiblissement des états-nations ;

– Quatrièmement, la technologie moderne des communications, est en train de façonner un nouvel être humain l’homo digitalis ;

– Finalement, je vois comme cinquième grande cause du déclin actuel la prévalence d’un vieux code moral d’origine religieuse.

– Qu’en est-il du modèle économique actuel basé sur une mondialisation tous azimuts, tout particulièrement sur la mondialisation financière ? [http://www.dauphine.fr/siroen/ colloqueehess.pdf] En effet, depuis environ trente ans

– et je blâme certains opérateurs doctrinaires et apologistes en partie pour cette dérive, et même certains économistes trop doctrinaires

– on a adopté un modèle de développement économique dans lequel les peuples semblent compter de moins en moins et l’argent de plus en plus. Le modèle économique actuel avec des capitaux apatrides est, à mon avis, intenable parce qu’il est source de crises en répétition presqu’insolubles.

– Donc, mauvais modèle économique à revoir et à réformer.

– Deuxièmement, nos modèles politiques, [http://www.electionsquebec.qc.ca/francais/provincial/medias/reforme-dumode-de-scrutin.php] dont certains datent de quelques siècles, sont aussi désuets et contre-productifs, ayant peu évolué et même ayant régressé depuis les trente dernières années. Leurs grands défauts sont présentement renforcés par la technologie des communications, et ils donnent le pouvoir véritable dans nos sociétés, non pas aux individus, mais aux forces occultes de l’argent, [http://fr.wikipedia.org/wiki/Corruption_politique] dont les privilèges semblent n’avoir aucune limite.

– Donc, mauvais modèle politique qui a besoin d’être réformé.

– Troisièmement, l’affaiblissement des états-nations [http:// theses.univyon2.fr/documents/getpart.php?id=lyon2.2005. hijazi_s&part=99882] conjugué à l’explosion actuelle de la population mondiale, si elle est mal gérée (et nous devons nous préparer à avoir de huit à dix milliards de population mondiale dans quelques décennies), risque de précipiter le monde vers le plus petit dénominateur commun tant au plan social qu’économique.

Dans le cadre du mauvais modèle économique auquel je réfère, ce n’est pas le libre-échange international des biens et services qu’on a favorisés pour hausser les niveaux de vie des populations (pour ma part j’ai toujours été un partisan du libre-échange), mais on a plutôt choisi d’abolir, à toutes fins pratiques, les frontières des états-nations face à des entreprises multinationales apatrides.

En certains milieux, en effet, on a confondu le libre-échange des biens et des services en fonction des avantages comparatifs de chaque pays avec l’idée que les avantages comparatifs des pays ne comptaient pas et qu’un pays pouvait impunément abandonner ses avantages industriels et technologiques sans danger pour son niveau de vie.

– Cela est tout simplement faux.

Les pays qui laissent aller leurs avantages comparatifs économiques s’appauvrissent, même si certaines entreprises et certaines banques peuvent en profiter. C’est la grande différence entre l’intérêt commun et l’intérêt particulier. Aujourd’hui, dans de nombreux pays, c’est l’intérêt particulier qui domine sur l’intérêt général ou le bien commun.

On a même mis de côté l’idée d’adopter une stratégie industrielle pour hausser la productivité, les salaires et l’emploi, en faisant croire à tort que les marchés – des marchés sans règles il faut le dire – fonctionnant parfaitement et s’auto-réglementant, conduiraient au bien commun. C’est une vue de l’esprit qui ne cadre pas avec la réalité. Le scandale [http://www.france.attac. org/articles/le-scandale-du-libor-en-images] de la manipulation du taux d’intérêt à court terme de base qu’est le LIBOR (London Interbank Offered Rate) par quelques grandes banques à Londres en est une parfaite illustration. Quand on regarde autour, les pays qui s’en tirent le mieux présentement au plan économique, comme la Chine ou le Brésil, sont ceux-là même qui ont mis de l’avant une stratégie industrielle active dans le cadre du libre-échange.

