Bernard Cloutier
Co-fondateur de la Fondation humaniste et de l'Association humaniste du Québec
Bernard Cloutier (1933 -2011) est un ingénieur chimiste et administrateur québécois, qui a conçu et mis sur pied la Fondation humaniste du Québec et l'Association humaniste du Québec. Nous lui devons de bénéficier aujourd'hui du Centre humaniste de Montréal ou se tiennent nos activités.
Pourquoi adopter une devise
La promotion de la pensée critique et l’objectif de permettre aux brights et autres libres penseurs d’occuper la place qui leur revient dans la société ont été les principales motivations qui ont conduit à la création de la Fondation et de l’Association humanistes.
Or, il est apparu que la pensée critique pouvait facilement conduire à un tribalisme intellectuel du genre « nous-qui-avons-raison » contre « tous-les-autres-qui-ont-tort », si elle n’est pas accompagnée d’un effort conscient pour s’ouvrir aux autres comme nous voudrions qu’ils s’ouvrent à nous.
La devise « empathie et tolérance » résume le fond de la pensée humaniste et peut nous mettre en garde contre ce tribalisme intellectuel si nous nous donnons la peine de nous le rappeler souvent. Dans cette devise, empathie veut dire prendre la peine de s’imaginer dans les souliers de l’autre, il s’agit simplement d’un mouvement naturel envers les autres membres de notre espèce. Tolérance ne signifie pas assentiment ni respect, mais seulement non-agression envers ceux qui ne pensent pas comme nous.
Le tribalisme
Il est naturel et sain que des groupes sociaux se forment spontanément sur la base de ce que ses membres ont en commun, qu’il s’agisse de facteurs d’âge, d’activités, de culture, d’intérêts etc. Selon le dicton, « qui se ressemble, s’assemble ». Chaque membre du groupe se sent rassuré d’être « correct » par la présence des autres qui sont comme lui. Ce procédé conduit à des situations « gagne-gagne » où tous les participants bénéficient de leur collaboration mutuelle.
La formation de clans liés par le sang est inscrite dans les gènes de notre espèce car cela favorisait la survie de notre lointain ancêtre homo sapiens. Depuis lors, les clans se sont agglutinés en tribus, les tribus en nations et les nations en alliances pour le plus grand bien de tous alors que les conditions de vie de l’homme ont évolué pour devenir ce qu’elles sont aujourd’hui. Cette adaptation à la vie moderne se poursuit de façon positive par le renforcement librement consenti des liens unissant les pays de l’Union européenne.
Le tribalisme qui jadis était bon pour notre espèce est maintenant un obstacle à son adaptation à la vie moderne. Ceci est illustré de façon brutale par la tentative de domination mondiale dans laquelle sont engagés les États-Unis dans leur rôle d’apôtres de la démocratie. Le tribalisme est aussi un obstacle au développement en Afrique où le passé colonial a divisé le continent sans tenir compte des réalités ethniques et culturelles. Trop souvent, la politique consiste à s’assurer que sa tribu soit au pouvoir plutôt que de déterminer des objectifs nationaux sur lesquels une majorité de citoyens peuvent s’entendre. Ceci est typique du tribalisme du genre « nous-les-bons » contre « eux-les-pas-bons » où la cohésion du groupe dépend plus de ce qui l’oppose aux autres que des similarités à l’intérieur du groupe. En Afrique, ce tribalisme conduit directement au népotisme et à la corruption structurelle qui sont fatals au développement économique et culturel.
Nous ne viendrons pas à bout de sitôt de la mentalité négative « nous-les-bons » contre « eux-les-pas-bons » qui a été et est encore puissamment encouragée par les grandes religions. Pensez à l’expansion de l’Islam au 7e siècle, aux croisades au moyen âge, aux guerres de religion en Europe, à l’évangélisation forcée des indigènes durant l’époque coloniale, aux récentes guerres de religion aux Balkans et à l’actuelle montée de l’islamisme radical partout sur la planète.
C’est précisément à cause de cette mentalité, soutenue par la montée de la droite religieuse aux États-Unis et au Canada, qu’il est impensable de faire élire à aucun poste public un athée qui l’avoue dans ces pays. Il serait tentant de suivre leur exemple en prenant la position adverse, « nous-les-athées-qui-sommes-bons » contre « eux-les-croyants-qui-ne-sont-pas-bons », mais cela ne servirait qu’à nous faire paraître fanatiques et à nous marginaliser encore plus.
C’est pourquoi je pense que nous, les membres de l’Association humaniste du Québec, aurions intérêt à éviter le piège d’un tribalisme dépassé en concentrant notre attention sur ce qui nous rapproche à l’intérieur de notre groupe plutôt que sur ce qui nous distingue des autres.
