L’incohérence de la loi canadienne sur l’abattage des animaux: Autoriser la souffrance animale au nom de croyances religieuses archaïques est inadmissible
Daniel Baril
Daniel Baril a été journaliste à l’hebdomadaire Forum de l’Université de Montréal pendant près de 23 ans. Il est actuellement président du Mouvement laïque québécois (par intermittence pendant deux décennies) et a été également membre du conseil d’administration de l’Association humaniste du Québec. Il est le cofondateur du groupe Les Intellectuels pour la laïcité et co-rédacteur de la Déclaration pour un Québec
laïque et pluraliste.
Le député péquiste de Kamouraska-Témiscouata, André Simard, mérite des félicitations pour avoir eu le courage de porter sur la scène publique la question de l’abatage rituel des animaux de consommation, même si sa sortie publique fut plutôt malhabile.
Mais les médias sont loin de mériter des félicitations. Alors qu’on aurait pu s’attendre à ce qu’ils éclairent cet enjeu éthique en nous livrant toute l’information nécessaire sur le sujet, nous n’avons eu droit qu’à des « âneries », pour employer le mot d’Alain Dubuc, qu’à un « débat nauséabond », pour employer l’expression de Rima Elkouri, et qu’à des « informations tronquées », pour emprunter celle d’André Pratte. Mais c’est dans leur propre journal, La Presse, et sous leurs propres plumes, que nous avons pu lire les pires âneries, arguments nauséabonds et propos tronqués.
En criant à la xénophobie, les trois journalistes se sont passé le mot pour profiter de la circonstance et associer le Parti Québécois à l’extrême droite française: puisque Marine Le Pen est contre l’abattage rituel, l’idée de minimiser les souffrances inutiles d’un animal au moment de l’abattage est donc une idéologie de droite. Comme démagogie ou manque de jugement, difficile de faire mieux.
Ils ont entre autres omis de nous dire que la Commission européenne considère que l’abattage rituel impose des souffrances inutiles à l’animal et recommande l’insensibilisation avant la mise à mort; ils ont omis de dire qu’une règlementation du Parlement européen prévoit un étiquetage mentionnant si l’animal a été abattu de façon rituelle; ils ont omis de nous dire que la Norvège, la Suisse, la Suède, l’Islande et la Nouvelle Zélande interdisent l’abattage rituel et n’accordent pas d’exemption religieuse; ils ont omis de nous dire qu’en Angleterre, pays des accommodements religieux par excellence, cette pratique est remise en question; ils ont omis de nous dire que partout dans le monde les organisations de protection des animaux dénoncent ce type d’abattage pour des raisons humanistes.
Une loi et son contraire
Ils ont surtout omis de poser la bonne question: pourquoi adopter des mesures pour minimiser la souffrance des animaux au moment de l’abattage si on peut être exempté de ces mesures pour motifs religieux? Une telle exemption rend la loi complètement inutile.
Le Canada a adopté sa Loi sur l’abattage sans cruauté dès 1959. Cette loi prévoyait qu’un animal ne devait pas être abattu avant d’avoir été rendu inconscient. Cette disposition fait maintenant partie de la Loi sur l’inspection des viandes mais, comme en 1959, la loi permet de déroger à l’insensibilisation si l’animal est « abattu selon un rite conforme aux lois judaïques ou islamiques » (art. 77). Dans ce cas, l’animal doit être mis à mort « par sectionnement rapide, complet et simultané des jugulaires et des carotides, de façon à ce qu’il perdre conscience immédiatement ».
André Pratte se réfugie derrière ce dernier passage pour nous dire qu’il n’y a pas de problème. Mais si ce type d’abattage ne pose pas de problème, pourquoi a-t-on senti le besoin d’inscrire comme principe de base de la loi que l’animal doit être rendu inconscient avant d’être saigné? C’est parce que l’égorgement à vif est manifestement souffrant pour l’animal. Il aurait suffit à André Pratte de faire deux clics de souris pour le constater dans les innombrables documentaires que l’on peut trouver sur Internet et dans lesquels on peut voir des chèvres, des agneaux, des bovins agoniser pendant cinq minutes parce qu’on ne leur a pas tranché la tête.
Le fait que l’animal ait à subir d’autres souffrances liées à l’élevage intensif et au transport ne change évidemment rien au problème; une faute n’en excuse pas une autre.
Voici quelques-unes des règles d’abattage cachère et halal. L’animal doit être égorgé à la main à l’aide d’un couteau rituel; l’abatteur doit trancher d’un seul coup la trachée, l’œsophage, les carotides et les veines jugulaires mais sans aller jusqu’aux vertèbres puisque l’animal doit demeurer conscient pendant qu’il se vide de son sang (le sang étant considéré comme le véhicule de l’âme); si l’abatteur rate son coup, il ne peut se reprendre et l’animal agonisant sera mis de côté et considéré comme non halal ou non cachère. L’animal est ensuite suspendu tête en bas afin de faciliter l’écoulement du sang (et par le fait même de son contenu gastrique), ce qui est interdit en dehors de l’abattage rituel. Pour l’abattage halal, le tout doit se dérouler en direction La Mecque!
Que ceux qui s’offusquent de la remise en question de telles pratiques soient conséquents et aillent jusqu’au bout de leur logique: qu’ils réclament l’abolition des dispositions anti cruauté inscrites dans la loi. C’est pour mettre fin à ce genre d’abattage cruel que les pays civilisés ont adopté des lois obligeant de rendre l’animal inconscient juste avant la saignée. Mais l’exemption pour raison religieuse nous ramène au point de départ. Les États qui permettent de tels accommodements religieux refusent de jouer le rôle qui leur revient: ils abdiquent leur responsabilité sociale devant des religions figées dans le passé et qui rejettent les valeurs éthiques modernes et humanistes.
Une dîme cachée
Et il n’y a pas que la viande qui soit concernée par les certifications halal ou cachère. Certains reportages ont déjà soutenu que, dans les supermarchés nord-américains, 75% des produits sont cachères. Cela va des céréales jusqu’aux boissons gazeuses en passant par les conserves et les cosmétiques. Cette certification, parfois double ou triple, comporte un coût sans doute non négligeable qui est intégré aux prix de vente.
Alors que nos lois ont aboli l’obligation pour les commerces de verser une dîme à l’Église catholique, ce sont maintenant tous les consommateurs qui versent, à leur propre insu, une dîme à … des organisations religieuses, dîme cachée dans le prix d’achat de leurs biens de consommation courante.
André Simard a donc toutes les raisons du monde d’exiger que la lumière soit faite sur la certification religieuse des produits de consommation et on ne peut que le soutenir dans sa démarche.
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