Quand les entreprises peuvent sillonner la planète à la recherche du plus bas coût de production, en pratique cela signifie la recherche des plus bas salaires et des plus bas taux d’imposition et de réglementation. En 2011, aux États-Unis par exemple, toutes les entreprises combinées, locales comme internationales, ont payé 11 pourcents en taxes fédérales et en taxes des états sur leurs profits, tandis que les vingt pourcents des contribuables Américains les plus pauvres contribuèrent 17 pourcents en impôts sur leurs revenus. Dans le système actuel, le fardeau fiscal se déplace de plus en plus des entreprises et des détenteurs de capitaux vers les contribuables individuels, souvent les plus pauvres.

Une récente étude [http://www.vigile.net/Au-moins-21-000- milliards-de] dévoilait que les super-riches de ce monde payaient très peu d’impôts, en recourant à des paradis fiscaux pour y parquer de quelques $ 21 000 à $ 32 000 milliards de capitaux à l’abri de l’impôt. Nous pouvons dire la même chose des grandes sociétés multinationales. [http://www. businessweek.com/magazine/content/11_13/b4221064108107. htm?chan=magazine+channel_top+stories] Celles-ci recourent à des échafaudages financiers de manière à mettre ces profits à l’abri de l’impôt, aussi longtemps que de tels profits ne sont pas rapatriés dans leur pays d’origine.

Cela m’amène à dire, par exemple, dans le cas des États-Unis, que ce pays ne fait pas face à un problème de déficit. Il a plutôt un problème de collection des impôts, et ceci est dû au fait qu’il a un problème de corruption politique.

Il ne fait pas de doute que la globalisation et la corruption politique ont eu pour conséquence de déplacer le fardeau fiscal des compagnies vers les individus en général, et vers les plus pauvres en particulier, et cela d’une façon fort régressive.

Et, quand une immigration à peine contrôlée et mal ciblée vient bouleverser l’équilibre démographique, social et économique dans les pays à hauts niveaux de vie, le résultat est magnifié. On fait face alors à un véritable désarmement économique des états, lequel se traduit par des déficits budgétaires structurels qui explosent et un endettement public de plus en plus incontrôlé, comme on l’observe présentement en Europe et aux États-Unis, les deux régions où la stagnation économique semble s’être installée à demeure et où la civilisation occidentale est le plus menacée et même en péril.

Ce modèle économique globalisé à outrance – lequel est en fait un retour à celui qui prévalait au dix-neuvième siècle quand l’étalon-or dominait – ce modèle, dis-je, est générateur de grandes inégalités économiques et sociales dans nombre de pays. En fait, c’est un modèle qui est fondamentalement hostile à la classe moyenne, soit au plus grand nombre, et qui concentre la richesse et le pouvoir dans une infime partie de la population (le fameux 1% !) et qui est source de stagnation des revenus pour le plus grand nombre.

Les études démontrent, en effet, que la mobilité sociale intergénérationnelle et l’égalité des chances dans les pays industrialisés de l’Amérique et de l’Europe chutent quand les inégalités économiques et sociales croissent, comme c’est le cas présentement.

En bout de ligne, cela représente une perte de démocratie, car il ne peut y avoir de démocratie véritable dans un pays quand la classe moyenne est atrophiée ou inexistante et quand il existe un régime d’inégalités systémiques.

Par conséquent, j’en déduis que la globalisation tous azimuts qui est présentement imposée aux pays est un échec. C’est un mauvais modèle économique parce qu’il transfère le pouvoir réel dans nos sociétés des élus vers les grandes entreprises et vers les détenteurs de capitaux qui, eux, s’en servent pour corrompre le système politique et pour générer des crises financières comme celle que le monde vit depuis 2008.

Vous me permettrez de citer l’économiste français Frédéric Bastiat (1801-1850) pour qui « Quand le pillage devient un moyen d’existence pour un groupe d’hommes qui vit au sein de la société, ce groupe finit par créer pour lui-même un système juridique qui autorise le pillage et un code moral qui le glorifie. »

