Le consensus humaniste sur la question de l’avortement
MICHEL PION
Vice-Président et trésorier (président de 2010 à 2013)
Michel Pion est membre de l’AHQ depuis 2006, informaticien de profession il est membre du CA du l’AHQ depuis 2007 et a été l’instigateur principal de la campagne des « Autobus Athées » en 2009 et est à l’origine de la création du bulletin Québec humaniste.
Le texte qui suit est un court extrait de notre site « éducation humaniste » accessible sur notre site assohum.org. Ce texte a été traduit, avec permission, du site COHE (Continuum of Humanist Education) et est la propriété exclusive de l’IHS (Institute for Humanist Studies).
L’auteure Jeaneane Fowler Ph.D. enseigne la philosophie à l’université de Wales College à Newport, en Angleterre.
L’avortement est l’expulsion prématurée ou la suppression d’un embryon de l’utérus pour empêcher son développement et sa survie. Les humanistes ne sont pas en faveur de l’avortement en soi. Ils préféreraient plutôt un enfant conçu de façon responsable par choix, accueilli dans une famille aimante et dans un milieu accueillant. Mais ce sont là des situations idéales, ce ne sont pas toutes les grossesses qui sont désirées, pas toutes les circonstances qui sont favorables et certains cas sont vraiment dangereux pour un enfant.
Idéalement, une contraception efficace doit empêcher toute grossesse non désirée. Dans les faits, cela ne fonctionne pas toujours. Selon l’Association de réforme de la loi de l’avortement (ALRA) en Grande-Bretagne, par exemple, les trois quarts des femmes qui avortent utilisent aussi la contraception. Cela confirme que de nombreuses méthodes de contraception ne peuvent garantir une protection absolue contre la conception.
Pour les femmes qui trouvent qu’elles ne peuvent pas affronter une grossesse, pour quelque raison que ce soit, l’humanisme estime que le choix de mettre fin à la grossesse leur appartient. Comme les humanistes se consacrent à l’amélioration de la qualité de vie, dans le cas de l’avortement c’est la qualité de vie de la mère autant que celle de l’enfant à naître qui doit être pris en compte. Si la mère, l’enfant, ou les deux sont susceptibles de souffrir dans la vie si la grossesse est menée à terme, alors les humanistes considèrent généralement que l’interruption de la vie du fœtus est la solution moralement acceptable.
Les arguments en faveur de l’avortement
Jusqu’où doit-on laisser une vie potentielle dicter l’avenir de la vie de la femme qui l’a porté ? C’est seulement la femme qui porte cet être humain à naitre qui peut vraiment répondre à cette question. Dans le monde d’aujourd’hui, les individus sont moins enclins à accepter leur sort dans la vie en se soumettant à ce que la vie leur apporte. Cela a beaucoup à voir avec le refus des normes religieuses pour la façon dont la société doit penser et l’acceptation d’une liberté plus rationnelle des individus en quête d’une qualité de vie. Il y a peut-être des implications éthiques à mettre fin à une vie potentielle, mais il y a aussi des implications éthiques liées à condamner une femme à une vie qu’elle ne veut pas.
Peu de femmes prennent le choix d’avorter à la légère. Les personnes qui travaillent dans les cliniques d’avortement constatent la timidité, la peur et la détresse de la plupart des femmes qui franchissent leur seuil. Certaines femmes sont heureuses d’avoir de nombreux enfants, certaines n’en veulent pas du tout. Pour chaque femme il y a une limite au-delà de laquelle la qualité de vie disparaît. Il y a aussi un moment où il est juste d’avoir un enfant et un moment où c’est carrément un mauvais choix.
«Les groupes pro-vie», comme ils s’appellent, ou de lutte contre l’avortement, ont souvent comme argument que l’adoption, ou laisser son enfant à la charge de l’état est un meilleur choix que l’avortement. Mais les « groupes pro choix » demandent, « C’est mieux pour qui ? » Certainement pas pour la mère, qui a la charge supplémentaire de porter à terme un enfant qu’elle ne veut pas, un processus d’accouchement qu’elle ne veut pas et puis la culpabilité de la séparation avec l’enfant. Et les orphelinats étaient pleins lorsque l’avortement était illégal. L’interdiction de l’avortement pourrait à nouveau placer plus d’enfants non désirés dans le système institutionnel.
Enfin, apporter un autre être humain dans le monde est un acte hautement responsable et important. Si on ne peut offrir à l’enfant à naitre une qualité de vie minimale, il semble vain d’amener cet enfant dans un monde où sa qualité de vie ferait défaut. Les droits fondamentaux des femmes ont peu de sens si elles ne peuvent contrôler leur propre fécondité. La femme est un être humain conscient avec une connaissance des joies et des vicissitudes de la vie. Sa vie, comparée à une vie potentielle et inconsciente, est précieuse, plus précieuse que la vie potentielle qu’elle porte. Sans qualité dans sa vie – quelle que soit la façon dont la femme comprend ce mot – son expression de vie s’en trouve diminuée.
