De la nausée copernicienne et de l’athéisme comme antidote
CLAUDE BRAUN
Administrateur et éditeur en chef du "Québec humaniste"
Claude Braun a été professeur de neurosciences cognitives à l'UQAM de nombreuses années. Retraité depuis peu, Il a publié nombres de documents de recherches sur le sujet. Il a été également éditeur du "Québec laïque" et est depuis quelques années l'éditeur en chef de notre revue "Québec humaniste" Il a également publié "Québec Athée" en 2010. Téléchargeable gratuitement en utilisant ce lien avec les compliments de l'auteur.
NDLR Nous reproduisons ici un texte paru en décembre 2010 sur le site internet de l’Église unitarienne-universaliste de Montréal (Tribune Libre Unitarienne: http://www.uuqc.ca/ Tribune%20Libre/tribune1_1_0.html).
Son rédacteur, Léo Poncelet, qui est un compagnon de route de l’Association humaniste du Québec, a gentiment autorisé cette reprise. Nous lui exprimons notre amitié et notre gratitude.
ans la Préface de sa Critique de la raison pure, Kant a lancé un « mème » bien poétique. Il a dénommé la théorie héliocentrique (théorie voulant que la terre tourne autour du soleil) révolution copernicienne. Freud a appliqué la métaphore à la théorie de l’évolution de Darwin. Steven J. Gould a ensuite poussé la métaphore encore plus loin en accordant à Freud lui-même le statut de révolutionnaire copernicien. Chacune de ces révolutions scientifiques aurait eu l’impact de détrôner l’humain, disait Gould. Non seulement la planète de cet humain ne serait-elle désormais plus au centre du monde, mais cet humain ne serait désormais plus l’ultime création, pas une « créature » du tout », ni même angélique… Cet humain devrait dorénavant se reconnaître comme déchu.
« Ondées durables, tempêtes éclair, se fatigue qui éperonne, s’étouffe qui dévore; diaphane vanité, insatiable cormoran, consomme ses moyens, finissant par se dévorer elle-même » William Shakespeare, 1564-1616.
Les hommes ne sont pourtant aucunement « déchus » par les sciences. Plutôt, ils ont été de tous les temps, et encore aujourd’hui, d’une extrême prétention. De tous les temps, les hommes ont été incapables de penser, d’agir, de développer des valeurs ou de représenter le monde autrement qu’en termes anthropocentriques. Ils sont des animaux hypersociaux qui ne peuvent penser autrement qu’en termes sociaux. Chaque humain conçoit le monde en termes de lui-même, de son village, de ses proches, de ses ennemis et de la hiérarchie humaine. Dans toutes les cultures, et de tous les temps, chaque tribu, groupe, peuple s’est inventé une histoire dans laquelle l’individu, le groupe, la tribu, le peuple sont au centre du monde, sont ce qu’il y a de mieux au monde, existent d’une façon ou d’une autre depuis le début du monde, sont la seule raison d’être du monde. Cette mentalité a pu être avantageuse pour les sociétés d’antan mais sa persistance est devenue une épine au pied du village global d’aujourd’hui. Et pourtant cette mentalité continue à se répercuter et est entièrement reprise et même enrichie dans le développement cognitif, émotif, moral de chaque individu, encore aujourd’hui. Ainsi, chaque individu se place lui-même, à sa façon, au centre du monde. Son champ attentionnel forme une bulle dont le centre est lui-même. Cet individu se considère meilleur, plus méritoire, plus habile, plus aimable, plus sensible, plus talentueux que ses congénères. Il va de soi qu’il se donne un statut supérieur aux autres formes de vie et aux objets qu’il dit « inanimés ». Cette affirmation sur l’extrême prétention des humains n’est pas une figure de style ou un artifice oratoire ni ne renvoie-t-elle à un artéfact du passé. Une multitude d’études hypothético-déductives, expérimentales et quasi expérimentales, rigoureusement et ingénieusement réalisées par des psychologues ont confirmé sa véridicité aujourd’hui. Lorsqu’on questionne les gens sur leur passé, il est systématiquement peint en rose. Lorsqu’on questionne les gens sur leur niveau de performance dans quelque domaine que ce soit, ce niveau est systématiquement surestimé. Nous sommes une espèce prétentieuse. Voilà un terrain fertile pour certains types de délire… religieux par exemple.
