France Bédard

France Bédard

fondatrice de l’Association des victimes de prêtres et personne-ressource auprès de victimes.

 

Nous parlera de sa poursuite en appel, actuellement en cours, et de son vécu comme victime de prêtre,

Bonjour à tous et merci d’être là. Merci au Mouvement laïque québécois et à M. Pierre Cloutier qui m’a invité à m’adresser à vous ce soir.

Merci également à mes collaborateurs au sein de l’Association des victimes de prêtres qui est le fruit d’un travail d’équipe. Sans leur aide je ne pourrais pas continuer. À mes collaborateurs un gros merci.

Merci enfin à mon mari, Gilles Boyer, qui a toujours cru en moi et dont l’amoureuse confiance m’a soutenue pendant tant d’années.

Quand j’ai accepté de prendre part à cette conférence, j’y ai vu l’occasion d’un partage. Comme l’indique le documentaire, ma démarche personnelle s’est amorcée à partir d’un moment déclencheur : la poursuite intentée par Nathalie Simard contre Guy Cloutier. Fin mai 2005, Nathalie Simard a intenté une poursuite en dommages intérêts de 1,2 millions de dollars contre son ancien impresario et la firme au sein de laquelle il gérait sa carrière, Novem Communications.

Cette poursuite a marqué un point tournant dans l’histoire récente du Québec, dans ce que j’appellerai l’histoire de l’oppression sexuelle de la jeunesse au Québec. Elle a marqué le début d’une prise de parole. Elle a marqué le début de la dénonciation devant les tribunaux d’une oppression qui était le secret le mieux gardé du milieu du spectacle, tout comme de l’Église québécoise. Elle a marqué la fin du silence sous lequel avaient été jusque là englouties et dissimulées les mille misères infligées à des enfants, à des jeunes gens par des prédateurs qui tiraient leur jouissance d’une relation de pouvoir tyrannique, profondément illégitime, odieuse et toxique et qui doit être interdite à tout être humain dans un pays libre et démocratique.

Cette relation de pouvoir, des jeunes en ont été victimes, mais comme l’actualité récente nous l’enseigne, elle n’a pas opprimé que des jeunes femmes, je voudrais le souligner. Voyez le scandale du Collège Notre-Dame, tenu par les Frères de la congrégation de Sainte Croix et plus récemment, celui de l’Institut des sourds muets. Dans mes dossiers, j’utilise un code couleur : rose pour les filles et bleu pour les garçons. Le bleu ressort visiblement. C’est non seulement la féminité, mais aussi la virilité de toute une génération montante qui ont été outragées, foudroyées par cette inconduite. Or, dans une société, l’attitude envers l’enfant, envers la jeunesse, traduit l’attitude envers la vie. Le combat de l’Association des victimes de prêtres est un combat pour la vie. C’est l’exemple de Nathalie qui m’a démontré que cette bataille pouvait être gagnée

Quand j’ai entrepris ce combat, je savais que le défi était énorme, mais ma détermination était grande. Quand j’ai pris pleinement conscience de ce que j’avais vécu et des conséquences des événements que vous avez vus dans le documentaire sur ma vie, je me suis posé la question : qu’est-ce que je fais maintenant avec tout cela? J’étais à la veille de la soixantaine. Ma vie était assez avancée.

Même si je n’avais plus vraiment d’intérêt à vivre pour vivre, au quotidien, je n’étais pas une personne suicidaire. Je me suis dit c’est trop gros, trop grave et trop important!, il faut que mon expérience serve à quelqu’un. Je n’ai pas vécu cela en vain ! Et je savais que je n’étais pas la seule à qui c’était arrivé.

J’ai ressenti la responsabilité d’aider d’autres personnes qui n’ont pas eu la chance que j’ai eue : avoir la santé physique et mentale… et être appuyé par sa famille (mon mari et mes enfants). Avec ma famille, en 2008, j’ai pris la décision de rendre mon histoire publique. J’avais enfin vaincu la culpabilité, la honte et la peur qui m’avaient habitée pendant 40 ans.

Fonder une association était le meilleur moyen de rejoindre d’autres victimes et de montrer à tout le monde comment les autorités religieuses traitaient les personnes victimes d’agressions sexuelles commises par les membres du clergé.

Je viens d’une famille dysfonctionnelle. Ma mère a été fragilisée par une grave maladie dans son jeune âge. Mon père a été marqué par une éducation oppressive et matriarcale qui l’a amené à haïr les femmes. Il ne m’a jamais aimée. Ce sexisme agressif a été la tragédie de ma jeunesse. Mon milieu familial n’a offert ni soutien, ni protection réelle à la jeune fille que je devenais. Une seule chose comptait : sauver les apparences dans une petite localité où tout le monde se connaît et les ragots vont bon train. L’expression la plus innocente, la plus normale de ma féminité – un soupçon de maquillage – était suspecte. Toute jeune, j’étais comparée à une putain. Mon frère aîné le disait avec mépris et mes parents ne réagissaient pas, ne sévissaient pas comme ils auraient dû le faire. J’étais déshonorée par nature.

