Michel Virard

Michel Virard

Président de l'AHQ

Michel Virard est un des fondateurs de l’AHQ en 2005 avec Bernard Cloutier et Normand Baillargeon. Ingénieur et entrepreneur, il a également été administrateur des Sceptiques du Québec. il est depuis les tout débuts l’une des âmes dirigeantes de l’AHQ. 

Où en sommes-nous ?

Il y a une question qui pèse sur la condition présente et le potentiel futur de notre mouvement et qui continue de m’intriguer et de m’affliger. Dans une culture mondiale marquée par une perte générale de la foi religieuse traditionnelle, comment se fait-il que l’humanisme officiel gagne si peu de convertis ? Il semble tristement exact que la plupart des gens en Amérique du Nord qui tendent à se présenter comme « libre penseur » ou « non-croyant » ne se sentent pas poussés à se joindre à une organisation humaniste. Et, même lorsque des groupes parapluie ont été formés, la désunion organisationnelle et la confusion au sujet de nos racines philosophiques, historiques, et nos objectifs actuels sont trop souvent à l’ordre du jour. C’est un problème qui cause des soucis. Cependant, en y repensant, peut-être ne devrais-je pas être surprise par notre manque d’intégration. Un coup d’œil en arrière sur notre longue histoire révèle bien des variations à l’intérieur de la pensée humaniste et même des désaccords sur les prémisses fondamentales. Ce problème m’a forcé à conclure qu’il est grand temps d’identifier, en termes clairs et positifs, les frontières conceptuelles de cette vision ambiguë du monde à laquelle nous nous référons. J’aimerais contribuer à une ré-évaluation et une mise à jour de l’humanisme en tant que philosophie de la vie, et j’invite tout un chacun à faire la même chose.

La genèse de l’humanisme

Nous devons comprendre que l’humanisme moderne est le produit d’au moins vingt six siècles d’évolution culturelle: c’est à dire du développement cumulatif et de l’adaptation d’un courant de pensée particulier. Il a trouvé ses racines dans les idées de personnes comme Bouddha et Confucius en Asie, et dans les théories d’un groupe de penseurs Ioniens, appelés l’École des atomistes de Milet, et qui vécurent 500 avant JC. Ces germes ont été nourris par des philosophes grecs plus récents, les plus remarquables d’entre eux pourraient fort bien avoir été Protagoras, Démocrite et Épicure. Ces graines furent préservées pendant les siècles sombres et hostiles par des Grecs hellénistiques qui déménagèrent à Rome, par des poètes romains tels que Lucrèce et Lucain, et éventuellement, par les descendants d’Asie centrale hellénisés présents dans les empires byzantin et musulman à leurs débuts. Enfin les graines de l’humanisme ont été répandues par les Maures à Cordoba, en Espagne, et de là, par des juifs itinérants vers les monastères chrétiens éloignés où des moines ont travaillé à conserver et transmettre un message dont ils ne comprirent que bien vaguement la signification. Un qui avait probablement compris, et qui a donné un nouveau souffle à l’idée d’humanisme, fut Érasme; mais il n’osa pas en prononcer le nom. Il laissa aux pionniers de la pensée des Lumières, tels que Montaigne, Hobbes, Hume et Voltaire, le soin de définir, en termes modernes, la nature de l’intuition qui propulsait la perspective humaniste. Finalement, Charles Darwin lui a fourni son ultime base philosophique, bien que les implications de cette percée pour la culture et la conduite humaine restent bien peu comprises.

La prémisse primordiale : le naturalisme

Quelle était donc cette grande idée et quelle était la source de son énergie à survivre ? Ce n’était rien de moins que la prémisse définissant l’existant, et la place de l’humanité à l’intérieur de cette existence. Elle concerne une communauté et une continuité parmi toutes les formes inorganiques et organiques. Elle affirme que les humains sont une partie intégrale de la matière de l’univers, pas moins naturelle que tout autre partie. Cela implique qu’aucun composant spirituel mystérieux n’a été injecté à aucun moment durant le processus de notre émergence, et que nous n’avons aucun accès mystérieux a une conscience au delà de celle créée par l’accumulation de notre commune expérience de la nature. Et cela implique que les actions et relations humaines sont sujettes aux lois de causes et effets comme celles de n’importe qu’elle autre entité. Ce fut donc la prémisse philosophique du naturalisme.