Les hommes et les femmes qui croient qu’ils ont l’écoute du Dieu créateur sont d’une extrême prétention, ainsi que ceux qui croient qu’ils ont un don pour interpréter les souhaits du grand seigneur. Ceux qui pensent pouvoir en dire l’essentiel sont tout aussi délirants et mégalomanes. Toutefois, ces gens, qui ne sont pas bien différents des non croyants, sont à peine plus délirants que les autres… Nous sommes vraiment une espèce fabulatrice.
« Ceux qui se mêlent de faire ce beau métier de prophétiser et contrefaire les confidents et les messagers des Dieux et qui nous viennent parler de leur part, ne sont que d’impudents menteurs, des insensés, des visionnaires, des fanatiques, de méchants imposteurs, des moqueurs, ou de fins et rusés politiques, qui ne se servent du nom et de l’autorité de Dieu que pour mieux jouer leur personnage en trompant ainsi les hommes » Jean Meslier, prêtre catholique, 1664-1729.
Un profil psychologique est récurant chez les fondateurs des sectes religieuses. Arrivèrent les premiers villages et villes, les langues écrites, suivies des religions d’État. Une religion commence avec un personnage apte à façonner une petite secte composée d’ouailles qui le vénèrent. Ce personnage, le fondateur de toutes les religions, comporte quatre principales caractéristiques. 1) il est misérable : pouilleux (Jésus et Smith, fondateur du mormonisme), bâtard (Jésus), orphelin (Mahomet), analphabète (Mahomet et Smith), itinérant quêteur (Jésus), petit criminel (Smith), bandit (Mahomet), pédophile et promiscueux (Mahomet et Smith). Il est frustré de sa situation. Il a un problème d’estime de soi; 2) Il est mythomane, il invente un monde complet qu’il ne tarit de décrire avec enthousiasme et toutes sortes d’autres émotions intenses. Et ce monde, il se met graduellement à y croire vraiment; 3) il est mégalomane, il joue un rôle primordial dans ce monde, rôle qui le valorise, qui est d’importance (fils de Dieu, prophète, témoin ou façonneur de miracles, interprète privilégié des intentions divines), il a des ambitions politiques (Jésus : roi de Judée, Mahomet : calife d’Arabie, Smith : président des États-Unis); 4) il est charismatique, les gens sont heureux de le suivre, il soulève leur enthousiasme, il les mesmérise, il est intelligent , il a un style convainquant.
Ce personnage prend d’abord plaisir à impressionner ses concitoyens avec ses élucubrations abracadabrantes, plaisir partagé par tous les « devins », lecteurs de paume, astrologues, et autres clowns ou arnaqueurs jovialistes. Toutefois, le futur chef de secte est particulier. Il se rend compte, consciemment ou inconsciemment, qu’avec un discours très sérieusement grandiose, universel, cosmique, et moralisateur, c’est à dire hyper dominant, il peut s’assurer de l’assiduité d’une petite communauté d’admirateurs. La règle universelle de tout dirigeant religieux : se faire vivre par les ouailles en ne faisant rien que proclamer. La parfaite combine. Les lecteurs de paume et autres petits charlatans, eux, se contentent d’arnaquer le client à la pièce.
Nous n’en sommes toujours qu’au « club » d’initiés mené par un hurluberlu. La vision du monde et la façon de vivre de ce club ne deviennent une religion qu’après plusieurs générations, s’appuyant sur des textes de témoignages qu’on prendra pour des révélations et une fois les textes bien triés pour leurs fonctions utiles (cosmogonie, pacification sociale, code moral, fonction identitaire, etc.), la secte d’autrefois sera identifiée comme porteuse emblématique d’un peuple et ses délires deviendront la vision du monde officielle de ce peuple. Cette opération peut être purement et cyniquement opportuniste (l’empereur Constantin pour le catholicisme) ou elle peut se faire par le grand prêtre lui-même avec quelques complices (le grand exode de Smith chez les mormons, les guerres tribales de Mahomet).
La trame psychologique du développement d’une religion, en ce qui concerne le chef fondateur, est donc, désaffectation, déséquilibre psychologique, délire mythomane, mégalomanie, narcissisme, parasitisme, exploitation. Du côté des ouailles, crédulité, hypnotisabilité, ignorance, naïveté, crainte, besoin d’être sécurisé, propension à admirer. Déçue de son marasme existentiel, l’ouaille s’identifie au prophète qui, encore plus misérable qu’elle, aura touché Dieu. À chaque torchon sa guenille. Les zélés religieux, aussi soumis et crédules qu’ils soient, s’identifient toujours à la grandeur… par proxy. La mégalomanie, l’amour propre, la dignité démesurée ne sont jamais loin malgré les affirmations d’humilité.
