Daniel Baril

Daniel Baril

Daniel Baril a été journaliste à l’hebdomadaire Forum de l’Université de Montréal pendant près de 23 ans. Il est actuellement président du Mouvement laïque québécois (par intermittence pendant deux décennies) et a été également membre du conseil d’administration de l’Association humaniste du Québec. Il est le cofondateur du groupe Les Intellectuels pour la laïcité et co-rédacteur de la Déclaration pour un Québec
laïque et pluraliste. 

Je vous invite à prendre connaissance de ce texte de Daniel Baril, publié dans Le Devoir du 20 août. Daniel est membre de l’Association humaniste du Québec et membre de notre conseil d’administration.

Je n’ai pu m’empêcher de sourciller, lors de la cérémonie de clôture des Jeux olympiques, en entendant les chroniqueurs sportifs Guy D’Aoust et Marie-José Turcotte se féliciter de la participation de la Saoudienne voilée Wojdan Shahrkhani à la compétition de judo. Avec elle, sa compatriote Sarah Attar a pu courir le 800 mètres la tête couverte d’un hidjab, et l’équipe féminine iranienne de soccer a pu concourir vêtue du voile islamique.

S’il y a lieu de se réjouir de la première participation de femmes d’Arabie saoudite aux Jeux olympiques, les conditions de cette participation n’ont rien d’émancipateur contrairement à la vision à courte vue défendue par plusieurs.

Pour bien juger de la chose, il faut se demander ce que gagnent les femmes des pays islamistes à la participation d’une vingtaine de femmes voilées à des événements internationaux comme les Olympiques, ce que gagnent les régimes islamistes qui les y envoient, et ce que perd l’ensemble des femmes de la planète à voir ainsi affiché l’un des symboles les plus ostentatoires de l’infériorité dans laquelle ces mêmes régimes cherchent à les maintenir.

Émoussement des valeurs

Il est pour le moins paradoxal de voir un signe d’émancipation dans la présence de Saoudiennes voilées alors que leur pays, qui applique la charia, ne leur accorde ni le droit de vote, ni de conduire une voiture, ni de travailler librement, ni de se livrer à des compétitions en public et ni même d’y assister ! Et nos chroniqueurs ont oublié de mentionner que Sarah Attar devait s’entraîner aux États-Unis, que Wojdan Shahrkhani devait en tout temps être accompagnée et surveillée par un homme de sa famille et éviter de se trouver en contexte de mixité.

Les femmes saoudiennes n’ont ainsi absolument rien gagné à la participation de la judoka et de la coureuse, et elles n’auraient rien perdu si le Comité international olympique (CIO) avait maintenu sa décision initiale de refuser ce signe à la fois religieux et misogyne. Tout au plus, deux sportives auraient été privées d’un billet gratuit pour Londres.

Il est évident que l’Arabie saoudite n’a pas envoyé Shahrkhani et Attar à Londres pour montrer au monde qu’elle s’ouvrait à l’égalité des sexes. Ce pays envisage d’ailleurs de construire des villes entièrement réservées aux femmes afin qu’elles puissent y travailler sans jamais avoir à côtoyer d’hommes !

L’Arabie a plutôt réussi à infléchir les organisations sportives internationales en imposant ses conditions et ses valeurs religieuses à l’ensemble de l’univers du sport. L’instrumentalisation des Jeux olympiques à cette fin devient ainsi un autre symbole de l’émoussement des valeurs républicaines et universalistes vers lesquelles tendaient les Jeux. L’islamisme politique continue ainsi son avancée dans les organisations internationales en se drapant d’une vision chimérique des droits de la personne.

L’aspect émancipateur de telles rencontres internationales est réduit à néant parce que la supposée ouverture consentie aux femmes se fait en maintenant toutes les contraintes religieuses ou machistes qui bloquent leur accession à l’égalité. Le même constat peut être fait pour le voile en milieu de travail.

Accrocs à la Charte olympique

Cette participation de femmes voilées ne s’est faite qu’au prix d’accrocs majeurs à la Charte olympique, une charte d’inspiration nettement laïque. Au chapitre 1 (2.7), on peut lire que « le rôle du CIO est d’encourager et de soutenir la promotion des femmes dans le sport […] dans le but de mettre en oeuvre le principe de l’égalité entre hommes et femmes ».

Au chapitre 4 (27.6), on souligne que les comités nationaux olympiques « doivent résister à toutes les pressions, y compris les pressions politiques, juridiques, religieuses ou économiques qui pourraient les empêcher de se conformer à la Charte olympique ».

Enfin, au chapitre 5 (51.3), la charte stipule qu’« aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique ».

« Les Jeux doivent rester apolitiques et areligieux », avait d’abord déclaré Lassana Palenfo, chargé par le CIO de gérer les demandes de pays musulmans. Mais le CIO fait en même temps pression sur les associations sportives pour qu’elles accroissent la participation des femmes. Cette pression, et sans doute celle des pétrodollars, a eu raison des autres principes.

Pour justifier sa position, le CIO l’a présentée comme un accommodement respectant « les sensibilités culturelles », un argument repris chez nous par les tenants de la « laïcité ouverte ». Pourtant, c’est bien au nom de la religion, et non de la culture, que cette exigence du hidjab était réclamée.

Toilettes pour musulmans

Une telle exigence ne vient jamais seule. Déjà, en 2006, la Commission islamique des droits de l’Homme demandait que la date des Jeux de Londres soit reportée parce qu’elle coïncidait avec le ramadan ; cela allait donc désavantager les musulmans qui, pendant cette période, s’interdisent de boire et de manger entre le lever et le coucher du soleil. Le CIO n’a heureusement pas obtempéré, du moins pour cette fois.

Ce n’est pas la plus invraisemblable des demandes des islamistes. Le quotidien britannique Daily Mail nous apprenait que des toilettes spéciales ont été aménagées afin que les musulmans soient assurés de ne pas être dans la direction de La Mecque lorsqu’ils satisfont leurs besoins naturels, tel que le prescrit le Coran. Combien de musulmans se soucient de cette prescription lorsqu’ils louent un appartement ou achètent une maison ?

Le principe fondamental de l’olympisme est de « mettre le sport au service de l’humanité ». Si l’on cherche à concilier ce principe avec un mode de vie qui met la société tout entière au service de la religion, la collision est assurée.

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Daniel Baril – Militant laïque et libre penseur

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