Ce qui nous rapproche
Formellement, les principes portés à la page 7 de ce recueil et auxquels nous avons tous déclaré adhérer en devenant membres de l’Association humaniste du Québec sont ce qui nous unit dans la poursuite de nos objectifs communs.
Nous avons adopté les sept principes de la Déclaration d’Amsterdam rendue publique par L’Union Internationale Humaniste et Éthique en 2002 et nous y avons ajouté un premier qui précise sans ambiguïté notre rejet de l’hypothèse surnaturelle. En langage télégraphique, le premier déclare notre athéisme, le second affirme notre ouverture envers tous les membres de l’espèce humaine, le troisième base nos orientations dans la science, le quatrième prend position en faveur de la démocratie, le cinquième associe la responsabilité sociale à la liberté de conscience, le sixième rejette les religions dogmatiques et autoritaires, le septième affirme l’importance des arts et de la culture et le huitième résume les précédents en déclarant que l’humanisme vise le développement intégral de tous les membres de notre espèce.
Au moins aussi important que ces principes partagés, ce qui va assurer la cohésion et la croissance de notre groupe en pratique, c’est la multiplication d’activités conjointes qui correspondent à nos divers intérêts et qui attirent la participation de tous nos membres d’une façon ou d’une autre. Ainsi, chacun et chacune se sentiront « OK », acceptés, aimés et en sécurité dans le plaisir d’être ensemble
La substance de ce qui précède est bien exprimée par la devise « empathie et tolérance » qui veut dire chercher à se mettre à la place de chacun des membres de l’espèce humaine quelle que soit sa couleur, son origine ou ses croyances et faire un effort pour éviter d’agresser ceux dont les opinions diffèrent des nôtres.
Un programme
Souvent, les croyants qui pensent détenir la vérité absolue viennent à s’identifier à leurs croyances à tel point qu’ils se sentent menacés personnellement lorsqu’ils sont confrontés à des opinions contraires. La crainte d’être dans l’erreur, ce qui équivaudrait à une destruction personnelle, devient alors cause de conflits religieux et de guerres. L’infidèle ou l’hérétique doit être tué pour éliminer cette menace et pour s’assurer d’être reconnu par la divinité adorée, quelle qu’elle soit.
Comme humanistes, nous cherchons à élaborer nos valeurs et orienter nos vies selon la science plutôt que selon des dogmes. Cette approche ne permet pas le fanatisme. Nous ne prétendons pas détenir la vérité absolue et nous ne nous sentons donc pas menacés dans notre essence par des opinions contraires aux nôtres. Nous pouvons bien nous engager dans des débats vigoureux pour gagner des points pour notre ego et même entretenir de profondes rancœurs suite à des désaccords, mais jamais les humanistes qui ne prétendent pas détenir la vérité absolue ne seraient-ils tentés de tuer un adversaire pour valider sa perception de l’univers.
Prendre le temps de penser au sens de la devise « empathie et tolérance » peut nous aider à résister à la tentation de nous laisser aller à un tribalisme intellectuel qui fausserait l’orientation de notre mouvement. Nous devons puiser notre force non pas en contestant les autres, mais à l’intérieur de notre propre groupe en nous appuyant les uns les autres et en tolérant toutes les diverses façons de percevoir un univers sans éléments surnaturels. Voici quelques suggestions dans ce sens.
a) Évitons de critiquer les fondements des croyances des autres. Ce que les autres croient est leur responsabilité et ne devrait pas affecter ce que nous pensons nous-mêmes. Tenter de changer les croyances des autres est généralement futile, cela nuit au dialogue et conduit souvent à diverses formes d’antagonisme indésirable.
b) Au contraire, ne nous gênons pas pour critiquer les organisations religieuses mais limitons nos critiques à leur comportement social et politique. Chacun a le droit de croire à ce qu’il veut tant que ses croyances ne servent pas à réclamer des privilèges refusés aux autres.
Faisons un effort conscient de nous rappeler constamment que la position d’esprit étroit, « nous-qui-avons-raison » contre « les-croyants-qui-ont-tort » nous ferait paraître fanatiques, nous isolerait encore plus de la société et nuirait ainsi au mouvement humaniste.
Si la tolérance à l’égard des étrangers à notre groupe est essentielle pour éviter l’isolement et gagner la place dans la société que nous devrions occuper en fonction de notre nombre, la tolérance à l’intérieur du groupe est une condition nécessaire à l’objectif de rassembler une proportion assez grande des libres-penseurs pour pouvoir légitimement prétendre les représenter. Dénigrer des membres qui ne pensent pas exactement comme nous risque de détruire notre association en causant son éclatement.
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