Cela pouvait toujours fonctionner dans des sociétés pastorales primitives d’autrefois mais cela devient très dangereux, apocalyptique même, dans des sociétés modernes, industrialisées, surpeuplées, à bout de ressources. Des 180 millions de pakistanais, détenteurs d’une importante capacité de frappe nucléaire, selon un récent et important sondage de l’Institut Pews, 75% affirment qu’ils sont en faveur de la peine de mort pour les apostats. L’extrême prétention de ce point de vue, son incroyable brutalité, son impitoyable cruauté, son hallucinante stupidité, toute la misère, la pauvreté, la souffrance, l’ignorance desquels il émane, montrent à quel point les choses ne vont pas bien dans ce monde lorsqu’on se cantonne dans un mode de vie arriéré, tout en s’appropriant quelques joujoux de la modernité. Le Pakistan, déjà terriblement surpeuplé, a le taux de natalité le plus élevé au monde et est un des pays les plus pauvres et inégalitaristes du monde.
Les religions donnent à l’humain une solution facile pour régler instantanément et en permanence ses problèmes émotionnellement douloureux comme le fait que la vie n’a aucun sens à priori, que nos origines humaines sont obscures, que notre destin individuel et d’espèce sont tout autant obscurs, qu’aucune ligne de conduite semble pouvoir entièrement nous guider dans nos choix d’actions, que nous n’avons qu’une idée floue de notre place dans l’univers, et que nous risquons à tout moment de nous retrouver seuls, misérables, mourants. L’enthousiaste religieux veut comprendre ces choses et se prémunir contre toutes ces craintes, mais n’a ni la force ni l’intelligence de commencer à chercher. Il préfère se faire des accroires. Une entourloupette, un circuit court. Il découvre la « foi ».
Dieu souffre d’un trouble dissociatif de la personnalité. Un jour il est le vieux bougon fatigué, meurtrier du monde entier (déluge), enragé de s’être fait décevoir par ses créatures. Le lendemain, il est le bébé en couches, omniscient, omnipotent, charmant. [1]
Tant qu’à suspendre son esprit critique et avaler une réponse toute faite aux grandes questions existentielles de la vie, le croyant québécois d’aujourd’hui sera particulièrement attiré par un récit qui ressemblera à un conte de fées, dans lequel il pourra s’identifier à la gentille fille ou le fils respectueux et se représenter Dieu en bon père qui veille sur son enfant avec force, bienveillance, sagesse, justice, etc. Autrefois, l’image d’un Dieu justicier, guerrier, brutal convenait davantage. Dans tout ce processus, il faut comprendre d’où vient cette puissance d’inspiration des récits religieux : ils viennent, à l’origine, de personnes émotionnellement déséquilibrées, pauvres, déchues, humiliées, abandonnées, faussement rebelles, qui ont trouvé un moyen magique d’inverser leur propre situation. Ce même processus est repris, par proxy, par chaque ouaille, durant des siècles et des millénaires. Au fait, pendant des millénaires, la religion sera l’unique vision du monde de la majorité des gens de cette planète. Il n’est pas du tout ringard de s’inquiéter de cet état des choses. C’est la réalité de la très vaste majorité de la population humaine AUJOURD’HUI.
Dans ce monde, l’ouaille est placée au centre. Le monde entier tourne autour de ses besoins. Mieux, le monde a été créé pour elle. Le monde entier, par l’entremise de Dieu, veille à son bien-être individuel. Tout est familier, inchangées, fiable et acceptable pour qui a la foi. Il est inutile de regarder les choses du monde, de les connaître, pour quiconque est bon croyant, sauf du coin de l’oeil. Il sait qu’il fait tout ce qu’il a à faire, pratiquer quelques simples rituels et y croire, suivre une ligne de conduite élémentaire, alimenter un tant soit peu l’église, il sera sauvé. Le mal est ramené à quelque chose que l’on peut facilement reconnaître : un travesti de nous-mêmes, le démon. Finalement, il n’y a que « nous » dans le récit religieux : Dieu c’est nous, le démon c’est nous. Le créateur c’est nous. Le destin c’est encore nous. Pas compliqué. Simpliste. Rassurant. Je suis juif. Je suis chrétien. Je suis musulman. Je « crois » et c’est tout. En cas de doute, consulter le « bouquin ».
