Jean Delisle

Jean Delisle

Traducteur

Jean Delisle est un auteur, un professeur de traduction, un traducteur agréé, un terminologue agréé, un traductologue et un historien de la traduction canadien. Il a rédigé de nombreux ouvrages spécialisés concernant la traduction, notamment quant à l'histoire de la traduction et de la terminologie au Canada. Il est professeur émérite de l’Université d’Ottawa et également membre de l’Association humaniste du Québec.

La lettre suivante de Jean Delisle, qui a traduit la fameuse déclaration, a été envoyée à La Presse, au Devoir et au Droit. Sans succès.

La liberté de pensée et d’expression

La Déclaration d’Oxford

Les participants au Congrès humaniste mondial et à l’Assemblée générale de l’Union internationale humaniste et éthique ont adopté les 10 et 11 août dernier, à Oxford (R-U.), une déclaration sur la liberté de pensée et d’expression dans l’esprit de la Déclaration universelle des droits de l’homme. La version française intégrale de ce texte a été produite par l’Association humaniste du Québec*. Compte tenu de la pertinence de ce document ancré dans l’actualité, il nous est apparu important d’en exposer la substance aux lecteurs du Devoir.

« Partout dans le monde et de tout temps, peut-on lire dans le préambule, la liberté de pensée et la liberté d’expression se sont révélées essentielles à l’épanouissement de l’être humain, mais, à chaque génération, de nouvelles menaces ont mis en péril ces libertés fondamentales. »

En publiant la Déclaration d’Oxford, les humanistes témoignent de leur attachement indéfectible à la liberté individuelle et dénoncent les abus dont sont victimes un nombre grandissant de citoyens privés de leur liberté de conscience, de croyance, d’opinion et d’expression. « La liberté de pensée et de croyance est un seul et même droit »,inhérent à la dignité humaine. En conséquence :

            « Nulle part on ne peut forcer quiconque à adopter ou à abandonner une croyance. […] Contraindre des individus à se soumettre à des idéologies officielles ou à des doctrines religieuses est une forme de tyrannie. […] »

Les exemples de tels abus abondent et font les manchettes : persécution des chrétiens ou des Yazidis en Iraq, conversion forcée des lycéennes nigériennes par les islamistes du groupe Boko Haram, siège du village d’Amerli (Iraq) visant à affamer les villageois pratiquant une religion différente de celle des villages environnants, assimilation des athées à des terroristes en Arabie saoudite, emprisonnement et exécution des apostats en Iran, etc. Triste actualisation de l’injonction médiévale « crois ou meurs ».

            « Le droit à la liberté d’expression a une portée planétaire. […] Aucun chauvinisme nationaliste ni aucun sentiment d’insécurité nationale ne doivent priver l’ensemble de la communauté humaine des bénéfices qu’offrent les nouvelles technologies, les grands moyens de communi­cation, les médias sociaux et l’accès personnel aux réseaux d’échange transnationaux. […] »

Censurer les grands moyens de communication moderne, comme le font les régimes autoritaires, va à l’encontre de la liberté d’expression, du droit à l’information et de l’accès à la connaissance.

            « Ne pas être exposé à des propos offensants ou à des opinions contraires aux siennes n’est pas un droit. […] Exprimer son opposition à des croyances, y compris sur le ton de la satire et de la moquerie ou en les condamnant sous quelque forme ou dans quelque média que ce soit, fait partie du discours critique. […] La meilleure façon de faire connaître son désaccord envers un point de vue que l’on ne partage pas est d’exposer le sien. La violence et la censure ne sont jamais des réactions légitimes. […] »

 

Sont visés ici l’épisode des caricatures de Mahomet et les lois anti-blasphème. Mais il faut y voir également une critique envers les pays qui cherchent à faire reconnaître par les instances internationales, dont l’ONU, le concept de « diffamation des religions » dans le but exprès de criminaliser le blasphème et d’inscrire ce « crime » dans le droit international. Cette initiative heurte de front la liberté d’expression, au cœur de toute démocratie digne de ce nom.

La critique d’une religion est parfaitement légitime dans un pays démocratique. Une société laïque garantit la liberté de culte, mais garantit aussi l’indiffé­rence en matière de religion. Les théocraties, en opposant un barrage systématique à la laïcité, sont des sociétés fermées. La charte du Hamas stipule que « l’idée laïque, qui signifie la non-religion, est incompatible avec l’idée religieuse ». Cette fermeture à la laïcité est une position idéologique contraire à l’esprit humaniste.

            « Un État ne doit pas restreindre la liberté de pensée et d’expression simple­ment pour éviter que le gouvernement fasse l’objet de critiques. Les États qui considèrent comme un crime le fait de critiquer les politiques gouvernementales ou les leaders du pays, et qui voient dans cette critique des actes de trahison ou de sédition, voire une menace à la sécurité nationale ont à leur tête des tyrans qui recourent à la censure et exercent le pouvoir en fonction de leurs seuls intérêts. […] »

Il ne manque pas d’exemples de régimes où la liberté d’expression est ainsi bafouée. Même une société démocratique n’est pas à l’abri de telles dérives anti-démocratiques lorsque l’idéologie et les intérêts des détenteurs du pouvoir prennent le pas sur les valeurs démocratiques d’ouverture, de transparence et de responsabilité.

            « La liberté de croyance est absolue, mais une croyance ne confère pas pour autant une liberté d’action absolue. […] La liberté de croyance ne saurait légitimer le non-respect des lois fondées sur les principes de non-discrimination et d’égalité. […] »

Aucune tradition religieuse, aucune croyance ne saurait justifier la discrimination, que celle-ci soit raciale, religieuse, sexuelle, homophobe ou autre. Croire ne donne pas tous les droits.

Après avoir rappelé ces quelques grands principes humanistes, les délégués réunis à Oxford ont exhorté les gouvernements à faire la promotion de ces valeurs pour le plus grand bien de l’humanité.

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* http://assohum.org/category/actualites/

 

Jean Delisle,

Gatineau

Membre de l’Association humaniste du Québec

http://artsites.uottawa.ca/jdelisle/

3 Commentaires

  1. Rene Aubut

    « Je suis de ceux qui considèrent la religion comme étant incompatible avec la démocratie » dit l’intégriste religieux.

    « Je suis de ceux qui considèrent la religion comme étant incompatible avec la démocratie » dit l’athée démocrate.

    Pour une fois, on est d’accord.

    Pourtant, il est clair que ces deux là s’opposent. C’est parce que le fond du débat est ailleurs que dans la foi religieuse. Ce débat est politique. Que les croyants se rassurent! Leur foi n’est pas menacée par la démocratie mais bien par la politisation de la religion.

    La « sphère » temporelle est un lieu de débat sans fins. Qu’on se le tienne pour dit. La paix religieuse n’est possible que dans l’intemporalité.

    Autrement, le « clash » des valeurs religieuses est inévitable. C’est cette inéluctable réalité qui est à la base de la laïcité. Et la démocratie, elle, est la réponse à l’autoritarisme, à la tyranie. La laïcité et la démocratie vont de paire comme la paix et la liberté.

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    • mvirard

      Oui, toutefois la démocratie, toute nue, est insuffisante à protéger les minorités religieuses. La laïcité est justement ce moyen fondamental d’empêcher qu’une (ou une coalition de plusieurs – comme au Canada) religion s’empare abusivement du pouvoir à son seul profit et l’utilise pour étendre son empire.

      Michel Virard

      Réponse

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