Là-haut, il n’y a rien. Compte rendu de lecture
MICHEL PION
Vice-Président et trésorier (président de 2010 à 2013)
Michel Pion est membre de l’AHQ depuis 2006, informaticien de profession il est membre du CA du l’AHQ depuis 2007 et a été l’instigateur principal de la campagne des « Autobus Athées » en 2009 et est à l’origine de la création du bulletin Québec humaniste.
En ce qui me concerne, la meilleure façon d’apprendre, dans le sens d’assimiler ou comprendre une matière, reste le bon vieux bouquin dont on ne cesse de prédire (prématurément selon moi) la mort imminente, en format papier du moins. Il en est des livres comme de la cuisine, on peut passer des milliers d’heures à se consacrer à une matière en particulier en multipliant soit les lectures sur un sujet donné ou les expériences culinaires jusqu’à ce qu’on devienne un érudit en la matière choisie ou dans l’art d’apprêter des mets recherchés.
Mais si vous n’avez pas envie de consacrer toutes ces heures à vous instruire, ou à cuisiner, ne désespérez pas, car des alternatives intéressantes sont à votre disposition. Pour ce qui est de la restauration vous pouvez toujours visiter un buffet, on y trouve toute une multitude de mets qui vous permettront d’étendre votre palette de goûts et y faire des découvertes insoupçonnées et pour ce qui est du livre, il existe ce merveilleux outil, les anthologies.
Que vous soyez humaniste, croyant ou non ou alors quiconque aspire à approfondir sa connaissance de la riche tradition des libres penseurs présents et passés, ne cherchez pas plus loin que le dernier ouvrage de Normand Baillargeon qui a publié à la fin de l’année 2010 « Là-haut, il n’y a rien, Anthologie de l’incroyance et de la libre-pensée »
L’auteur n’est plus à présenter, mais pour les rares d’entre vous qui ne le connaissez pas M. Baillargeon, qui fut un des membres fondateurs de l’Association humaniste du Québec avec Bernard Cloutier et Michel Virard, est professeur en sciences de l’éducation à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), essayiste, sceptique, militant libertaire et collaborateur à de nombreuses revues alternatives et est un des fondateurs du mensuel Le Couac. Il a aussi été chroniqueur au journal Le Devoir et participe à Bazzo.tv, sur les ondes de Télé-Québec. Il a écrit plusieurs livres dont le « Petit cours d’auto-défense intellectuelle » et a également collaboré plus récemment au collectif « Heureux sans Dieu » avec Daniel Baril que plusieurs d’entre vous connaissez également.
S’il existe une telle chose qu’un bréviaire de l’incroyant, en ce qui me concerne ce recueil remporte la palme. L’auteur a réuni dans cet ouvrage un large éventail de textes anciens, contemporains, d’auteurs d’ici et ailleurs dont plusieurs n’ayant jamais été traduits en langue française.
L’anthologie est divisée en huit parties. La première partie « positions : petite cartographie de l’incroyance » selon les mots de l’auteur « présente les orientations que l’on trouve au sein de la grande famille de l’incroyance » il comprend une série de textes d’auteurs aussi variée qu’Épicure, Denis Diderot, Thomas Huxley, Emma Goldman et Richard Dawkins. Les québécois ne sont pas en reste et on retrouvera des textes d’auteurs d’ici à travers l’ouvrage. Dans cette section l’honneur revient à David Rand, longtemps actif au MLQ, tout comme Daniel Baril qu’on retrouvera plus loin.
La seconde partie « L’existence de Dieu » examine quelques-uns des arguments les plus souvent mis de l’avant pour démontrer l’existence de Dieu et, non sans surprise, offre quelques rebuffades. David Hume, hache menu l’argument téléologique, Massimo Pigliucci, fait une critique du dessein intelligent (texte traduit en français par l’auteur), le philosophe Michael Martin fait une défense philosophique de l’athéisme (également traduit en français par M. Baillargeon). Sébastien Faure, termine la seconde partie en présentant quelques preuves de l’inexistence de Dieu.
La section suivante offre des textes sur la religion dans une perspective naturaliste, on y retrouvera des textes de Lucrèce, de l’abbé Meslier, Karl Marx, l’anarchiste Michel Bakunine, Sigmund Freud et Anatole France. Massimo Pigliucci et Daniel Baril, s’expriment de nouveau dans cette section.