« L’encre des savants vaut plus que le sang des martyrs » Mahomet, prophète de l’Islam, 570-632.
Il y a juste un problème. Le monde existe. Il change vite. Il est complexe. Et nous, les humains, nous occupons une bien petite place dans ce monde. Certains s’y intéressent pourtant à ce monde au delà de leur petite personne ou petite tribu. Ils se sont mis à prendre le monde au sérieux, en lui-même et pour lui-même. Ils se sont mis à l’observer, longuement, minutieusement. Ils sont arrivés à détecter de nouvelles régularités et irrégularités dans les trames des événements. Ils ont fait des liens, de plus en plus complexes. Ils se sont assujettis à la discussion critique. Ils se sont mis d’accord pour laisser aux imbéciles les problèmes irrésolubles, et ils se sont attardés aux problèmes résolubles. Ils ont accepté la règle de ne poser de question qui ne puisse être rapportée aux faits observables, et qui soit cohérente et raisonnée. Ils ont façonné le monde dans lequel nous vivons. Ce sont eux qui nous réveillent le matin avec ce gadget et eux qui nous endorment la nuit avec un autre gadget, non sans nous avoir accompagnés sans relâche tout au long de notre journée. Tels des Saint Georges, ces scientifiques éperonnent le dragon religieux, le mettent à mort en le cantonnant toujours plus aux derniers recoins de l’irraison. Mais il est increvable…
Pauvre humain. Lui, angélique, sublime, tranquille, ayant trouvé le moyen de s’imaginer au centre du monde, pourquoi a-t-il fallu qu’on lui fauche ses prétentions, une après l’autre ? C’en est assez, aux yeux de nombreuses personnes, pour développer une nausée, voir même une haine viscérale, de la science, une cécité et surdité psychologiques quant à ses contenus. Les scientifiques ? De sinistres personnages qui nous amènent à notre perte, dans un vortex infernal…
La science ne vise pourtant aucunement à combattre les religions monothéistes, trithéistes ou polythéistes. Elle est plutôt assez indifférente à ces doctrines, de même qu’elle est indifférente aux cosmogonies encore plus primitives. Trop d’ailleurs. Mais si on tire des sciences les conclusions qu’elles imposent, leur CONTENU est tout de même directement incompatible avec la vision du monde religieux. Les révolutions coperniciennes sont des démonstrations précises, froides, rationnelles, empiriquement vérifiables, qui démolissent la représentation complaisante et auto valorisante du monde que quelques malheureux illuminés ont réussi à imposer aux peuples pendant des milliers d’années.
Les révolutions conceptuelles présentées au tableau suivant sont plus que de simples idées. Ce ne sont pas des hypothèses. Ce sont des idées complexes à très grande portée, c’est-à-dire qui expliquent de très grands ensembles de phénomènes et de données. Ce sont des théories qui ont été amplement testées, pour lesquelles on a trouvé une grande diversité d’appuis empiriques, qui jusqu’à maintenant ne souffrent d’aucune contre-démonstration, et qui ont atteint le statut de « paradigmes » scientifiques. Plus concrètement, aucun candidat au doctorat en sciences à sa soutenance de thèse ne pourrait nier une de ces affirmations sans devoir faire face à un débat d’idées au cours duquel il risquerait fort de se faire écraser intellectuellement et couler son diplôme (à moins de mobiliser une contre-démonstration magistrale). Les idées de notre tableau qui suit font partie des idées maîtresses des scientifiques auxquelles ils adhèrent, tout en gardant tout de même l’esprit ouvert à des contre-démonstrations. Ces idées sont directement et inexorablement incompatibles avec les révélations des religions. Elles les contredisent en leur cœur. Voilà sans doute la principale raison pourquoi les scientifiques les plus érudits, les plus engagés sont presque tous athées. Selon Dawkins, dans son God delusion, on a trouvé aucun récipiendaire vivant du prix Nobel qui croyait à un Dieu personnel, aucun qui ne croyait à une révélation religieuse.
