Jocelyn Parent

Jocelyn Parent

Membre de l'association humaniste

Jocelyn est l’auteur également des livres Histoire de la laïcité au Québec; Avancées et reculs » et aussi « Qu’est-ce que la laïcité? Le Quévec laÏque a-t-il fait le choix ce la laïcité ouverte?

Ces deux volumes sont disponible dans notre boutique humaniste.

La laïcité au Québec.

Réalité et Enjeux des années 80 à 2000.

La Laïcité au Québec – Première d’une série d’entrevues parue dans le Journal Unité ouvrière et  réalisées par Jocelyn Parent

Bonjour M. Baril.

Vous êtes militant de longue date pour la laïcité au Québec et êtes membre du Mouvement laïque québécois (MLQ), fondé en 1981 et issu de l’Association québécoise pour l’application du droit à l’exemption de l’enseignement religieux (AQADER). Par le passé, vous avez exercé diverses fonctions au sein du MLQ, dont celle de Président, et êtes maintenant conseiller national. Aussi, vous êtes l’auteur de quelques livres critiques des religions, pensons à La Grande Illusion (MultiMondes, 2006) et Les mensonges de l’école catholique (VLB, 1995). Récemment, vous avez participé à la coréalisation de la parution Heureux sans Dieu, avec Normand Baillargeon. Vous allez nous parler des avancées de la laïcité québécoise depuis les années 1980…

Depuis que la Constitution canadienne a été rapatriée en 1982, et de l’insertion par Pierre Elliott Trudeau du multiculturalisme dans celle-ci, quelles ont été les répercussions –négatives et positives− pour le vivre-ensemble québécois?

De façon positive, nous pouvons souligner la clause dérogatoire de la Charte canadienne de 1982 qui doit être reconduite à tous les cinq ans alors. Comme la confessionnalité du système scolaire québécois était contraire à la charte, il fallait donc recourir à cette clause pour maintenir les dispositions confessionnelles. Sans la réévaluation périodique imposée par la charte canadienne, nous aurions sans doute été pris avec des écoles confessionnelles pendant de nombreuses années encore puisque la charte québécoise n’oblige pas à réévaluer la dérogation.

L’aspect négatif, c’en est le multiculturalisme qui est l’âme, si l’on peut dire, de la Charte fédérale des droits et libertés. Et le multiculturalisme conduit aux accommodements raisonnables et à l’intrusion de la religion dans la sphère de l’État. La Cour suprême peut donc faire fi des valeurs québécoises pour accommoder des groupes culturels particuliers. Le kirpan à l’école et le turban dans la GRC sont des exemples frappants.

Au Québec, on prétend appliquer l’interculturalisme, mais dans les faits c’est la même chose.

Quels liens pouvons-nous effectuer entre la laïcité et la ghettoïsation?

La ghettoïsation est le risque du multiculturalisme. Avec la laïcité, les lois sont les mêmes pour tout le monde, ce qui favorise l’intégration à la société d’accueil. Cela n’empêche pas une communauté de pratiquer sa religion dans la mesure où elle respecte ce qui, au Québec, est non négociable, comme la défense et la promotion du français, les droits fondamentaux dont l’égalité des sexes et la laïcité, bien qu’elle ne fasse pas encore l’objet d’une loi.

Depuis la Révolution tranquille notamment, il y a eu des avancées pour la cause de la laïcité au Québec. Qu’est-ce qui a été fait? Pensons à la déconfessionnalisation du système public d’enseignement par l’abrogation de l’Article 93 de la Constitution canadienne (1867)…

Il y a d’abord eu l’exemption à l’enseignement religieux accordée au début des années 70. Ceci fut remplacé par l’option entre l’enseignement moral ou religieux. Puis, suite à une résolution unanime du gouvernement québécois, en 1997, le Québec a été soustrait de l’Article 93 de la constitution canadienne de 1867 – l’AANB – qui protégeait les commissions scolaires confessionnelles, ce qui a permis d’instaurer des commissions scolaires linguistiques. Suite au rapport Proulx, on a aboli les statuts confessionnels des écoles ainsi que les comités confessionnels du Conseil supérieur de l’Éducation. L’enseignement religieux confessionnel a alors été remplacé par le cours Éthique et culture religieuse (ECR).

Il y a aussi eu l’instauration des cégeps à la fin des années 60, qui forment un réseau public et laïque, issus directement du rapport Parent.

Cependant, le gouvernement a créé le Comité aux affaires religieuses (CAR) qui est l’héritier des comités confessionnels et qui gère le cours ECR. Évidemment, si ce cours venait à être aboli, je pense que le CAR tomberait vite en désuétude…

Comme nous le savons, le cours ECR a été implanté à la grandeur du Québec. Bien que l’étiquette catholique et protestante ait été retirée de l’appellation officielle, ECR n’est rien de moins qu’une continuité de l’enseignement religieux élargi aux autres religions. Le gouvernement a donc opté pour la multiconfessionnalité, ce qui est une forme de multiculturalisme.

Auparavant, un élève pouvait se soustraire à l’enseignement religieux, ce qui n’est plus le cas avec ECR. Sans exception, dès le primaire, les élèves reçoivent la somme des mythologies de l’humanité. C’est un cours de glorification de l’appartenance religieuse. L’athéisme n’est abordé seulement qu’en secondaire 4 ; c’est donc neuf années de mythologies diverses avant le droit au raisonnement critique sur les religions.