Il n’y a pas meilleur exemple vécu de cette sage maxime que celui des États-Unis où une Cour Suprême plus ou moins corrompue décréta il y a deux ans (le 19 janvier 2010) que les corporations financières et industrielles n’étaient pas des entités légales dotées de privilèges mais, en fait étaient des êtres humains à part entière avec des droits même supérieurs à ceux des êtres humains, et que de telles entités artificielles pouvaient consacrer des sommes illimitées de capitaux, en réalité des milliards de dollars anonymes et incontrôlés, pour influencer les élections américaines à tous les niveaux. [Voir mon article sur le site http://www.TheNewAmericanEmpire.com/tremblay=1121. htm]. Le droit de vote de chaque américain s’en est soudainement trouvé fortement dévalué, avec la conséquence que le pouvoir politique aux États-Unis ne vient pas « …du peuple, par le peuple et pour le peuple, » selon la formule consacrée par le président Abraham Lincoln en 1863 (discours de Gettysburg), mais a été de facto transféré aux grandes entreprises et aux détenteurs de capitaux. Rappelons que c’est cette même Cour Suprême américaine qui plaça George W. Bush au pouvoir, même si ce dernier reçut un demi-million de votes de moins que le candidat démocrate Al Gore lors des élections présidentielles de l’an 2000, avec les conséquences désastreuses que l’on connaît.

Ici même au Canada, nous sommes prisonniers du vieux modèle électoral britannique uninominal à un tour. Cela signifie que lorsque les citoyens donnent leurs appuis à une demi-douzaine de partis politiques, un parti en particulier peut s’emparer du pouvoir et gouverner de façon majoritaire avec moins de quarante pourcents des suffrages. Cela donne le gouvernement majoritaire conservateur actuel de Stephen Harper qui obtint trente-neuf pourcent d’appuis lors des élections du 2 mai 2011, après avoir utilisé des moyens qu’on peut décrire comme malhonnêtes, mais celui-ci gouverne depuis comme s’il avait obtenu cent pourcent des votes. En fait, les sondages ne lui accordent présentement guère plus que le tiers des appuis populaires. Néanmoins, le 1er juillet dernier, il est même allé aussi loin que de faire jouer le « God Save the Queen » avant l’hymne national canadien, lors de célébrations officielles, insultant de ce fait une grande majorité de Québécois et probablement une majorité de Canadiens.

Malgré les lacunes criantes d’un tel système électoral au plan démocratique, les politiciens canadiens semblent s’y complaire et aucune réforme en profondeur n’est en vue. Un système électoral à double tour comme en France serait logique, mais nos politiciens font semblant d’ignorer le problème. Par conséquent, je dis que la démocratie se porte mal au Canada. En fait, elle se porte mal un peu partout et est peut-être en voie de devenir un anachronisme et est peut-être appelée à être remplacée par des oligarchies et des ploutocraties.

J’ajoute que la montée des empires militarisés et le déclin dans le respect des lois internationales que l’on constate depuis quelque temps ouvrent toute grande la porte à un retour des guerres impériales ou d’hégémonie.

L’historien britannique Arnold J. Toynbee (1889-1975) a cru identifier un cycle d’environ 100 ans dans les guerres impériales au cours des cinq derniers siècles (voir « A Study of History »), souvent celles-ci se produisant au début de chaque siècle.

Depuis la guerre du Kosovo de 1999, laquelle eut lieu sans l’autorisation des Nations Unies et avec le seul soutien légal douteux de l’OTAN, une guerre impériale en dehors du cadre légal actuel est certes possible.

En fait, je me hasarderai à dire que si le candidat républicain Mitt Romney [http://www.thenation.com/article/167683/mittromneys-neocon-war-cabinet] est élu à la présidence américaine en novembre prochain, ses promesses de guerre contre l’Iran et sa vacuité face à Israël pourraient assez facilement conduire à une guerre mondiale, impliquant non seulement les États-Unis et l’Iran, mais aussi l’Europe, la Russie et la Chine. (Rappelez-vous qu’il n’a fallu que d’un seul coup de revolver pour déclencher la 1ière Guerre mondiale en 1914, une fois que les conditions requises étaient satisfaites!).

– En effet, si les États-Unis ont comme président un mormon dévot et sans pitié, tout sera en place pour une guerre mettant en cause les trois religions abrahamiques que sont le christianisme, l’islam et le judaïsme. Ce n’est pas une prédiction de ma part; tout ce que je crains, c’est que cela se produise.