Ces révolutions coperniciennes sont ambiguës. C’est vrai qu’elles détrônent l’humain en ce qui a trait à ses prétentions les plus grossières. Mais elles représentent, avec les autres révolutions scientifiques (car les découvertes scientifiques sont loin de toutes être « coperniciennes »), aussi des triomphes de l’ingéniosité, des moments forts de l’intelligence humaine, une source inépuisable d’émerveillement, même d’enchantement, pour qui s’en donne la peine. Elles approchent l’humanité du statut du Dieu créateur, concepteur et gardien de l’univers. Elles nous livrent, par syncopes, de magnifiques prises sur l’univers lui-même.
Certains commentateurs se plaignent des sciences, veulent en limiter les effets, souhaitent les contrecarrer avec la religion. Le philosophe catholique montréalais Charles Taylor a écrit récemment que la science serait désenchantement, la religion enchantement. Il est allé jusqu’à s’en prendre aux Lumières, nostalgique qu’il était sans doute du féodalisme et des Âges noirs. Mais quel est donc ce paradis que proposent le christianisme, l’islam ? De s’asseoir pour l’éternité à la droite de Dieu, de vivre éternellement dans un jardin verdoyant où les rivières seraient de lait ? Rêves de pauvres paysans abrutis qui espèrent ne pas mourir et qui ne peuvent imaginer mieux qu’une éternité réglée sur une bonne place à table ou une année de bonnes récoltes.
Il suffit de décrocher temporairement du théisme, même si seulement pour fin de rhétorique, pour comprendre que l’opposition taylorienne d’« enchantement/désenchantement » doit être revirée sur sa tête. Le soi-disant enchantement religieux est une aliénation émotionnelle, irrationnelle, contrefactuelle. Il place l’humain dans une prostration paralysante, un culte de l’ignorance, un refus de créativité, une attente stérile. Mais le pire, c’est que, érigé en absolu, il engendre un amour propre excessif et dangereux, un terrain fertile pour le dédain, l’exploitation, le meurtre de ceux qui sont vus comme indignes et inférieurs : les femmes (souillées), les enfants (incultes), les gais (pervers), les adeptes des autres religions (dangereux), les athées (monstres), les apostats (traitres), les scientifiques (suppôts de Satan), les autres tribus (sous humains), les autres groupes ethniques (barbares), les autres groupes raciaux (primitifs), les autres nations (menaçantes).
À l’inverse, l’adoption d’une mentalité scientifique du monde est potentiellement libératrice. Et les scientifiques ne méritent pas d’être honnis. Ce sont dans l’ensemble, à certaines exceptions près, de bonnes gens, à tendance généralement humaniste, au dossier criminel vierge, bienveillantes, qui veulent changer le monde pour le mieux.
Les scientifiques détiennent aussi une précieuse clé pour le bien être du monde entier: leur métier, du début de leurs études jusqu’à la fin de leurs carrières, leur apprend à limiter leurs prétentions (dans l’exercice de la science) à des raisonnements basés sur les faits, formulés soigneusement et rigoureusement à l’aide de la quantification, assujetissables au test hypothéticodéductif direct ou indirect, soumis à l’analyse détaillée et bénévole par des pairs experts, respectueux de la critique des pairs aussi dévastatrice puisse-t-elle être, et finalement, risquant d’être mis au rancart définitivement si la critique est intraitable. Bref, s’il y a une vertu qui caractérise les scientifiques accomplis, dans l’exercice de leur profession, c’est l’humilité. Pourtant, compte tenu des succès extraordinaires des sciences, on a tendance à plutôt voir les scientifiques comme prétentieux et narcissiques. Cette représentation est celle du cinéma et du roman où on développe le sentiment de crainte du scientifique fou, rebelle, illuminé, un thème qui attire les foules. Mais la réalité à l’intérieur de l’exercice scientifique est toute autre. Il est laborieux et écrasant de mener une recherche scientifique et de la faire valoir dans le monde des sciences. Cela prend énormément de tolérance à la contrainte, de patience, de respect du jugement d’autrui. Personne ne se fait autant évaluer, critiquer, juger, qu’un chercheur scientifique. Aucun chercheur scientifique ne mène sa carrière sans subir l’assaut du jugement des pairs, même pas les nobélisables ou nobélisés. Cela prend bel et bien beaucoup d’humilité. Ce culte de l’humilité chez les scientifiques est radical. Toute émotivité dans le discours scientifique est systématiquement et totalement expurgé. Des illuminés excités, on en veut pas en sciences, car la poursuite de la vérité est incompatible avec les états affectifs qui inspirent et qui caractérisent la religion, ainsi que bien d’autres activités humaines…
Comment faire alors pour que les populations épousent la science et les scientifiques ? La commande est lourde. Les humains auront-ils un jour cette abnégation ? Au lieu de mystifier le monde, la science cherche à le démystifier. La science devrait-elle cultiver le mystère ? Surtout pas ! La science nous donne une base pour aménager notre place dans un monde complexe. Elle autorise une amélioration de la condition humaine ici sur terre. Les problèmes graves de notre espèce ne seront pas résolus par la démarche religieuse. On sait déjà, tout à fait scientifiquement, que la prière est complètement inefficace. Par contre, il suffit de lire n’importe quel numéro de la revue Scientific American pour trouver une multitude d’analyses des grands problèmes de notre espèce, pollution, maladie, approvisionnement, surpopulation… et des solutions à ces problèmes. Une telle lecture peut être infiniment plus inspirante, édifiante, et enchanteresse, que la lecture des poussiéreux et macabres torah, bible ou coran. Tout ce qui est requis, c’est de lâcher la drogue dure de la religion, de commencer à utiliser notre matière grise néocorticale un peu plus que notre système limbique.