Pour moi, ces paroles m’envoyaient le message : la femme est un être négatif, tentateur. Elle est tentation sexuelle, donc coupable de naissance. Comme le raconte la mythologie biblique, elle est Ève qui tente Adam, elle est responsable de la chute de l’homme. Ainsi, le soir où j’ai été violée, je me suis sentie comme Ève : la tentatrice responsable d’avoir fait tomber un prêtre. J’avais tout perdu ; mon honneur et ma valeur. Ma vie a basculé. Mon existence tout entière n’était que culpabilité, honte et peur.

La violence familiale que j’ai vécue, m’avait fragilisée. J’étais dans un état de vulnérabilité et de détresse absolues. J’étais seule et abandonnée. Le vicaire Armand Therrien le savait. Il en a profité pour abuser de son pouvoir, de son prestige, de son autorité comme ecclésiastique, en me manipulant. De fait, en me prenant de force. Au fil de notre liaison, qui alliait contrainte et séduction, je suis devenue enceinte. Dès que l’inévitable déshonneur des familles est survenu… la plus vieille histoire du monde… il ne m’a jamais aidée. Sa seule « aide » consistant à me suggérer l’avortement à demi-mots, ce que j’ai refusé. J’ai accouché seule, sans l’assistance de mon père ou de ma mère, àla Miséricorde. L’enfant pesait neuf livres. Une césarienne aurait été préférable. J’étais mineure. Mes parents n’étaient pas là pour l’autoriser. L’accouchement fut long et très difficile. Ma convalescence a duré 15 jours.

Un mois plus tard, j’ai pris la difficile et douloureuse décision de signer les papiers d’adoption. Je l’ai fait pour offrir à cet enfant que j’aimais une vie que j’espérais meilleure, car trop de violence l’attendait dans notre famille.

Cette décision de confier mon enfant à l’adoption m’enlevait le droit de me considérer comme une bonne mère, seconde dimension de ma féminité (c’est du moins ce que j’ai ressenti à l’époque). En 1996 j’ai retrouvé mon fils grâce au mouvement Retrouvailles. C’est un organisme sans but lucratif qui favorise la réunion d’enfants adoptés et de leurs parents biologiques. Ce fut un moment extraordinaire. Toutefois, j’ai été déçue d’apprendre que mon premier garçon n’avait pas été adopté par une famille où il aurait pu trouver sa juste part de bonheur, comme j’avais souhaité et demandé à Dieu en qui j’avais confiance.

Ce qui m’a aidé à survivre après l’adoption de l’enfant c’est la confiance que j’avais alors en Dieu. J’étais persuadée qu’il veillait sur lui. En découvrant tous les malheurs qu’avait vécus mon fils, quand nous nous sommes retrouvés, je me suis senti trahie par ce Dieu qui s’était révélé ni bienveillant, ni tout puissant au bénéfice des plus faibles. Mais il fallait que je poursuive ma vie, car j’avais un rêve : fonder une famille qui soit un lieu de bonheur, une famille digne de ce nom.

Oui, je croyais encore que c’était possible ! Et, au fil des ans, j’y suis parvenue.

Ma seconde vie a fait de moi un membre de la classe moyenne, pour ainsi dire. Auxiliaire familiale et sociale, j’ai fait carrière dans un CLSC. J’ai un mari et trois enfants : deux filles, l’une ayant une formation en droit, l’autre qui est infirmière. Mon fils est pompier. Voilà, aujourd’hui, à l’heure où je vous parle, quel est mon petit bilan. J’ai bon espoir qu’il dégage une valeur ajoutée. Et le bonheur en prime.

Mais revenons un peu en arrière. Aux années plus noires. J’ai longtemps essayé d’oublier en niant ce qui m’était arrivé. J’ai enfoui au plus profond de mon être ce secret que j’ai étouffé. Mais à chaque jour, des souvenirs me revenaient. J’ai vécu 40 ans dans cet état, dans ce déni, dans ce refoulement, jusqu’en 2005.

 

En novembre 2005 j’ai déposé une plainte à la Sûreté du Québec. L’agresseur Armand Therrien a tout nié. Un test d’ADN, qu’il a refusé mais qu’il a dû subir, a confirmé sa paternité. Toutefois, ce prêtre est décédé avant son procès au criminel.