Guerres impériales ou d’hégémonie

1494-1516: Guerre mondiale (France) 1580-1609: Guerre mondiale (Espagne)

1688-1714: Guerre mondiale (France)

1792-1815: Guerre mondiale (France)

1914-1945: Guerre mondiale (Allemagne)

1999-2015(?):Guerre mondiale (!) (États-Unis)

Comme quatrième raison du dépérissement actuel, j’y vois une cause plus technologique, c’est-à-dire l’apparition chez les jeunes générations d’un homo digitalis, bien branché certes par la technologie, mais une technologie qui isole et qui peut à la longue déshumaniser l’individu en le confinant à un espace virtuel dans lequel la chaleur humaine et les interactions humaines sont grandement réduites. C’est un être bien branché digitalement et inondé d’informations – et aussi de propagande – mais qui est en même temps, paradoxalement, davantage isolé, plus atomisé, plus homogénéisé, plus individualiste, plus compétitif, moins coopératif, plus égoïste, plus narcissique et fondamentalement plus conservateur à bien des égards.

Des études et des tests faits aux États-Unis montrent que les étudiants américains dans les collèges aujourd’hui font montre d’environ 40 pourcent de moins d’empathie envers les autres que les étudiants d’il y a 20 ou 30 ans [1]. Autrement dit, la conscience sociale des leaders de demain est en baisse. Cela augure mal pour l’avenir.

Je pose la question: Est-ce que la technologie – qui progresse plus rapidement que le sens moral – est en train de faire des êtres humains des sociopathes [2], c’est-à-dire des êtres qui ont très peu de compassion pour leurs semblables?

On sait déjà, à l’expérience, que des psychopathes [4] – c’est-àdire des personnes qui n’ont aucun remords pour leurs crimes, aucune empathie ou sympathie pour les autres – peuvent à l’occasion se hisser jusqu’aux sphères les plus hautes du pouvoir politique. Ce sont en effet des personnes qui ont une structure mentale différente dans les tests de MRI. Ils représentent environ un pourcent dans une population [4].

Si la population future devient elle-même antisociale, ce n’est pas seulement une régression morale qui nous attend, mais c’est une régression sociale et économique d’envergure qui nous guette. Un autre exemple où la technologie évolue plus rapidement que le sens moral est le recours à des avions sans pilote, des “drones” qui sont commandés à de très grandes distances (en fait les centres de contrôle sont aux États-Unis), et qui larguent leur chargement de bombes sur des attroupements humains dans des zones considérées “ennemies” à l’autre bout de la planète.

Pour son grand malheur, le Président démocrate actuel, Barack Obama, (récipiendaire d’un Prix Nobel pour la paix!), a permis une explosion de ces bombardements à distance, surtout au Pakistan, mais aussi dans d’autres parties du globe. – Il faut donc se préparer: La guerre future va devenir, de plus en plus, une dérive des jeux vidéo.

J’en viens à la cinquième cause, à mon avis, du déclin et de la décadence actuelle, et cette cause est spécifiquement morale. Elle est bien sûr reliée aux quatre premières causes.

Nous vivons, en effet, sous l’influence d’un mauvais code moral d’origine religieuse qui est davantage fondé, malheureusement, sur le sectarisme et les conflits plutôt que sur l’empathie et l’ouverture aux autres. Ce code établit d’office des divisions de droits entre les êtres humains et justifie et même encourage les conflits entre les êtres humains en proposant des dogmatismes intransigeants.

On ne peut qu’être préoccupé, en effet, sinon horrifié, par la montée en puissance de l’obscurantisme, du sentiment antiscientifique, du créationnisme et de la religiosité en général dans certains pays puissants, tel chez notre voisin les États-Unis. La montée du sentiment impérialiste et militariste dans ce dernier pays devrait être une grande préoccupation pour le monde entier.

– Conclusion

Comment aborder tous ces problèmes?

J’ai une conclusion générale et quelques conclusions plus spécifiques. Ma conclusion la plus générale est à l’effet que le monde a besoin présentement d’une véritable révolution morale. Je ne me fais pas d’illusions : pour que ce genre de changement en profondeur se produise, il est peut-être nécessaire que les choses s’enveniment à un tel point que cela devienne inévitable.