Cette prémisse a été appelée par différents noms à différentes étapes de l’histoire : « monisme » pour la distinguer des diverses versions des dualismes établis « corps/esprit » et « ciel/enfer » ; « matérialisme » pour la distinguer de la croyance en un Esprit ou une Conscience transcendantale ; ou « naturalisme » en opposition à « surnaturalisme ». Dans tous les cas le concept de base a été le même, et il a toujours défié la sagesse conventionnelle de l’époque.

La seconde prémisse : le caractère distinct de l’humanité

La prémisse du naturalisme, bien qu’absolument nécessaire à la pensée humaniste, est, néanmoins, insuffisante en elle-même. Sa reconnaissance cruciale de l’enracinement dans la nature a permis aux pionniers de ce point de vue minoritaire de se focaliser sur une seconde prémisse. Cela a à voir avec le caractère distinctif de l’espèce humaine, jusqu’à présent le seul et unique animal ayant développé une conscience critique et une culture. C’est une source et une justification de l’emphase donné par l’humanisme à la signification de l’animal humain dans le schéma des choses – d’abord, dans son rôle de Connaisseur, et en second, comme Artiste et Évaluateur.

L’outil de la connaissance : la science

Les humanistes croient que nous les humains sommes à ce jour la seule espèce à avoir évolué la capacité de construire une connaissance fiable de notre environnement et de nous-même. Par conséquent nous n’avons plus besoin de nous appuyer sur des mythes de révélation d’en haut, ou des fictions sur de mystérieux messages intuitifs issus de forces inconnaissables et au delà de ce qui est accessible à l’expérience humaine. A la place, nous pouvons nous concentrer sur notre origine naturelle et sur l’utilisation d’instruments évolués pour observer et expliquer nos expériences et aussi pour valider ces explications : des instruments tels que la raison, le langage et les sens. C’est seulement par ces moyens que les humains ont construit des connaissances capables de prédire et, par conséquent, d’influencer le cours des évènements. Les autres prétendues sources de vérité nous ont invariablement conduit à de coûteuses erreurs, car, à la différence de la science, elles ne comprennent aucun mécanisme d’autocorrection. C’est pourquoi les humanistes modernes reconnaissent la science comme la meilleure méthode découverte à ce jour pour construire le savoir et valider sa fiabilité. Et c’est pourquoi nous insistons sur l’unité, l’universalité de l’approche scientifique comme moyen d’identifier les opérations de cause et d’effet – dans les conduites personnelles et dans les sociétés humaines aussi bien que dans les formes d’existence organiques et inorganiques. Nous comprenons que la science, au sens large et approprié, est simplement l’usage discipliné de la somme des capacités conceptuelles humaines: (1) dans l’observation et la comparaison des preuves de « ce qui est réellement arrivé » dans les situations historiques et expérimentales ; et (2) dans la construction d’hypothèses et les tentatives pour les tester et les falsifier selon une méthode préétablie, publique, de collecte de preuves et de leur communication. Cette première sorte de connaissances décrit les circonstances passées et présentes aussi précisément et objectivement que possible. La seconde sorte nous fournit les moyens d’exercer un certain contrôle sur le futur.Les propositions qui survivent ce processus scientifique d’investigation se sont montrées, au cours de l’histoire, être les fondations les plus fiables que nous, humains faillibles, étions en mesure de découvrir pour baser nos actions. Elles germent d’une approche de la connaissance qui a émergée de cette même capacité de manipuler les symboles qui mena à l’originalité de notre espèce. Ce fut une version primitive de ce même processus qui amena nos ancêtres à l’utilisation et au contrôle du feu, ainsi qu’à l’élevage et à l’agriculture. L’approche scientifique, donc, n’est pas simplement un affaire de goût pour les humanistes, devant être appliquée ou ignorer à discrétion. Elle est, au contraire, intégrale à l’humanisme, car elle découle nécessairement des prémisses qui nous gouvernent : le naturalisme et le caractère distinct des humains.