La quatrième partie, plaira sans doute moins à ceux qui sont d’avis qu’il est préférable de ménager les susceptibilités de nos amis religieux. Les autres qui n’ont pas les mêmes scrupules y trouveront amples munitions. Intitulé « Misère et méfaits des religions » cette section offre des textes donnant un aperçu de « la liste des torts causés à l’humanité par les délirantes croyances des religions » pour citer l’auteur. On y retrouve des textes de l’ancien esclave Frédéric Douglass, le dominicain Bartholomé de Las Casas (1474-1566) raconte les exactions et les horreurs commises par les Espagnols aux « Indes » (en fait Cuba). Le nom dira quelque chose à ceux d’entre vous qui sont assidus à nos ciné clubs. Si vous avez vu le film « la controverse de Valladolid », De Las Calas est le personnage qui argumente auprès d’un envoyé du Pape la question à savoir si les « Indiens » ont une âme. Jocelyn Bézecourt et Gérard Da Sylva, Richard Dawkins, Bertrand Russel, Taslima Nasreen, Ibn Warraq (sur l’islam), le dessinateur Siné complètent le tableau de cette partie.
Dans la même veine que la précédente la section qui suit s’intitule « la veine anticléricale ». Vous aurez deviné qu’on y casse joyeusement du sucre sur le dos des divers clergés. Le texte initial de cette section se nomme « À la niche, les glapisseurs de Dieu! », ce tract surréaliste écrit en 1948 comporte une longue liste de signataires. Suivent des pamphlets de Jacques Prévert, Frédéric Nietzsche, le chansonnier français Montéhus nous offre « l’anticléricale » sur l’air de « l’internationale » et le surréaliste Antonin Artaud (en 1925) y va d’une « adresse au Pape ». Normand Baillargeon termine cette section en traduisant un texte satirique anonyme qui circule sur Internet sur les difficultés réelles de vouloir suivre les préceptes de l’ancien testament de nos jours.
La sixième section de « Là-haut il n’y a rien » intéressera tout particulièrement les humanistes, car le thème en est « l’éthique sans religion ». À tout seigneur tout honneur, Platon ouvre le chapitre avec un dialogue intitulé « le dilemme d’Euthypron ». Les textes qui suivent font la démonstration sans équivoque que l’éthique est totalement insubordonnée à la religion et n’en a pas besoin, comme le démontrent les grands esprits dont les textes complètent ce chapitre. De Platon on passe à Épicure, suivent John Stuart Mill, Kant, Aristote pour se terminer par un des plus grands humanistes de notre ère, Paul Kurtz.
On a beaucoup parlé de laïcité au Québec ces dernières années et je soupçonne que nous n’avons pas fini d’en entendre parler. Je recommande la lecture du chapitre suivant à quiconque désire se former une opinion sur la question. « La laïcité dans l’éducation et dans l’espace public » rassemble des textes donnant une image juste de ce que devrait être la laïcité, la vraie et non cette laïcité « ouverte » à rabais dont certains se font le chantre. À cet égard je vous recommande chaudement la lecture d’un des textes de ce chapitre « les principes de l’idéal laïque » par Henri Pena-Ruiz qui selon moi est LE texte de référence en la matière et contient la meilleure définition de la laïcité que j’ai eue le plaisir de lire. Il faut dire que les auteurs des autres textes qui complètent ce chapitre ne sont pas les moindres non plus, John Stuart Mills, Victor Hugo et Jean Bricmont. Dans ce même chapitre figure aussi « la déclaration de St-Petersburg » publiée par des musulmans laïques et qui réclament la liberté de pensée, le rejet de la charia, la réformation des lois contre le blasphème etc. Bref en ce qui me concerne ce chapitre, à lui seul, vaux le prix d’acquisition du livre.
Le dernier chapitre, « L’athéisme et la libre-pensée en verve » est une courte collection de citations savoureuses d’un large éventail de personnalités et de personnages célèbres.
Normand Baillargeon a réussi le tour de force avec « Là-haut, il n’y a rien » de produire une anthologie de textes passionnants où on retrouve un large éventail d’auteurs de toutes les époques et de tous les courants de pensée de l’incroyance. L’ouvrage est d’une lecture agréable, on a le plaisir d’y découvrir des textes d’auteurs moins connus juxtaposés avec d’autres incontournables de la libre-pensée. « Là-haut, il n’y a rien » est un ajout quasi-indispensable à la bibliothèque de tout incroyant, athée ou agnostique.
Baillargeon, N. (2010). Là-haut, il n’y a rien. Presses de l’Université Laval. Collection: Quand la philosophie fait pop !
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