En 2007 : j’intente une poursuite contre l’archevêché et la succession d’Armand Therrien au civil. Ce procès au civil a eu lieu en 2011. La justice est lente et son verdict, incertain.

Janvier 2012, décision de la Cour supérieure : l’action est rejetée à cause du délai de prescription de 3 ans. Selon la décision de la Cour, il n’a pas été démontré que j’étais dans l’impossibilité d’agir plus tôt pour intenter une poursuite. Dans sa décision, le juge Édouard Martin admet que j’ai été séduite par le vicaire Armand Therrien et qu’un enfant est né. Le juge mentionne aussi que j’ai subi une injustice grave. Comme le jugement présente des erreurs de droit, je porte actuellement ma cause en appel.

Au cours de ce procès, j’ai pu observer à travers les avocats de l’archevêché l’hypocrisie de cette institution : l’Église catholique. Le premier souci de l’institution est de sauvegarder l’image de la Sainte Église apostolique et romaine. Leur seule préoccupation est de protéger les prêtres… par tous les moyens, toutes les astuces, tous les faux-fuyants que la loi met à leur disposition. Les prêtres pédophiles, sont défendus par des avocats qui pratiquent des tarifs de 500 – 600 dollars l’heure et pour qui tous les procédés sont bons. Les témoins experts ratissent et passent au peigne fin les antécédents professionnels, médicaux et personnels de la victime, remontant dix, vingt, trente ans en arrière à la recherche d’éléments incriminants. Quant aux victimes, elles sont discréditées, abandonnées. Les avocats font tout pour les affaiblir, pour les avoir à l’usure, pour qu’elles laissent tomber. Leur bonne foi est démentie. Les avocats du clergé nient et banalisent ce que les victimes ont vécu. Ils remettent en question leur intégrité morale. Ils leur font un procès d’intention. Ils se livrent à un chantage à la pitié au bénéfice de notre Sainte Mère l’Église, toujours calomniée, toujours martyrisée, alors qu’elle ne propose… que l’amour universel d’un Dieu crucifié. Le croirez-vous, ils imputent même aux victimes le tort de ne « vouloir que se venger »… Comment osez-vous, Madame, Monsieur vouloir vous venger ?!? Comme si c’était une bassesse de plus, alors qu’elles réclament justice, ce qui est le premier de leurs droits, tandis que le premier devoir de la Cour, dans une société démocratique, est de leur accorder réparation.

Depuis ma sortie publique, depuis la fondation de l’association, j’ai pris conscience du fait que j’avais transformé toutes les misères que j’avais connues pour en tirer un trésor d’énergie positive, en utilisant cette énergie pour aider d’autres personnes. J’ai découvert la meilleure des thérapies : oeuvrer au bénéfice de mes semblables. Quand j’ai le sentiment d’aider quelqu’un à travers ce que j’ai vécu, j’éprouve un plaisir et un grand moment de plénitude. J’ai le sentiment du devoir accompli. Actuellement ce qui m’aide le plus est de penser que je suis toujours dans l’action, que tout n’est pas dit et que ce n’est pas terminé pour moi. Ma vie a un sens, tant que je puis me battre pour d’autres victimes. Je vous remercie de l’appui que vous apportez aujourd’hui à cette belle entreprise, car le travail ne manque pas.

L’association oeuvre actuellement pour que le délai de prescription soit aboli au Québec, comme il l’est dans les autres provinces. Ce délai est l’ultime refuge de l’abuseur d’enfant. Il porte ses avocats à faire traîner les procédures en longueur jusqu’à ce que la cause devienne caduque.

Depuis 2008, il y a eu la cause de Shirley Christensen et plusieurs recours collectifs :

  • les Frères Ste Croix du Collège Notre Dame, du Collège de St Césaire et de l`école de Pohénégamook
  • les Rédemptoristes du Séminaire St-Alphonse de Ste-Anne de Beaupré
  • l’Institut des sourds des Clercs St-Viateur de Montréal et le Collège de Rigaud

… et d’autres encore.

Bref, mille tâches sont devant nous. Et nous devons retrousser nos manches. Au Québec, l’opinion publique évolue rapidement et la déconfessionalisation des écoles, le fait qu’on y trouve de moins en moins de clercs exerçant des fonctions pédagogiques, est en partie due à notre action. La réunion de ce soir nous aidera tous à faire avancer les choses. Car je sais que dans vos familles, parmi votre cercle d’amis et de connaissances, auprès de votre réseau professionnel, auprès de la presse et des médias, et même auprès des autorités politiques – votre député… surtout s’il est ministre – vous saurez jouer le rôle de véritables leaders d’opinion, en qualité d’humanistes, pour faire avancer la cause de la justice en faisant entendre votre voix.

Merci de votre amicale attention.

 

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