En résumé, cela a pris quelques quarante années pour déconfessionnaliser le réseau d’enseignement public. Mais déconfessionnaliser, ce n’est pas encore de la laïcité, laquelle transporte un message beaucoup plus clair que « dé-confessionnalisation ».

Toujours sur la laïcité, quels ont été les reculs que la société québécoise a essuyés?

Reconnaissons que les avancées sur le sujet auraient été plus rapides si les groupes de pression conservateurs ne s’y étaient pas opposés. Ils ont retardé les progrès moraux et éthiques que notre société requiert aujourd’hui.

Comme autres vestiges de la société cléricale, il y a le crucifix à l’Assemblé nationale. Il est déplorable que les élus aient adopté à l’unanimité, et avec empressement, son maintient. C’était aller à l’encontre de l’une des recommandations les plus laïques du rapport Bouchard-Taylor.

Aussi, il y a encore des maires qui récitent des prières lors des assemblées publiques municipales. Pensons à Saguenay qui a refusé de se soumettre au jugement du Tribunal des droits de la personne condamnant cette pratique. Pensons aussi à l’immobilisme du gouvernement Charest qui refuse d’établir une loi sur la question de la laïcité afin de fournir des balises claires et cohérentes pour les divers ministères et organismes aux prises avec des demandes d’accommodements religieux.

Il y a aussi la procédure d’assermentation dans les tribunaux fédéraux où l’on est supposé donner le choix entre une affirmation solennelle et une assermentation sur la Bible ; que ce soit dans les tribunaux ou ailleurs, l’État ne devrait reconnaître que la procédure laïque consistant à jurer de dire la vérité. La même vaut pour l’assermentation des ministres.

Dans les suites à donner à Bouchard-Taylor, y a-t-il eu des partis politiques qui ont appuyé la démarche d’établir une loi sur la laïcité? Qu’ont-ils dit à ce propos?

Québec solidaire s’est montré récemment ouvert à un débat sur une charte de la laïcité, mais quelle forme cela prendrait, ça reste à voir. Plus récemment encore, dans le cadre du débat sur le projet de loi 16 sur la diversité culturelle, le PQ et l’ADQ ont ramené cette idée, mais le premier ministre Charest leur a fermé la porte au nez.

Le projet de loi 16 −qui pourrait conduire à faire prévaloir les principes religieux sur l’égalité des sexes − montre que le gouvernement Charest persiste dans la ligne des accommodements religieux et continue de procéder à la pièce plutôt que d’adopter des balises claires comme une charte de la laïcité.

Que reste-t-il à faire à propos de la laïcité au Québec? Que faire des congés religieux par exemple?

C’est sûr que la plupart de nos congés sont d’origine religieuse, mais cela ne me dérange pas trop. On pourrait toujours les remplacer par des congés saisonniers à date fixe et attribués à tout le monde. La loi sur les normes du travail pourrait aussi accorder un certains nombre de congés mobiles que chacun pourrait prendre à la date de son choix et pour le motif de son choix, ce qui permettrait à certaines communautés de célébrer leurs fêtes religieuses.

Avec la cadre fédéral actuel et le multiculturalisme, quelles seraient les limites de l’établissement d’une charte québécoise de la laïcité?

Nul doute que la charte fédérale continuerait d’avoir prépondérance sur une charte québécoise de la laïcité. Soulignons que le préambule de la Constitution de 1982 reconnait la suprématie de Dieu et que la procédure d’amendement de cette constitution est cadenassée.

Cependant, il est certain que l’adoption d’une charte sur la laïcité qui recevrait l’adhésion d’une vaste majorité de la population enverrait un message clair à Ottawa. Cela démontrerait que la société québécoise veut un autre système que le multiculturalisme. Par le même fait, cela démontrerait les limites et les contradictions du système canadien.

De plus, toute constitution québécoise devrait s’affranchir de la monarchie. L’autorité suprême du Canada reste reliée à la religion car la reine détient ce titre «par la grâce de Dieu» : Dei Gratia Regina, comme on peut le lire sur la monnaie canadienne. Et la reine du Canada est aussi la papesse des anglicans. Dans une république, les gouvernants sont redevables au peuple, non à Dieu, et leur serment d’allégeance est fait envers le peuple et non envers un monarque.

Ce que nous réclamons, c’est une république laïque où le peuple est souverain et où les lois n’ont plus à être entérinées par un monarque. C’est d’ailleurs l’essentiel des propos qui sont tenus dans le Manifeste pour une république laïque (que l’on peut retrouver sur le site du MLQ).

Y a-t-il des exemples d’États fondés sur la dignité humaine, comme par exemple l’humanisme?

Oui et non. En fait, ce n’est pas si précis que cela. Prenons le cas de la France : c’est sous-jacent à sa devise, Liberté, Égalité, Fraternité. Mais cela demeure symbolique ; la France doit aussi faire face à des problèmes d’intégration de ses minorités.

Quant à la devise du Canada, elle est géographique et elle ne veut rien dire sur le plan humain. Ce qui est dommage, mais c’est tout de même mieux que celle des États-Unis, In God we trust. D’autant plus que l’assermentation de leur président inclut un appel à Dieu : So help me God.

Merci de cet entretien, M. Baril.

Avec la permission du Journal Unité Ouvrière en appui à la laïcité
Les Éditions Sociales
C.P. 65 064, Longueuil, Québec, J4K 5J4
uniteouvriere@hotmail.com

 

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