L’un des critères les plus importants pour les interruptions sur le tard des grossesses sont la preuve que le fœtus est gravement handicapé. La plupart des femmes qui portent un enfant potentiel dans leur utérus sont profondément anxieuses de s’assurer qu’elles portent un bébé « normal ». Certaines femmes s’occupent admirablement d’un enfant handicapé, d’autres ne seraient jamais en mesure d’y faire face.
Compte tenu de la surpopulation croissante de la planète, l’avortement est considéré comme un moyen de limiter l’expansion de la population. En Chine, par exemple, l’avortement est obligatoire pour ceux qui ont plus d’un enfant (même si cela a mis en évidence l’augmentation de l’infanticide des bébés de sexe féminin) et au Tibet, il faut avoir un certificat afin de devenir enceinte. De sévères pénalités financières en résultent pour ceux qui conçoivent à nouveau. Au Bangladesh, le choix entre la stérilisation et la famine a été la politique de ces dernières années. Toutefois, pour les humanistes, l’avortement comme un moyen de freiner l’expansion démographique est une erreur : c’est une contraception efficace qui devrait être utilisée et cela se fait seulement avec une meilleure éducation sexuelle et des services de santé concernés par le contrôle des naissances.
Quelle que soit l’opinion des humanistes sur l’avortement lui-même, la position humaniste est résolument en faveur du droit à l’avortement et il appuie les principaux organismes qui font campagne pour la réforme de la législation gouvernementale actuelle en matière d’avortement. Mais il y a ceux qui s’opposent à l’avortement en toutes circonstances, les groupes « pro-vie » ou les groupes « anti-avortement ».
Les arguments contre l’avortement
En dehors de la question de la sensibilité du fœtus, ceux qui s’opposent à l’avortement croient que la vie commence solennellement au moment de la conception. Toute tentative d’interférer avec cette vie est considérée condamnable. Selon la même logique, les opposants à l’avortement condamnent également l’utilisation de produits abortifs, la « pilule du lendemain ». Cette pilule post-coïtale est conçue pour empêcher l’implantation réussie d’un ovule fécondé dans l’utérus au cours des premiers jours de développement. Ils soutiennent que ce n’est pas de la contraception, mais de l’avortement.
Certains militants contre l’avortement croient aussi que les handicaps physiques ne sont pas des motifs valables pour l’avortement, en soulignant que les interruptions sur le tard pour les handicaps sont parfois entreprises pour des raisons légères telles un bec de lièvre, un pied bot, etc. Ils s’opposent à ce qu’ils considèrent comme une promotion d’une mentalité de discrimination meurtrière contre les handicapés. Avec les progrès de la technologie génétique, ils craignent une attitude de « recherche et destruction ». Ils craignent que les soins aux enfants et aux adultes gravement handicapés, qui requièrent d’importants services de santé et sociaux, soient remis en question par une modernité qui refuse l’entraide
Les opposants à l’avortement craignent également l’acceptation de l’infanticide de ceux qui sont gravement handicapés à la naissance, une pratique qui se fait parfois dans les hôpitaux. Mais les cas d’avortements en raison d’un enfant handicapé sont potentiellement rares comparativement à ceux fondés sur l’atteinte au bien-être physique et mental de la mère ou de la famille. Les femmes en Grande-Bretagne doivent obtenir l’autorisation de deux médecins avant que l’interruption soit autorisée, mais les militants contre l’avortement prétendent que les raisons invoquées sont des raisons sociales et constituent, en fait, un « avortement sur demande ». Ils sont opposés à toute réforme pour le droit à l’avortement qui pourrait permettre aux femmes d’interrompre une grossesse de leur propre chef. L’enfant à naître est toujours considéré comme un être humain séparé de sa mère, avec une personnalité potentiellement unique et distincte, ayant un droit à la vie avant et après sa naissance.
Derrière ces idées, il y a une idéologie religieuse, à savoir que seul Dieu a le droit de donner et prendre la vie. La position catholique romaine, par exemple, est farouchement anti-avortement (et officiellement anti-contraception), de même que la position musulmane. Selon la loi religieuse islamique, la vie est donnée par Allah dès le départ avec une nuftah, une goutte de liquide dans l’utérus de la mère. Cette goutte de liquide, croient les musulmans, est planifiée, programmée et soignée par Allah et ne devrait jamais être détruite. On estime que « l’âme » entre dans le fœtus à 120 jours. Mais même l’Islam, tout comme la religion anglicane chrétienne, le judaïsme et l’hindouisme, acceptent que l’interruption de grossesse soit indispensable si la vie de la mère est en danger.
Il convient de rappeler que les humanistes sont pro-choix : tout en ne favorisant pas l’avortement en soi, ils reconnaissent la nécessité pour chaque femme de choisir sa propre voie face à la grossesse. Quand une femme apprend qu’elle est enceinte, elle ne réagira pas passivement. Que cette nouvelle évoque joie ou désespoir, sa vie sera radicalement affectée et chambardée dès ce moment. Des conseils, des consultations, des soins et le dialogue sont essentiels à un tel moment, mais seulement la femme elle-même peut prendre la décision finale.
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