par Lorraine Camiré et Khedoudja Ait-Tahar, enseignantes membres de la FAE
 
à M. Sylvain Mallette, président
 Fédération autonome de l’enseignement (FAE)
 
Nous sommes professeures à l’école Joseph-François-Perrault, école multiculturelle du quartier St-Michel de Montréal. Quand nous lisons dans les journaux que la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) rejette l’interdiction des symboles religieux ostentatoires en s’opposant farouchement à ce que le gouvernement les interdise chez les enseignant-es, les cheveux nous dressent sur la tête ! Comment la FAE a-t-elle pu à son congrès de juin 2013 s’éloigner à ce point de sa base ?
 
Une démocratie tronquée
 
Nous pensons qu’il faut remettre en question le procédé de vote libre au congrès qui a reproduit les graves manques de la démocratie représentative que les syndicats reprochent souvent à nos élus politiques. La démocratie participative aurait été un bien meilleur processus « démocratique » : les délégué-es auraient au moins eu à respecter les mandats issus de la base. Comme chaque délégué-e pouvait alors voter comme bon lui semblait et non pas selon des mandats précis, notre syndicat a alors été entraîné dans les dérives du modèle de la démocratie représentative. Un enjeu aussi gros que le port des signes religieux ne pouvait qu’attirer au congrès un certain nombre de délégué-es qui avaient un autre agenda politique que celui de représenter le plus démocratiquement possible les enseignants et enseignantes de la base. Les délégué-es étaient alors susceptibles de subir toutes sortes d’autres influences que celle des gens qu’ils et elles sont supposé-es représenter.
 
On a vu le résultat. La volonté des membres telle qu’elle s’était manifestée dans la grande consultation qui a précédée n’a pas été respectée. C’est près de 78% des personnes sur 2000 répondant-es qui s’étaient prononcées contre les démonstrations d’appartenances religieuses. Que s’est-il passé au Congrès pour que vous arriviez à vous permettre d’affirmer que la FAE « s’oppose farouchement » ? Il s’agit là pour nous d’une manipulation de la réalité et d’une réelle désinformation. En tant qu’enseignantes syndiquées à la FAE, nous sommes en droit d’exiger des explications au sujet d’un enjeu de société aussi important que celui-là !
Quand on constate que la proposition adoptée lors du congrès de juin 2013 visant à ce que la FAE défende le droit acquis des personnes qui portent des vêtements et accessoires ayant une connotation religieuse ou culturelle a été acceptée à 113 voix contre 108, a-t-on le droit de conclure que la FAE a le devoir de s’opposer « farouchement » et « vigoureusement » à une interdiction du port de signes religieux par les employé-es de l’État ? Non ! De plus, M. Mallette, vos propos, qui laissent croire qu’il faille absolument respecter le droit aux signes religieux sinon ce sera une menace à l’emploi, ne reposent sur aucune étude sérieuse. À ce sujet, nous vous invitons plutôt à vous abreuver au Plan d’action des États généraux sur la situation des femmes immigrées et racisées produit par la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI). Dans ce document remarquable qui présente les nombreuses solutions pour favoriser l’intégration à l’emploi, il est important de remarquer qu’aucune demande d’accommodements religieux n’était apportée pour intégrer les femmes immigrantes et racisées.
 
L’urgence d’un référendum
 
Alors, nous nous adressons à vous, M. le président de notre syndicat. Vous devriez remettre les faits en perspective. Parler de résultats très serrés soit, mais certes pas d’une opposition farouche. Nous demandons que notre syndicat se prête le plus rapidement possible à un exercice de consultation plus représentatif pour connaître exactement l’opinion claire et précise de tous les membres. Il est urgent de procéder à un référendum auprès des membres sur le port de signes religieux chez les employé-es de l’État. Qui sommes nous, nous direz-vous, pour exiger cela ? Nous sommes la « base », celle que l’on bafoue depuis le début dans ce débat. Cette base sur laquelle on fait peser des insinuations de xénophobie et de fermeture à l’autre, alors que nous sommes tout simplement des Québécois et des Québécoises qui voulons continuer le processus de déconfessionnalisation amorcé avec la Révolution tranquille.
 
Avec la position adoptée au congrès au sujet du port de signes religieux ostentatoires et que vous voulez défendre « farouchement », on se retrouve devant un projet de société incohérent et qui menace la paix sociale. Un projet de société incohérent, car on ne peut affirmer la laïcité des institutions publiques tout en acceptant que ses employés puissent porter des signes religieux. En fait, cela ne fera que nourrir la xénophobie. Cela ne peut aucunement favoriser la paix sociale, car cela irrite ceux qui ont renoncé à leurs privilèges religieux et encouragera le profilage ethnico-religieux informel.
Pire encore, avec cette position nous oublions l’essentiel dans ce débat, à savoir que les vraies victimes sont, par exemple, les petites filles de 12 ans voilées ici au Québec. C’est à elles que nous pensons ! C’est vers elles que nous dirigeons notre compassion, pas vers des adultes qui mettent au premier plan leurs droits individuels sans penser aux répercussions que cela peut avoir sur nos enfants. Nous souhaitons que les intervenantes de première ligne que sont les enseignantes et les éducatrices puissent offrir à ces enfants, soumis aux dictats extrémistes, une soupape pour accueillir leur détresse le cas échéant ! Nous souhaitons que les femmes adultes du Québec qui subissent les pressions de leur milieu aient un espace où elles peuvent retirer les représentations ostentatoires de l’infériorisation de la femme. Pour les autres qui clament leur libre choix, nous disons d’arrêter de jouer aux victimes, car ce projet de loi sur la laïcité ne touchera ni l’espace public ni l’espace privé ! À ce que nous sachions les catholiques et les protestant-es continuent toujours d’avoir le droit de pratiquer leur religion ! Il en sera de même pour les autres communautés.
 
Pour toutes ces raisons, nous nous inscrivons en faux contre le recul que la FAE fait subir à la société québécoise ainsi qu’au mouvement d’émancipation des femmes ! Nous qui avons sorti les symboles religieux catholiques des écoles, nous qui avons consenti à abandonner nos privilèges constitutionnels en 1997 avec des commissions scolaires linguistiques et non fondées sur la religion, notamment pour permettre l’intégration et respecter la diversité ! Eh bien nous trouvons injuste cette conception d’une base qu’on accuse trop souvent d’être réactionnaire et frileuse.
 
Tout au contraire, nous nous identifions à un projet de société diversifiée, socle d’une société nouvelle qui a su aménager un espace commun neutre. Sur ce socle sera érigé un modèle exemplaire d’intégration et de respect des valeurs de toutes et de tous. Comme l’a si bien dit Yolande Geadah*, nous aurons tous droit à la différence, mais non à la différence des droits. En découvrant vos propos, M. Mallette, nous ne nous sentons pas du tout respectées dans ce processus dit « démocratique » ! Vous ne nous représentez pas ! Du moins, pas tant qu’un référendum sur le sujet du port de signes religieux ostentatoires dans les écoles ne soit organisé et que ses résultats nous révèlent les vraies positions des membres de notre syndicat ! Aurez-vous ce courage M. Malette ? Celui de respecter votre base !
 
* Yolande Geadah, Accommodements raisonnables. Droit à la différence et non différence des droits, VLB éditeur, Coll. Partis pris actuels, Essai, 2007, 96 pages.
Lorraine Camiré et Khedoudja Ait-Tahar, enseignantes membres de la FAE

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