Pourquoi êtes-vous athée ?
Loyla Leroux
Membre du conseil d'administration de l'AHQ
Loyola Leroux a enseigné la philosophie pendant 36 années au Cégep de Saint-Jérôme; baccalauréat en philosophie (UQAM)
Cet article est paru sur le blogue de P.Z. Myers « Pharyngula » suite à sa participation à la conférence Athée sans frontières de Montréal. J’ai trouvé ce texte très pertinent et j’ai pris l’initiative de le traduire afin de le partager avec vous. J’espère que vous le trouverez aussi intéressant que moi.
Michel Pion
Encore une fois, j’ai fait la démonstration de ma capacité à me faire détester. Seulement cette fois-ci ce n’est pas une bande de fanatiques religieux qui m’ont traité de tous les noms. Oh que non! Cette fois j’ai réussi l’exploit de me mettre à dos un groupe d’athées. Ça fait mal! En fait, pour être honnête, pas tant que ça. L’ire des athées s’est déchainée contre moi sur You Tube et Twitter, à la suite de la diffusion récente de ma conférence à Montréal (Athées sans frontières en octobre dernier). J’ai fait un petit aparté durant ma causerie où je déplore les « athées de dictionnaires », allant même jusqu’à dire que je déteste ces gens, parce que je les trouve superficiels. Apparemment, certaines personnes s’identifient à ce genre d’athéisme vide de sens, parce qu’ils se sont sentis visés personnellement et cela les a manifestement contrariés. Je me suis posé la question. Devrais-je me rétracter et présenter des excuses et peut-être réviser mon opinion sur ce sous-ensemble de la communauté athée? Suis-je allé trop loin? Ouuuu..non. Évidemment cela demande une réponse. Je pense que j’ai besoin de résumer tout ce qui m’agace sur l’athéisme et que je souhaiterais que les gens arrêtent de faire. Apparemment je n’ai pas encore insulté suffisamment d’athées. Donc allons-y et essayons de faire ch.… tout le monde! Ce sera amusant! Alors, voici ma liste.
Les athées de dictionnaire.
Bon sang, que je déteste ces gens-là. Vous êtes au beau milieu d’une discussion, vous tentez d’expliquer pourquoi vous êtes athée, ou ce que l’athéisme devrait signifier à la communauté, ou d’autres sujets qui mettent de l’avant nos idées de ce que la société devrait être et voilà qu’un pisse-vinaigre arrive et vous annonce pompeusement que « l’athéisme signifie que vous ne croyez en aucun dieu et rien de plus. Cela ne sert à rien d’essayer d’ajouter un sens à l’expression. » Comme si l’athéisme ne peut être qu’une espèce d’idéal platonique flottant dans l’espace virtuel sans rapport avec quoi que ce soit, comme si les athées étaient tous des gens qui ont atteint le nirvana zen, vide d’esprit et d’émotions, ne contenant rien d’autre que l’athéisme, qui lui-même n’est rien. Quelle bande d’abrutis!
Si je vous demande de m’expliquer pourquoi vous êtes athée et que vous me répondez en récitant le dictionnaire, vous ne dites rien! Si vous demandez à quelqu’un pourquoi il ne croit pas en dieu et qu’il vous répond « Parce que je suis une personne qui ne croit pas en Dieu. » Cela ne veut strictement rien dire. Et si vous vous objectez lorsque je dis qu’il y a plus que cela à la pratique de l’athéisme et que vous insistez que non, cela fait seulement de vous quelqu’un de dogmatique et d’aveugle.
Pendant ma causerie de Montréal, j’ai expliqué qu’il y a plus à mon athéisme que la simple négation d’une idée. Mon athéisme est fondé sur une attitude scientifique qui met de l’avant la valeur des faits et de la raison, qui rejette les allégations reposant uniquement sur l’autorité et qui encourage une exploration en profondeur de notre monde. Mon athéisme n’est pas seulement une réfutation de l’existence de Dieu, il se fonde sur un ensemble de valeurs positives que je m’efforce de mettre de l’avant lorsque je parle d’athéisme. Le déni de Dieu? C’est la conséquence et non la cause.