Mes conclusions particulières sont plus pratiques

En ce qui concerne l’économie et la politique, par exemple, les remèdes sont assez évidents ; il s’agit d’arrêter de creuser et d’entreprendre les réformes nécessaires.

En premier lieu, il faut cesser d’orienter l’ensemble de l’économie dans le sens de l’intérêt particulier des banquiers et des spéculateurs. Le problème, c’est que ces gros intérêts achètent les politiciens et contrôlent les médias de sorte que rien ne se fait, sinon que les choses empirent. Par conséquent, en deuxième lieu, il faut absolument redonner le pouvoir à la population et réduire sinon éliminer l’influence de l’argent en politique. Autrement dit, il faut faire exactement le contraire de ce que la Cour Suprême américaine souhaite faire.

Il en va de même de notre système politique archaïque. À tout le moins devrait-on copier le modèle politique français à double tour, afin d’éviter que des aventuriers politiques n’accèdent à un pouvoir quasi absolu avec une minorité d’appuis populaires.

En ce qui concerne le caractère moral des personnes, et comme les études démontrent qu’il n’y a que vingt pourcent des gens qui sont spontanément empathiques, il serait sage que nous suivions le conseil du philosophe chinois Hsün Tzu (c.310—c.220 AD) qui observa il y a fort longtemps que «les hommes sont portés vers le mal et qu’il faut un entrainement pour être bon.» L’enseignement des règles morales de vie en société m’apparait être une nécessité incontournable. À cet effet, je ne crois pas que c’est le programme « Éthique et culture religieuse » mis en place au Québec il y a quelques années qui remplit la commande. Nous aurions besoin d’un cours pour les élèves et les étudiants qui soit mieux ciblé et plus étoffé.

En ce qui concerne le climat de guerre permanent dans lequel nous vivons présentement, je souhaite tout simplement que le cycle de cent ans des guerres mondiales hégémoniques, identifié par Toynbee et d’autres, ne s’appliquera pas à notre siècle et que les psychopathes enragés ne réussiront pas. Sinon, le désastre qui frapperait l’humanité serait sans pareil.

J’en conclus finalement qu’en ce qui regarde la civilisation, nous sommes encore des primitifs. L’humanité a beaucoup de chemin à faire, Nous en sommes encore aux balbutiements d’une véritable civilisation.

  1. Voir la recherche de Sara Konrath, une spécialiste de l’Université du Michigan (Institute for Social Research), basée sur 72 différentes études des étudiants des collèges américains effectuées entre 1979 et 2009.
  2. La sociopathie est considérée comme un trouble de la personnalité dont le critère principal d’identification est la capacité limitée, pour les personnes montrant les symptômes du trouble, à ressentir les émotions humaines, aussi bien à l’égard d’autrui qu’à leur propre égard. C’est ce qui peut expliquer leur manque d’empathie quand ils sont confrontés à la souffrance des autres, témoignant d’une incapacité à ressentir l’émotion associée à l’empathie ou la souffrance. (Voir, Le trouble de la personnalité antisociale sur www.Maladiesmentales.org, 26 février 2009).
  3. La psychopathie est un trouble de la personnalité caractérisé par un manque d’empathie et de remords, des émotions peu profondes, de l’égocentrisme et de l’imposture. Les psychopathes (patients atteints de psychopathie) adoptent un comportement antisocial, des traitements abusifs envers les autres, et agissent violemment dans certaines situations. Bien qu’ils manquent d’empathie et d’émotions, ces individus réussissent à mentir sur ce qu’ils ressentent et sur ce qu’ils vivent. (Voir, http:// fr.wikipedia.org/wiki/Psychopathie, aussi: http://www.examiner. com/article/serial-killers-and-politicians-share-traits).
  4. Voir le livre “Snakes in Suits: When Psychopaths Go to Work” de Robert Hare et Paul Babiak, 2007. Selon le Dr. Hare, la plus grande concentration de personalités psychopatiques se retrouve en politique et dans le monde des affaires. Voir aussi “Without Conscience: The Disturbing World of the Psychopaths Among Us” de Robert D. Hare, 1999. 

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