Les dérives

Il est vrai que, périodiquement, les fondations de notre mouvement ont été attaquées de l’intérieur par l’attrait temporaire du romantisme et du subjectivisme. Malgré cela il est toujours resté un noyau dur de porteurs du message de base : que c’est la méthode de l’investigation ouverte et auto-régulée qui définie et rend possible notre précieux héritage humaniste. Ces derniers étaient donc les gens qui réalisèrent que l’authenticité et la survie de la plante dépend de l’intégrité de ses racines. Ces attaques internes ont par le passé été menées par des humanistes auto-déclarés bien intentionnés, tels qu’Henri Bergson, Jean Paul Sartre, et même Erich Fromm : tous ont commencé comme des naturalistes philosophiques mais finirent par s’éloigner de l’approche de la science. La plupart furent séduit par l’appel des sirènes pour une entité autonome « intuitive » ou « vitale ». Ils avaient besoin de croire qu’un cœur spirituel de l’humanité, essentiellement mystérieux, s’y trouvait. Aujourd’hui la même mission subversive est entreprise par divers penseurs « postmodernes » et « nouvel âge », qui se réclament de l’humanisme pour des raisons sociales-politiques, ou parce qu’il se trouve qu’ils partagent notre passion pour la justice. Cependant, leurs croyances sur la nature, les sources et les justifications du savoir sont très différentes de celles à la racine de l’humanisme, et cette différence est cruciale.

La créativité

Les humanistes identifient un second aspect du caractère distinctif des humains : notre capacité créative. Nous croyons que l’évolution a donné à l’espèce humaine une imagination qui nous permet d’envisager des possibilités inaccessibles immédiatement dans notre expérience passée ou courante. C’est cette reconnaissance qu’on trouve derrière notre désir de célébrer la valeur des productions artistiques et imaginatives telles que l’architecture, la musique, la littérature et les arts visuels. Nous chérissons ces magnifiques créations qui ont enrichi la culture mondiale au travers des siècles. Nous les chérissons non pas parce qu’ils furent inspirés par quelque « esprit » transcendant – mais en tant que remarquable produits de l’imagination humaine. S’ils méritent notre révérence, c’est à cause de leur origine humaine et de leurs inévitables limitations – et non en dépit de ces dernières.