Loin de moi l’idée de prétendre que mes valeurs font partie sine qua non de la définition de l’athéisme. J’ai rencontré plein d’athées qui partagent nos opinions sur les questions de justice sociale. Ils voient la croyance en Dieu comme une source de maux sociaux et c’est pourquoi ils la rejettent. Cela est valable et raisonnable. Il y a des athées qui considèrent le bien-être humain comme étant la métrique à utiliser et nous les dénommons humanistes, pas de problème là non plus. Il y a aussi des athées qui se joignent au groupe parce que leurs amis «cool» (ou bien Daniel Radcliffe) sont athées; c’est une raison stupide, mais ils sont athées.
Ce que j’essaie de dire est que personne ne devient athée à cause d’une absence de valeurs et personne ne devient athée parce que le dictionnaire leur dit qu’ils le sont. Je pense que nous ne rendons pas service à notre mouvement quand nous prétendons que nous sommes uniquement un groupe de personnes qui n’ont pas de croyances, plutôt que comme un organisme avec des objectifs et des valeurs positives.
Oh et à ce sujet, je reçois aussi beaucoup de commentaires sur le fait que l’athéisme est un attribut privatif qui, strictement parlant, n’a aucune qualité positive spécifique. C’est vrai en ce qui concerne la définition du dictionnaire. Ce n’est pas vrai de l’athéisme dans son utilisation actuelle. Le terme est lourd de sous-entendus, comme l’illustre la petite bande dessinée ci-dessous.
Les bébés sont tous athées ou je suis athée par défaut, parce que j’ai été élevé sans religion.
J’ai bien peur que non. Même problème que pour l’athée de dictionnaire, cela suppose toujours que l’athéisme n’est tout simplement qu’un vide intellectuel. Les bébés ne sont pas chrétiens, musulmans ou hindous et ils ne sont pas athées non plus, parce que pour cela il faudrait qu’ils aient eu un iota de pensée à ce sujet. Donc, si les bébés sont athées, alors les arbres et les roches le sont aussi, ce qui est vrai si on se fie à la définition du dictionnaire, mais illustre aussi le ridicule inutile de cette définition. Les bébés peuvent très bien avoir une prédisposition à accepter l’existence d’une intelligence supérieure à eux-mêmes, ce qui revient à dire qu’ils penchent tous vers un genre de théisme générique de toute façon. Maman est Dieu après tout.
Il y a aussi un bon nombre d’adultes qui insistent sur la définition du dictionnaire et qui devraient y penser par deux fois. Ils ont été élevés sans croyance en Dieu et certains d’entre eux peuvent même ne pas avoir envisagé la religion du tout. Sauf qu’à moins d’avoir des problèmes psychologiques sérieux, ils possèdent également un ensemble de valeurs qui les amènent naturellement vers l’athéisme, sinon on pourrait s’attendre à ce qu’ils tombent à genoux et deviennent chrétiens à la seconde où ils entendent prononcer le nom de Jésus. Ils ne le font pas et pourquoi? Probablement parce qu’ils ont hérité des habitudes de pensée critique de leurs parents. Ils portent en eux des valeurs positives qui les rendent résistants aux promesses à bon marché de la foi.
Le débat «Je ne crois en aucun Dieu».
Celle-là je l’ai entendu tellement souvent. C’est le genre de distinction grammaticale servant à couper les cheveux en quatre dont certains athées se réclament pour se définir. Tout ce que vous faites mesdames et messieurs, c’est de vous définir comme des maniaques de la rétention anale! Revenez-en! Quoi qu’il en soit, vous êtes athées et cela vaut également pour les philosophes de salon qui insistent pour dire qu’ils sont agnostiques, pas athées, parce qu’ils ne sont pas sûrs à 100% qu’il n’y a pas de dieux, seulement sûrs à 99.5%. L’athéisme en mène large et il est si facile de tomber esclave d’une définition. C’est bête de perdre du temps à argumenter à savoir de quel côté de la clôture vous penchez. Franchement, ça m’est égal. Dites-moi quelles vertus ont de l’importance pour vous, quelles expériences vous ont amené ici, en quoi vos valeurs sont importantes pour la société. Le coupage de cheveux en quatre pour trouver un terme vous définissant n’est que de la masturbation narcissique en ce qui me concerne.
La science peut vous amener jusqu’à la lune. La religion peut vous amener à piloter un avion dans un building.