Après tout, est-ce vraiment si déprimant de constater que l’humain n’est pas la raison d’être du monde, que nous ne sommes pas protégés par un créateur, que nous allons tous mourir ? N’est-il pas tellement plus motivant de penser qu’on puisse construire un monde meilleur, sans mains liées ? Notre liberté absolue n’est-elle pas une valeur à chérir ? Existe-t-il quelque chose de plus beau que notre faculté d’aligner, même si à tâtons, notre pensée sur le réel, notre capacité de regarder la vérité en face ?
Plutôt que de croire au mythe de la création du monde par une bestiole qui aurait surgi toute faite du néant ou qui aurait existé de tout temps, n’est-il pas plus glorieux, enchanteur de croire que l’on puisse, tout et chacun, être créateurs de ce monde, autant que n’importe quelle autre entité ? Plutôt que de supplier, convoquer, manipuler par sortilège la « bestiole » pour nous « sauver », n’est-il pas tellement plus inspirant, convivial, chaleureux, simplement de participer à un échange ? Goethe n’a-t-il pas compris tout à fait judicieusement avec son personnage de Faust, que rien ne sert à refuser la mort, que cette visée est même morbide, aliénée ? Notre enchantement existentiel ne se situe-t-il pas plutôt dans la dialectique de la vie et de la mort ? Nos vies ne sont-elles pas galvanisantes d’éphéméride et enivrantes de ce que nous en faisons ?
Dans leur vie personnelle, en dehors de l’exercice des sciences, les scientifiques « oublient » souvent dans leurs laboratoires leurs « filtres à niaiseries » et deviennent donc niais, le temps d’un lapsus (parfois même le temps d’une vie). Et alors eux aussi se laissent aller à la rêverie, imaginent des mondes meilleurs, tombent en amour, et même construisent des « chapelles ».
Malgré qu’ils ne sont pas plus vaillants ou admirables que quiconque, dans leurs « chapelles » les scientifiques travaillent néanmoins sérieusement à régler les plus importants problèmes du monde, problèmes que les religions doctrinales ne font qu’exacerber : le problème de l’inéquité de la redistribution des richesses, le problème de la destruction de l’environnement, le problème de la surpopulation mondiale [2]. À L’opposé, les églises doctrinales ne font qu’exacerber ces problèmes parce qu’elles s’appuient irrémédiablement sur l’ethno-tribalisme, sur l’autoritarisme absolutiste, sur l’exploitation du plus grand nombre. Il est impossible d’atteindre un humanisme qui en vaille la chandelle via des doctrines fondées sur le parasitisme, qui attaquent les apostats, qui désignent un prophète appartenant à une seule ethnie, qui proclament pour l’éternité une révélation écrite dans une langue spécifique, qui accordent à un seul peuple d’être choisi par Dieu, qui présentent le monde comme un cadeau du ciel à consommer à volonté.
Heureusement il existe une église qui est amie des sciences, l’Unitarienne-universaliste. Dans ses chartes, déclarations et débats internes, elle dit admettre les théories scientifiques et ne cherche pas à les relativiser, minimiser, trivialiser. À suivre…
- Braun, Claude, (2010). Québec athée. Montréal : Les éditions Michel Brulé.
- World scientists warning to humanity, (2005). Rapport de la Union of concerned scientists (dont la plupart des membres ont reçu un prix Nobel).
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