L’éthique

L’humanisme se concentre particulièrement sur la signification d’un troisième aspect du caractère distinctif des humains – la capacité morale de l’humanité. Par cela, nous voulons dire notre propension à acquérir des valeurs, de créer des idéaux, et de faire des choix : des choix qui opèrent pour diriger et former le caractère individuel, et, finalement, pour fournir une direction à la culture même qui en fut l’origine. Bien que notre souci d’éthique et de moralité soit partagé par tous les systèmes théologiques et philosophiques, nous différons de tous les autres dans notre croyance quant à la source et la justification – et les critères – des valeurs, des principes moraux et des lois. Nous croyons que ces derniers sont enracinés dans la totalité de l’expérience de la race humaine, de temps immémoriaux. Nous ne reconnaissons aucune autre source. Notre justification pour la moralité est le test de l’expérience – sur la plus longue période possible et sur le plus vaste territoire possible concevable qui sera touché par les vagues de conséquences issues de nos actions. Pour un choix particulier, notre critère ultime est le degré d’accomplissement personnel atteint (ou la qualité de vie sur la période) pour les individus et pour les groupes sociaux dont ils forment une partie intégrale. Ce critère implique un rôle central pour la justice, la gentillesse, et le pacifisme dans les affaires humaines. Nous ne voyons aucun conflit inhérent entre le bien-être du groupe et celui de l’individu. Aucune chose imposant un dommage à long terme au pool génétique humain ne peut être bonne pour l’organisme individuel condamné à porter ces gènes et à être formé par eux. Exactement de la même façon, aucune chose qui endommage une culture humaine sur le long terme ne peut être bénéfique à l’individu, car les identité individuelles sont crées par les interactions sociales, autant que les organismes sont créés à partir des interactions sexuelles. C’est la raison pour laquelle la liberté individuelle – bien que désirable à l’intérieur de limites – ne peut jamais être le critère ultime, pas même le principal, pour juger de la moralité. Personne ne peut recevoir la liberté de mettre en péril l’évolution de notre espèce, soit en endommageant l’environnement physique (y compris les autres formes de vie) qui déterminent finalement la nature de notre pool génétique, ou en polluant les cultures qui créent et élèvent notre être social. C’est précisément parce que nous reconnaissons le rôle critique de l’éthique dans l’évolution culturelle, qui désormais influence l’évolution organique, que ce sujet est absolument central à la philosophie de l’humanisme. Comme nous croyons que le futur de l’évolution (et donc de toute vie sur terre) est déterminé par les actions des humains plutôt que des dieux, nous sommes forcés de nous concentrer sur le besoin de valeurs et de directives valables, et pour des choix éthiques responsables. Nous ne pouvons pas faire autrement.

L’erreur politique

Les organisations humanistes ont fait de sérieuses erreurs en tentant de définir notre mouvement en termes politiques plutôt que philosophiques. Les problèmes auxquels l’humanité doit faire face sont bien trop complexes pour que nous supposions qu’un programme particulier (qu’il soit socialiste, populiste, libéral ou conservateur) soit la seule façon correcte de faire. Un engagement envers l’approche scientifique dans la quête de solutions moralement justifiables aux maux de la société implique une volonté d’évaluer et de modifier les moyens politiques de façon continue, à la lumière des nouvelles évidences acquises de l’expérience. Une telle approche ne garantit pas la « rectitude politique » ou la vérité éternelle. Arrêtons d’aliéner ces nombreux adeptes de la philosophie naturaliste qui trouvent nos positions politiques dogmatiques à la fois de mauvais goût et injustifiées. Je suis convaincue que ce seul changement dans notre approche résulterait dans une expansion rapide de notre nombre, avec un accroissement concomitant de notre cohésion en tant que groupe et de notre influence dans la société dans son ensemble.

Conclusion

Je soumets donc que l’humanisme moderne peut être compris seulement en terme des prémisses du naturalisme en tant que condition nécessaire. Cela implique aussi trois croyances additionnelles découlant de la prémisse majeure qui affirme l’origine commune de l’humanité et des animaux. Toutes les trois ont germé à partir du caractère distinct de l’espèce humaine à l’intérieur de cette nature commune. Elles ont à voir avec (1) l’emphase sur le processus de connaissance des humains et sur la priorité et l’universalité de l’approche scientifique comme moyen de construire le savoir ; (2) une appréciation des produits de l’imagination et des habilités techniques humaines ; et (3) une focalisation sans conteste sur l’éthique comme responsabilité unique de l’humanité. Les gens qui se sont engagés envers certaines mais pas toutes ces prémisses peuvent être considérés comme des compagnons de route, mais ils ne peuvent raisonnablement proclamer qu’ils possèdent la vision de l’humanisme moderne.

(*) Madame Pat Duffy Hutcheon a été nommée Humaniste de l’année 2000. Elle est sociologue. Elle est l’auteure de (entre autres):

– Leaving the Cave: Evolutionary Naturalism in Social-Scientific Thought, 1996- Building Character and Culture, 1999

– The Road to Reason, 2000

Les titres des sections sont un ajout du traducteur.

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