Tout d’abord, la deuxième phrase est fausse. La religion ne vous métamorphose pas en terroriste. La grande majorité des gens religieux ont des valeurs semblables aux vôtres. Ma grand-mère qui allait à l’église tous les jours aurait été tout aussi horrifiée par les personnes qui utilisent leur foi pour justifier le meurtre que l’athée le plus endurci et il y a eu également des athées convaincus qu’ils étaient justifiés de tuer des gens pour une cause. Alors, de grâce, arrêtez de dire cela!
Je dirais, cependant, que la religion peut vous rendre davantage susceptible à accepter de mauvaises idées. Après tout, si vous avez passé votre vie entière à étouffer votre esprit critique et à éviter de vous poser des questions sur la sainte trinité et la mère magique de Dieu ce n’est pas si difficile d’accepter de croire que les gens du ministère du revenu complotent pour vous installer une puce électronique dans le cerveau pour vous contrôler. Je m’oppose à la religion parce que nous pouvons constater ses effets sur les gens, même les plus brillants. Cela court-circuite leur scepticisme et les expose à des idées dangereuses et erronées. D’habitude, on peut faire confiance à la nature coopérative sociale des êtres humains, mais ce genre d’idées dangereuses peut amener certaines personnes à faire des trucs vraiment bizarres et pas toujours bon pour eux ou leurs proches.
«Je crois simplement à un dieu de moins que vous».
D’accord, celle-là je ne la déteste pas. On y trouve le germe d’une idée valable. Ne pas croire est en soi un comportement social sain et même le théiste le plus zélé ne croit pas à beaucoup de choses. C’est un bon point à faire remarquer dans un monde où les gens interprètent la foi aveugle comme une vertu.
Mais c’est en fait le seul bon argument qui puisse en être tiré, car il renferme également certains pièges. Cela implique beaucoup de choses qui ne sont pas véridiques. Le théiste avec lequel vous argumentez n’est pas passé, lui, par un processus dans lequel il a pris le temps d’analyser ses convictions en toute logique et exclu 99% de tous les dieux en utilisant la raison et leur manque de preuve. En fait, il n’a probablement jamais de toute sa vie sérieusement considéré d’autre foi que la sienne. Il est venu à sa foi personnelle par le biais d’une série de présuppositions personnelles qui lui semblaient positives. Prédispositions dis-je et non pas par l’exclusion progressive d’autres idées et il y a fort à parier qu’il ne verra pas la pertinence de votre argument. Seriez-vous influencé par quelqu’un qui vous fasse remarquer que vous ne croyez pas à l’astrologie, à l’homéopathie, au tarot, à la sorcellerie ni à la chiromancie et qui vous affirme ensuite qu’il a tout simplement fait un pas de plus que vous et ne croit pas à l’évolution des espèces ?
De même, il n’est pas nécessaire de faire une liste de toutes les religions et en faire l’analyse une par une en cochant votre liste sous la colonne « invraisemblable ». Ce n’est certainement pas mon cas et je soupçonne que ce n’est pas le vôtre non plus. Au lieu de cela, vous arrivez à votre conclusion grâce à un ensemble de critères implicites, tel que les éléments de preuve, le degré de plausibilité et le support expérimental, mais aussi avec une saine méfiance à l’égard de l’autorité non fondée ou des revendications qui sont trop belles pour être vraies. Cela vous incite à accepter les explications naturelles comme meilleures explications du monde. En faire un débat quantitatif sur le nombre de dieux acceptables, au lieu d’un débat de fond sur les bases réelles de nos idées philosophiques, est je pense, vraiment aberrant.
Je pourrais certainement trouver quelques autres bêtes noires, je suis vraiment un expert de classe mondiale dans la recherche de défauts, mais arrêtons-nous là. L’argument principal que j’essaie d’illustrer c’est que beaucoup d’athées ne mettent pas suffisamment d’emphase sur pourquoi ils le sont devenus et pourquoi ils se sentent à l’aise avec cette étiquette. Il s’agit de prendre le temps d’examiner ses convictions sur la façon dont notre monde fonctionne. Vous êtes athée, soyez fiers de ce que vous croyez, pas de ce que vous niez. Et également ne faites pas l’erreur de croire que les croyants sont arrivés à leurs conclusions dans un vide total. Il y a en fait souvent des raisons profondes qui expliquent leurs ferveurs envers une autorité surnaturelle et elles ne sont pas toujours dues à la bêtise.
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